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EAN : 9782818058268
288 pages
P.O.L. (17/08/2023)
4.08/5   2932 notes
Résumé :
« Il disait qu’il m’aimait. Il disait que c’est pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour. Il disait que s’il avait commencé à s’approcher de moi de cette manière, à me toucher, me caresser c’est parce qu’il avait besoin d’un contact plus étroit avec moi, parce que je refusais de me montrer douce, parce que je ne lui disais pas que je l’aimais. Ensuite, il me punissait d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (380) Voir plus Ajouter une critique
4,08

sur 2932 notes
°°° Rentrée littéraire 2023 # 41 °°°

De l'âge de sept à quatorze ans, Neige Sinno a subi des viols répétés de la part de son beau-père. Elle a porté plainte à dix-sept ans. Un procès a eu lieu, il a avoué, il a été condamné.

Ce livre, je n'avais pas envie de le lire. Je ne comptais pas le lire. Non parce que le sujet me faisait peur – quoi que – mais parce ce que j'avais l'impression d'avoir déjà beaucoup – trop ? – lu et entendu sur la question de l'inceste ou de la pédocriminalité … Christine Angot, Vanessa Springbora, Camille Kouchner, le podcast de Charlotte Pudlowski entre autres.

Et puis il y a eu le passage de Neige Sinno à La Grande Librairie. En la voyant, j'ai su que je lirai son texte. J'ai été frappée par son regard qui parfois s'absentait, par la douceur posée de sa voix, par la profondeur de ses silences et ses hésitations, par l'expressivité de ses mains qui semblaient soutenir le maintien de son corps.

J'ai ouvert Triste tigre empreinte d'une solennité grave que je n'ai jamais dans ma posture de lectrice, comme dans un état de préconscience du poids des mots qui allaient suivre.

Le fil conducteur du livre peut se résumer à la question du pourquoi elle écrit sur l'inceste. Dans un remarquable sous-chapitre intitulé « Raisons que j'ai de ne pas vouloir écrire ce livre », l'autrice dit qu'elle veut exister pour son écriture et non pour son écrasant sujet. Elle veut « être dans la langue », que son texte soit « esthétiquement valable », tout en affirmant son dégoût à faire de l'art avec son histoire, la faute morale consistant à esthétiser la violence

Triste tigre relève brillamment le défi littéraire. Elle n'y raconte pas, même si par courts passages à la crudité sidérante, elle le fait quand même mais sans brandir sa souffrance en étendard. On est bien au-delà du récit autobiographique même si elle revendique l'impossibilité à s'évader de la première personne, son « couteau pour disséquer le monde, un choix politique et esthétique qui affirme l'union du contenu et de la forme », un outil d'analyse bien affuté qui «arrive jusqu'à l'os ».

Ce qui m'a le plus frappé dans ce texte hybride qui n'entre dans aucune case, c'est à quel point chaque page pense. le lecteur est plongé dans la tête de Neige Sinno, une tête en pleine réflexion, constamment aux aguets pour que sa quête littéraire soit la plus juste, entre distance protectrice et vérités. Chaque page entre en conversation permanente avec le lecteur explorant l'inceste sous tous ses angles et ainsi que les questionnements qu'il engendre, de la carcéralisation de la peine à la prise en charge par la société, en passant par l'intimité des relations familiales ou les répercussions traumatiques à vie pour la victime. Chaque page est également en conversation permanente avec d'autres auteurs – la liste est longue -, et l'analyse proposé est à chaque fois passionnante, notamment celle de Lolita de Nabokov ou d'écrits de rescapés de la Shoah.

