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Critique de JacquesBonhomme


En matière d'expérience de Claude Simon je ne suis qu'un jeune apprenti. Je n'avais lu jusque-là que La Route des Flandres et La Chevelure de Bérénice. Il y a quelques temps CarlmariaB m'avait mis au défi de lire Les Géorgiques. J'avais promis de le faire dès que j'aurais approvisionné la bonne caisse de côtes-du-rhône nécessaire à accompagner cette entreprise périlleuse. Finalement, le budget de l'administration (en dehors des grands corps) étant ce qu'il est, j'ai dû me lancer avec seule bouteille de saint-joseph. Mais une bonne.

C'est parti pour une nouvelle scéance d'hypnose avec Claude Simon.

Me voici donc plongé dans le flot énergétique de Claude Simon, dans son accélérateur de particules littéraires où le choc des images apparemment disparates fait émerger du vide une matière exotique. C'est à dire en particulier (dès lors que la mesure d'un système quantique provoque sa décohérence (Qui m'a traité de cuistre?)) dans une oeuvre dont chaque lecteur fera une expérience différente. Il n'est pas impossible que cela soit un signe de qualité. Évidemment c'est une lecture assez exigeante. Mais nous sommes en démocratie : chacun a droit d'accéder au loisir, au lieu de toujours rester assigné au divertissement. Bienvenue.

Pour un commentaire plus complet, je crois qu'Henri l'Oiseleur a déjà dans Babelio fort bien dit l'essentiel. Je me contenterai donc de notules plus ou moins légères en bas de page, sans chercher la synthèse exhaustive.

En première remarque, je voudrais prévenir que certes la première partie (uniquement la première partie) présente un décor kaléidoscopique qui peut effrayer, en tous cas perdre, mais c'est probablement le but. Les personnages, les temporalités, sont émulsionnés d'une main ferme, et les repères sont minces. Il faut peut-être lâcher en grande partie prise, garder la tête près de la surface pour respirer de temps à autre, mais se laisser emporter par la vague.
Personnellement, dans la position de celui qui a déjà lu La Route des Flandres (beaucoup d'allusions dans Les Géorgiques), l'Hommage à la Catalogne d'Orwell, et qui bénéficie de connaissances relativement bonnes sur les différentes périodes historiques évoquées, dans cette position donc j'ai plutôt été actif dans le jeu de piste, cherchant à bien relier tous les points. Mais était-ce bien la meilleure voie? N'aurais-je pas dû lâcher la rampe raisonneuse? En tout cas un lecteur pour qui les références sont plus floues ne sera pas forcément lésé. Il pourra peut-être expérimenter plus intensément la poésie sensuelle de l'oeuvre, cette joie de l'épaisseur du monde.
À ce titre, je crois que l'auteur donne des clefs essentielles à la page 39 (éd. Minuit poche double).La radio grésille, le soir, en forêt, à côté de la batterie artillerie, pendant débâcle 1940, où est-ce ailleurs ?

Après la première partie donc, le fleuve est plus calme. La lecture est plus aisée.

Toutes les vues sont pénétrantes, mais ce sont encore les passages sur la Drôle de Guerre qui m'ont semblé les plus originaux. Il me semble que ce n'est pour le moins pas un sujet rebattu et le souffle qu'y met Claude Simon en rend les couleurs dans leur plus beau terne.

J'ai plus de mal à comprendre les passages sur Orwell et la Catalogne (en volume assez mince). Je ne crois pas être une groupie hystérisée de cet intellectuel engagé et visionnaire, devenu post-mortem une tarte à la crème transpartisane, cependant je n'ai pas lu dans L'Hommage à la Catalogne ce qu'il me semble que Claude Simon y a vu. Ce n'est pas essentiellement de la part de Simon, une charge contre Orwell, mais je crois qu'on a à la fois l'impression d'une paraphrase du livre (comme s'il était recopié comme les lettres de l'ancêtre LSM de l'auteur) alors que le lecteur d'Orwell voit probablement que certains éléments manquent et que le tableau final est déséquilibré,vers une certaine futilité d'Orwell. Comme si Simon voulait démontrer quelque chose. C'est un choix. Il m'a laissé une impression mitigée. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose. Je n'ai pas ordinairement l'impression que Claude Simon enfermé son lecteur dans une conclusion trop nette. Quelque chose m'échappe vraiment.

Il me semble bien que dans la première moitié du livre Claude Simon emploie plusieurs fois l'adjectif "cosmique". Est-ce une allusion à Virgile ou un clin d'oeil vers la science-fiction ?
La capacité de Claude Simon à plier et replier le temps et l'espace n'est pas dans mon esprit sans évoquer le mode de transport des navigateurs de la guilde spatiale dans Dune de Frank Herbert. Cependant là où Herbert pose un joli gadget narratif, Simon fabrique la machine en vrai, plie et replie l'espace et le temps. Claude Simon inventé le voyage instantané.

Mais peut-être le roman de Simon est-il aussi un hommage au kouign-amann, plié, replié, tellement riche? Or un kouign-amann de un kilo contient toujours au moins deux kilos de beurre. C'est un mystère de la physique. Avec Claude Simon, on est aussi dans ce que la science ne sait pas expliquer, la littérature, la nourriture la plus riche.
Hypnose, vous dis-je.

À part ça, il va falloir penser à regarnir les haies et à semer de la luzerne dans le pré près de la rivière. Et comment se fait-il que les armoires ne sont pas pleines de linge? C'est agaçant.


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