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Critique de Woland


Le commissaire divisionnaire Jules Maigret a cinquante-trois ans et quelques lourdeurs à l'estomac ou encore dans les jambes, quand il grimpe les sempiternels escaliers de la P. J. ou ceux des immeubles où crépitent les flashes de l'Identité judiciaire sur des cadavres en piteuses postures. Ce n'est pas très grave - oui, je sais que tout le monde, moi la première, se pose la question : "Mais Maigret ne serait-il pas un tantinet alcoolique ?" - mais son foie, bien qu'un peu gros, est en excellente forme . le reste aussi d'ailleurs mis à part que, que voulez-vous, on vieillit tous et Maigret aussi. Sur les conseils du Dr Pardon, et peut-être touché pour la première fois par la crainte de la Mort qu'il a vue pourtant si souvent et de si près, Maigret part pour Vichy avec une Louise Maigret ravie mais un peu inquiète de le voir si calme et plus préoccupé, pour une fois, de suivre strictement sa cure d'eaux ferrugineuses ou souffrées que de guetter un hypothétique rappel en urgence du 36.

En fait, dans un sens, Maigret est heureux. Un peu de repos, une petite routine sympa, pas de cure trop contraignante - ce goût de souffre, après tout, ce n'est pas la Mort ,o) - beaucoup de marche, tranquille et attentive à la nature, de temps à autre un concert que l'on écoute au kiosque de musique, vers les 21 heures, les trois croissants - trois,out de même ! - du petit-déjeuner traditionnel, un climat un peu lunatique, tantôt dégoulinant de pluie, tantôt très chaud, finalement, tout ça lui convient. Pour l'instant. Fidèle à ses habitudes cependant, il regarde à droite, il flaire à gauche, il cherche à deviner ce que font les promeneurs qu'ils croisent, à quel milieu social ils appartiennent, si ce sont des curistes ou des habitants de la ville, bref, il recourt à sa façon préférée de se distraire.

Il remarque notamment, très régulière au kiosque les soirs de concert, une dame mince, élégante, aux traits fins et qui a dû être jolie, avec cependant une certaine dureté dans l'ensemble, et toujours habillée très élégamment, comme dans une sorte de rituel, avec une pièce lilas dans ses habits : foulard, jupe, etc ... Alors, Maigret, il ne sait trop pouquoi, une sorte d'instinct peut-être, se met à fantasmer en quelque sorte sur cette femme : ce lilas qu'elle porte tout le temps, cette douceur apparente et cette dureté volontaire qu'il perçoit bien chez elle, cette grâce féminine et en même temps cette indifférence absolue et comme hautaine à ce qui l'entoure ...

... Et voilà que la dame en lilas, Melle Lange, Hélène de son prénom, est retrouvée assassinée, dans son salon . Pour une fois, le commissaire chargé de l'enquête, Lecoeur, est un ancien de l'équipe de Maigret qui l'a eu, tout jeune inspecteur, sous ses ordres, à la P. J. Lecoeur est évidemment ravi de l'aubaine, son ancien patron un peu moins. Mais un policier reste un policier et Maigret accepte de "donner un coup de main." Discret, bien sûr.

L'analyse psychologique est ici très poussée. Tout tourne autour de cette Hélène Lange, fille de paysans, et aussi autour de sa soeur, Francine. Malgré la dizaine d'années qui les séparaient, les deux soeurs étaient inextricablement liées par un secret très lourd dont la révélation est responsable du décès de l'aînée. Hélène et Francine, bien que toutes deux d'une beauté différente, ont profité de la vie lorsqu'elles sont montées à Paris. Et c'est là que tout s'est joué ...

A ce stade, il est difficile pour le rapporteur du récit de se risquer plus loin, sous peine de déflorer une intrigue qui n'est peut-être pas l'une des plus connues dans la geste "Maigret" mais qui en est l'une des plus noires. Ajoutons simplement que les deux soeurs ont joué de malchance et, à l'idée de la manne qui s'éloignait d'elles, elles ont choisi la voie du mensonge. Vous savez bien, le Mensonge ? Celui qui arrive toujours en tête, dopé à bloc, tout coquet, tout élégant, avec un bagout monstre et qui fait croire n'importe quoi à n'importe qui pendant des années jusqu'à ce que se présente, haletante, bonne dernière et les pieds en sang, une Vérité certes épuisée mais aux révélations implacables, qu'elle étaie en plus de preuves à la fois si tristes et si crues que, parfois, celles-ci déchaînent des réactions brutales, inattendues, spontanées ... et criminelles.

Avec son kiosque à musique, ses concerts réguliers, l'intimité qui rapproche les Maigret et l'ironie douce qui existe entre eux, ce roman m'a fait souvent songer au "Bal des Voleurs" d'Anouilh. Pièce "rose", soit, à la fin optimiste mais fondée sur le mensonge, sur le quiproquo. Dans l'ouvrage de Simenon, il n'y a pas vraiment de quiproquo, rien qu'une supercherie énorme. Et le mensonge est omniprésent, faisant comme d'habitude son boulot de vantard et d'illusionniste extrêmement doué et conduisant à leur perte ceux qui se sont laissés un jour séduire par ses belles histoires et les horizons financiers sur lesquels elles ouvraient.

Mais l'argent n'est pas tout, dans la vie. Et puis, être obligé de se cacher pour en jouir ... le pire, sans doute, c'est quand le Destin reprend les dés et les fait rouler, créant l'incident, la rencontre qui n'aurait jamais dû avoir lieu et qui va transformer une histoire certes sordide mais sans plus en un crime particulièrement douloureux pour un assassin dont on espère bien, Maigret le tout premier, qu'il se verra acquitté.

Un bon "Maigret." Un peu paresseux, tranquille, qui pense beaucoup et donne tout autant à penser. Parfait pour le calme des vacances, que le soleil ait décidé de vous honorer ou, au contraire, de vous bouder. Ne l'oubliez pas : c'est un charmant petit détour, plus sérieux, plus glauque qu'on ne peut se l'imaginer au début, dans l'oeuvre de l'auteur liégeois. ;o)
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