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Critique de Lenocherdeslivres


Mertvecgorod. Ne cherchez pas ce pays sur votre atlas. Il n'existe pas. Pourtant Christophe Siébert fait vivre pour nous cette pseudo-république, tout droit venue de l'ère soviétique, avec son lot de corruption, d'oligarques, de désespoir, de pollution, de violence et de magie. Un monde dur et froid, mais dont on ne peut se détacher.

Images de la fin du monde se présente sous la forme de plusieurs textes de tailles variées, des nouvelles mais aussi des articles de journaux, des portraits (des chroniques, dit le sous-titre). Tous en tout cas sont liés à la ville de Mertvecgorod. Mais elle n'est pas le seul point commun : on retrouve des personnages d'un texte à l'autre, parfois juste furtivement, au détour d'une phrase ; on explore des lieux par étapes ; on découvre des évènements qui s'éclairent au fur et à mesure de leur narration, une nouvelle éclairant une autre, par petites touches. Ce livre est donc une porte d'entrée nécessaire dans l'univers inventé par Christophe Siébert. Et je dis bien univers inventé, car ce n'est pas la seule incursion que nous pourrons faire dans Mertvecgorod et son ciel huileux de pollution. L'auteur a créé le pays dont elle est la capitale : la République Indépendante de Mertvecgorod (RIM), dont il a imaginé la fiche Wikipédia (qu'on trouve à la fin du livre, mais aussi sur le site de l'auteur, à cette adresse : https://mertvecgorod.home.blog/2019/12/02/fiche-wikipedia-de-la-rim/). Il a aussi dessiné les plans de la ville, disponibles également sur son site, imaginé un glossaire (pas une nouvelle langue, comme Tolkien, mais plusieurs termes qui colorent les récits, leur donnent une couleur locale, de l'est), une liste d'évènements, qui nous seront peut-être racontés dans d'autres opus. D'ailleurs, en parlant de « suite », un autre ouvrage situé dans le même monde va paraitre le 16 septembre : Feminicid. Et plusieurs indices, dans Images de la fin du monde, en préparent la venue. Je devrais mettre en ligne une chronique de cet ouvrage dans peu de temps.

En entrant dans Mertvecgorod, préparez-vous à prendre quelques baffes ! Car Christophe Siébert ne plaisante pas. Il nous convie dans une ville en sursis, dont la naissance en tant que ville en décomposition est un attentat raté. Raté, non parce que la bombe n'a pas explosé. Raté parce qu'elle a fait trop de dégâts et qu'elle a ouvert la porte à quelque chose de mystérieux, d'inconnu, de trop grand. Mais cela semble avoir ouvert des portes. Et à présent (enfin, il faut savoir que les textes que contient ce recueil s'étalent sur une longue période de temps : de 2000 à 2025, environ), tout y est possible. Surtout de souffrir et de perdre espoir.
Car la vie y est d'une dureté exceptionnelle. Si vous habitez dans les quartiers pauvres, proches de la Zone, vos chances de survie sont minimes. Et votre qualité de vie va aller de mauvaise à carrément lamentable. L'air est presque solide tant il est pollué. Les cancers sont monnaie courante à Mertvecgorod. En plus, y fleurissent les groupes armés chargés de fournir à de plus riches des corps : corps encore chauds pour le sexe (et on baise à tire-larigot, de toutes les façons, essentiellement les plus violentes, voire létales) ou pour la figuration ; corps déjà froids pour des dons involontaires d'organes. Mertvecgorod est un gigantesque supermarché pour ceux qui ont de l'argent. Les habitants ont, pour beaucoup, atteint un niveau de fatalisme rarement obtenu. Ils se battent pour survivre, ils tremblent pour leur vie, celle de leurs proches. Mais, en tant que lecteur, on voit poindre ce côté inéluctable de leur destinée que leur comportement finit par montrer : peu des personnages essaient vraiment de se battre. Ils subissent beaucoup, comme si cela était normal, inéluctable. Et c'est sans doute vrai. le monde est dur, on doit faire ce qu'il faut pour y vivre le mieux possible, quitte à laisser de côté son humanité. D'ailleurs, pour tenir, beaucoup se réfugient dans le rire et la dérision, « ils s'en tirent en ricanant » et vont « rire pour se mettre en règle avec leur conscience ». Refuge ultime devant l'absurdité du monde qui nous entoure, d'une société qui part en déliquescence.
« Le péché est l'expression religieuse du remords » dit un des protagonistes. le narrateur de lui répondre une citation de Cioran, pas le plus rigolard des philosophes : « Le regret son expression poétique ». On voit bien que tout est possible dans la noirceur. Et il faut avoir le coeur bien accroché pour lire certaines pages. Mais Christophe Siébert a le talent de nous accompagner dans cette horreur et je n'ai jamais songé à refermer le livre avant la fin. Au contraire, j'ai eu du mal à lâcher l'ouvrage avant de l'avoir terminé. Et pourtant, des passages ont pu me choquer, me troubler, me toucher. Que ce soient ceux qui mettent en scène des personnages prêts à tout, avec des violences écoeurantes. Ou ceux qui tournent autour du sexe, sous toutes ses formes, même les plus étranges ou, en tout cas, les moins conventionnelles. Et, malheureusement, rarement consenties. Car le plaisir des uns va rarement avec celui des autres, victimes de viols plus ou moins atroces, voire de mutilations ou de meurtres. Des extrêmes dans le plaisir.

Mertvecgorod est la ville de tous les excès, sans fard, avec des préoccupations terre à terre, et d'autres plus mystiques. Des personnages étonnants, auxquels on s'intéresse malgré leur veulerie, leur égoïsme, leur cruauté. Nikolaï le Svatoj, par exemple, chef mystérieux d'un groupe de truands extrêmement puissant, au passé empli de trous et de légendes, à la vie pleine de meurtres et de stupre, qui clame une hygiène du corps exigeante et passe ses nuits dans des boites à multiplier les partenaires des deux sexes dans des soirées où l'alcool et la drogue coulent à flots. Homme à l'origine de l'attentat qui a changé la face de Mertvecgorod. Ou bien Camille, qui finit par fuir le foyer familial tant il en a assez de supporter les disputes entre sa mère et son père, disputes qui finissent souvent par des coups violents (de la mère contre le père). Jeune garçon que l'on retrouvera dans plusieurs textes et que l'on verra grandir. D'autres, victimes ou bourreaux, qui marquent notre esprit de leur présence fugace.

La lecture d'Images de la fin du monde m'a marqué. Moi qui ne cours pas après les récits post-apocalyptiques ou autres textes décrivant la déliquescence de nos sociétés, j'ai été fasciné par ces chroniques qui ont su me plonger instantanément dans une ville hideuse, mais hypnotisante. Grâce au talent de conteur de Christophe Siébert que j'ai découvert à l'occasion. Mais qui m'a donné envie instantanément de replonger dans les profondeurs de Mertvecgorod. Ce que je vais faire rapidement avec Feminicid, toujours hanté que je suis par certains spectres venus de cette ville et qui me poursuivent encore, de façon fugace, depuis que j'ai refermé le livre.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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