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Critique de ODP31


Gonflé, cet en-tête à tête.
Ce titre, qui à priori, ne constitue pas un éloge flagrant à la modestie, pourrait nous laissait croire qu'Andreï Siniavski ne s'était pas foulé un lobe pour baptiser son bouquin. Il serait possible aussi d'incriminer l'éditeur qui s'est peut-être imaginé qu'avec un Président sur le point d'interdire les livres de chevet pour que nul ne néglige ses devoirs conjugaux afin de doper une natalité en berne, lire ou jouir, il faut choisir, un titre prémâché comme un plat cuisiné couperait la chique de toute critique.
Eh bien, pas du tout ! Ce titre ironique va comme un moufle (nous sommes en Russie, les gants ne suffisent pas !) aux deux contes savoureusement amoraux de ce très sympathique recueil qui a su échapper aux coups de faucille et de marteau des bricoleurs soviétiques.
De la censure à l'exil, en passant par la clandestinité et le goulag, Andreï Sinieski a suivi le cursus de tout bon dissident soviétique à barbe. Un bon CV Sibérien. Les russes n'ont jamais compris qu'il était contre-productif d'envoyer des écrivains en voyage organisé au Goulag. Cela leur laissait beaucoup trop de temps libre pour écrire des chefs d'oeuvre. Des stakhanovistes de la contestation.
Dans « Graphomanie », un Calimerov, ravi de sa plume, raconte son épopée d'écrivain raté. Il est grotesque, si ridicule qu'il en devient attachant. Ce texte est une belle réflexion par l'absurde sur les doutes d'un écrivain habité par son art. Ecrit-il par besoin, pour exister, pour la reconnaissance, la postérité ou parce qu'il a quelque deux ou trois petites choses à dire au monde ? le narrateur cajole son manuscrit intitulé “ A la recherche du bonheur” mais son génie littéraire échappe à son éditeur, à un poète maudit qui recycle les textes des autres et à sa femme, lassée d'entretenir un plumitif narcissique. Plus écrivant qu'écrivain, il jalouse la réussite des autres, se désespère de l'inflation galopante d'écrivains en toundra (l'herbe russe) qui banalisent le métier et il en vient même à critiquer les grands auteurs classiques qui monopolisent le marché.
"Le verglas”, texte encore plus abouti selon moi, traite de façon très drôle du destin, implacable quand on cherche à le braver, même si j'adore la citation d'Ambrose Bierce : « Destinée. Justification du tyran pour ses crimes, excuse de l'imbécile pour ses échecs. ». Un personnage se découvre des talents de médium et révèle ses pouvoirs lors d'un réveillon chez des inconnus. Capable de dévoiler les petits secrets de n'importe quel invité, il leur annonce aussi l'avenir pour le dessert. Boris, l'ex-mari de la compagne de l'oracle en chapka, le dénonce aux autorités qui vont chercher à utiliser ses talents. Malgré sa connaissance du futur, le présent va s'acharner à contrarier ses plans pour changer le cours des choses.
Vous l'aurez compris, deux récits jeunesse du père d'Iegor Gran, qui ne répondaient pas au cahier des charges du Politburo et de sa raspoutitsa idéologique.
Je vous conseille aussi la lecture d'« André la Poisse », roman déjà billeté du même auteur et publié aux mêmes éditions du Typhon.
C'est bien lu !
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