AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


Ne parlons plus de la retraite de Maigret : c'est du passé, un passé enfoui et que Simenon n'est pas près de déterrer. Dans ce volume, notre commissaire, plus vaillant que jamais, passe simplement ses vacances aux Sables-d'Olonne - des vacances dont il rêve depuis l'année précédente ... Mais patatras ! dès leur premier repas à l'hôtel-restaurant où ils sont descendus, les Maigret se retrouvent intoxiqués par un plat de moules. le commissaire s'en sort à bon compte. Sa femme n'a pas cette chance et se paie une formidable crise d'appendicite qui la mène aux urgences de la clinique locale - une clinique privée tenue par des soeurs encore en cornettes - afin d'y être opérée "à chaud." Les premières angoisses passées, Maigret a donc ses vacances pour lui tout seul mais ça ne l'enthousiasme pas. Il a beau rendre scrupuleusement une visite chaque jour à sa femme, le reste du temps, il s'ennuie. Oh ! bien sûr, les Sables sont beaux sous le soleil, le temps est parfait, il y a plein de bistrots un peu partout mais ... Ce ne sont pas tout à fait les vacances dont il rêvait. Quand ils sont ensemble, Maigret et sa femme échangent peu de mots - il arrive même au commissaire de ne proférer que des grognements en faisant "les gros yeux" - mais une présence reste une présence. Avec ses manies de ménagère impeccable, sa discrétion appuyée, sa timidité même, sa compréhension infinie non seulement des impératifs du métier de son époux mais surtout du caractère de celui-ci, Mme Maigret est capable de manquer terriblement à son époux.

Alors, il traîne, il flâne, il boit à droite et à gauche de petits verres d'un vin blanc qu'il n'apprécie pas particulièrement, il fait la lippe, il bougonne ... et il s'en voit bien puni car c'est à cause de toutes ces flâneries et de ces maussaderies en tous genres qu'il met toute une journée à dénicher le mince petit billet qui, par on ne sait quel miracle, a atterri dans l'une de ses poches en même temps que la carte postale que Mme Maigret lui demandait de poster à l'intention de sa soeur. Sur ce billet, une seule phrase : "Par pitié, demandez à voir la malade du 15." Et forcément, quand Maigret retourne le lendemain voir les bonnes soeurs qui, par discrétion, l'appellent "Monsieur 6", du numéro de la chambre de sa femme, on lui apprend que cette malade-là est décédée dans la nuit. Pour tuer dans l'oeuf tous les bruits qui courent déjà, son beau-frère, le Dr Bellamy, a demandé une autopsie mais l'accident ne fait pratiquement aucun doute. Tous deux revenaient d'un concert - la jeune Lili était musicienne - lorsque la portière de la voiture s'est ouverte, laissant la passagère bouler sur une route où elle s'est fait trop de fractures pour survivre.

Mais si l'accident ne fait aucun doute, pourquoi ce billet ? Et quel en est l'auteur ?

Hormis les visites régulières à son épouse alitée, les génuflexions maussades dans les petits bars du coin, une sieste par-ci, une sieste par-là, Maigret, répétons-le, n'a rien à faire. C'est donc avec un naturel bien compréhensible qu'il succombe à la tentation de fouiner un peu partout, à commencer dans la vie du couple Bellamy qui occupe, cela va de soi, l'une des plus belle villas du coin. Chose peu habituelle, le médecin prend même les devants en profitant de la présence de Maigret au bridge journalier qu'il s'accorde avec d'autres notables à l'hôtel tenu par M. Léonard. Imperméable aux mystères du descendant du whist, le commissaire se contente de regarder - regarder les parties de carte est l'une de ses faiblesses, on le constate de roman en roman. Mais, quoique étonné, il suit volontiers Bellamy lorsque ce dernier, la partie terminée, l'invite à lui faire un brin de conduite ...

Tout tourne autour du personnage de ce médecin, à la fois passionné (il aime sa femme, Odette, plus qu'à la folie) et glacial (on le dirait incapable de toute autre émotion). Bellamy a le froid cartésianisme d'un praticien qu'on assure excellent, un caractère qu'on dit entier mais que tout le monde respecte, ses malades n'ont pas à se plaindre de lui, les membres de sa famille non plus au premier regard (n'a-t-il pas pris à sa charge les frais d'entretien de la petite Lily depuis les treize ans de celle-ci ?), tout ceux qui jouissent d'une certaine situation aux Sables le saluent et l'invitent mais ... Une coquille vide : oui, il pourrait se comparer à un magnifique coquillage vide.

... Pourtant, ah ! pourtant ! Maigret prendrait bien le pari que, tout au creux de cet élégant spécimen, se tapit et palpite une vie occulte et déterminée à tout. En tous cas en ce qui concerne Odette. Et il va fouiller, creuser, racler, bien entendu, s'acharnant, tel quelque dentiste délirant, sur une dent suspecte, et ne se laissant évidemment pas impressionner le moins du monde par les connaissances de Bellamy, lequel compte, parmi ses amis et depuis le collège, l'actuel procureur du lieu.

C'est un Maigret au début lent, qui bâille un peu et tâtonne beaucoup. Et puis, le pouls monte, la fièvre éclate, une petite fille est étranglée chez elle, dans sa propre chambre, un journaliste-stagiaire, censé monter à Paris où l'attend un petit poste lui mettrait le pied à l'étrier dans un grand quotidien, ne semble avoir jamais atteint la capitale ... Quant à Mme Bellamy, on la voyait déjà bien peu avant mais maintenant, elle passe tout son temps dans son lit, sous médicaments. Oh ! certes, elle est en vie mais elle n'arrête pas de dormir, dormir, dormir.

Plus que la recherche du criminel - on devine très vite son identité - c'est l'étude de sa personnalité et de tout ce que déclenche celle-ci dans son entourage, proche ou plus éloigné, qui tient la vedette dans "Les Vacances de Maigret." Certains en seront peut-être déçus mais ce serait dommage : c'est un roman un peu dans le goût du "Fou de Bergerac", un roman qui rappelle parfois, toutes proportions gardées, l'ambiance de certains Poirot. Ou, pour le définir encore mieux, un épisode de Columbo. Vous vous rappelez ? Vous savez. Columbo aussi sait. Mais vous prenez un étrange plaisir à tout reprendre de A à Z parce que le coupable parvient, en dépit d'une froideur incroyable, à vous toucher - comme il touche Columbo lui-même. Un peu au moins. Mais du Diable si vous savez pourquoi ... C'est la seule énigme à laquelle ne répondent ni les scénaristes de "Columbo", ni Simenon. ;o)
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}