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Critique de Bookycooky


Déjà, dans sa petite introduction Neige Sinno annonce que ce livre n'est pas son dépotoir, et la suite montre qu'en approchant ce sujet effroyable de la pédophilie qu'elle a subi personnellement , elle est dans une autre sphère. Ce qui aussi comme lecteur , lectrice nous déplace aussi dans cette autre sphère, celle de la littérature pure et dure.

Comment raconter une histoire aussi terrible et comment présenter ce personnage qui a commis l'indicible ? Qu'est-ce-qu'on fait avec quelque chose d'irracontable? parce que c'est irracontable ! ,

Elle s'efforce d'approcher l'idée d'un personnage qui en apparence ne pourrait commettre même en pensée de tels actes mais les a commis . Elle n'arrive pas à comprendre comment le même personnage change de dimensions , « Tout ce qui a trait au viol se passe dans une dimension à part, une dimension 'bizarre', qui est physiquement la même que celle où se déroule le reste de la vie, qui s'y superpose comme un double d'une insupportable clarté »,

Elle se réfère à la Littérature , comme la Lolita de Nabokov, là encore
un chemin sans issu « on joue le jeu de l'auteur qui se met dans la peau du criminel sans pour autant entrer en empathie avec le personnage. Et si d'aventure on s'y laisse entraîner, le texte se charge de nous rappeler, à des moments choisis, que cette empathie fait de nous des complices du monstre. C'est un choix rare en littérature. », un choix rare en ce qui concerne les viols d'enfants,surtout que la voix de Lolita est totalement absente dans le livre,

Elle se réfère à d'autres pervers, bourreaux, criminels de l'Histoire, qui ont commis des actes impensables, pourtant ces gens fascinent, intéressent les gens, « Ils représentent pour nous quelque chose qui nous résiste absolument, qui est au bord de nous, mais où nous ne pouvons pas ou ne voulons pas aller. », un autre cheminement sans issu,

Elle analyse les témoignages en faveur de son bourreau durant le procès ; or alors que ceux-ci pensent que tous les aspects de sa vie depuis sa jeunesse jusqu'au procès sont irréprochables , le crime là dedans n'est qu'une anomalie , pour Neige « Son crime fait de tout le reste de son existence une aberration, il empêche de la lire sous le prisme de la dignité ou d'une quelconque qualité morale ». Là encore elle n'arrive pas à trouver justice,

Elle va même plus loin, essayant de comprendre des exemples concrets dans la Littérature comme La joie de vivre de Goliarda Sapienza ( roman que j'ai vraiment détesté ), de la représentation de l'enfant abusé en maître de son destin , séduisante parce que transgressive, en vain…….,

Et finalement elle l'avoue , elle arrive uniquement à s'en approcher , de différents points de vue, de différentes façons pour pouvoir atténuer l'immense solitude dans laquelle l'a enfermé ce viol. Un viol qui a duré des années, dont elle n'en porte aucune responsabilité, et le monstre qui l'a commis après cinq ans de prison est ressorti, s'est remarié et a refait quatre enfants. Comment un homme pareille peut encore être mari et père comme si rien ne s'était passé alors que sa victime est condamné à vivre avec son mal, seule, le reste de sa vie ? Et rien , mais rien ne viendra combler cette solitude d'un être brisé dans la petite enfance, et ce livre en est le tragique témoin, « Il n'y a jamais de happy end pour quelqu'un qui a été abusé dans son enfance ». C'est un texte littéraire, lucide , intelligent , bouleversant de sincérité . J'évite ce genre de sujet en général, qui me donne l'impression d'être voyeur, ici il n'en est nullement question. Un texte qui ne répond à rien , qui ne résolu rien, pourtant on rencontre elle et sa douleur et son immense solitude, une personne « damaged for life », et en un seul mot, c'est Poignant !
J'espère que ce livre apaisera un petit peu sa douleur et amenuisera sa solitude lui permettant comme elle l'espère, d'accéder à un territoire où elle sera devenue plus libre, même si cet « autre lieu » sera toujours là , au détour du chemin.

« Comment faire pour s'élever à une plus grande puissance sans que cela tourne à l'oppression d'un autre ? Comment transcender le mal dans la douceur et non dans un nouveau mal ? Et comment faire pour que cette douceur nous importe, nous fascine autant que le côté obscur ? »



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