Certains passages m'ont marquée par leur singularité, la lucidité et la netteté de la pensée qui les convoquent :

« Je cherche la description précise des faits. Je veux savoir ce qu'il lui a fait exactement, combien de fois, où, ce qu'il disait, etc. Je déteste l'idée que quelqu'un ouvre ce livre et cherche ce qu'on m'a fait exactement, où on m'a mis la bite, et le referme après sans y avoir rien trouvé d'autre que cette bizarre constatation. »

Alors que le monde adulte est plein de zones grises qui sont le terrain de la responsabilité, du choix, du libre arbitre, « l'enfant, lui, vit en noir et blanc. (…) C'est toujours grand ouvert chez un enfant. Un enfant ne peut pas ouvrir ou fermer la porte du consentement. Il n'atteint pas cette poignée. Elle n'est simplement pas à sa portée. »

« Je ne peux m'empêcher d'espionner. Je le faisais déjà quand j'étais enfant pour m'assurer qu'il n'arrivait rien aux autres. J'espionne tout le temps, parfois vaguement, parfois avec plus d'insistance. J'espionne les papas dans les cabines des piscines publiques, les professeurs de collège qui reçoivent dans leurs bureaux. J'espionne mon compagnon. Il sait que je l'aime, que j'ai confiance en lui. Je crois qu'il sait que je l'espionne, et que je ne peux pas faire autrement. Je crois qu'il me pardonne. »

Neige Sinno dit que la littérature ne l'a pas sauvée, juste accompagnée et consolée, éclairée. Moi je peux dire que par son intelligence, sa hauteur de vue, son livre a changé profondément mon regard sur l'inceste.

« Il n'y a jamais de happy end pour quelqu'un qui a été abusé dans son enfance. C'est une erreur et une source d'angoisse que de croire au mythe du survivant tel que nous les décrivent les films américains. (…) Parce que ce n'est pas fini. Ni pour moi, ni pour vous, ni pour personne. Et tant qu'un enfant sur terre vivra cela, ce ne sera jamais fini, pour aucun d'entre nous.
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Déjà, dans sa petite introduction Neige Sinno annonce que ce livre n'est pas son dépotoir, et la suite montre qu'en approchant ce sujet effroyable de la pédophilie qu'elle a subi personnellement , elle est dans une autre sphère. Ce qui aussi comme lecteur , lectrice nous déplace aussi dans cette autre sphère, celle de la littérature pure et dure.

Comment raconter une histoire aussi terrible et comment présenter ce personnage qui a commis l'indicible ? Qu'est-ce-qu'on fait avec quelque chose d'irracontable? parce que c'est irracontable ! ,

Elle s'efforce d'approcher l'idée d'un personnage qui en apparence ne pourrait commettre même en pensée de tels actes mais les a commis . Elle n'arrive pas à comprendre comment le même personnage change de dimensions , « Tout ce qui a trait au viol se passe dans une dimension à part, une dimension 'bizarre', qui est physiquement la même que celle où se déroule le reste de la vie, qui s'y superpose comme un double d'une insupportable clarté »,

Elle se réfère à la Littérature , comme la Lolita de Nabokov, là encore
un chemin sans issu « on joue le jeu de l'auteur qui se met dans la peau du criminel sans pour autant entrer en empathie avec le personnage. Et si d'aventure on s'y laisse entraîner, le texte se charge de nous rappeler, à des moments choisis, que cette empathie fait de nous des complices du monstre. C'est un choix rare en littérature. », un choix rare en ce qui concerne les viols d'enfants,surtout que la voix de Lolita est totalement absente dans le livre,

Elle se réfère à d'autres pervers, bourreaux, criminels de l'Histoire, qui ont commis des actes impensables, pourtant ces gens fascinent, intéressent les gens, « Ils représentent pour nous quelque chose qui nous résiste absolument, qui est au bord de nous, mais où nous ne pouvons pas ou ne voulons pas aller. », un autre cheminement sans issu,

Elle analyse les témoignages en faveur de son bourreau durant le procès ; or alors que ceux-ci pensent que tous les aspects de sa vie depuis sa jeunesse jusqu'au procès sont irréprochables , le crime là dedans n'est qu'une anomalie , pour Neige « Son crime fait de tout le reste de son existence une aberration, il empêche de la lire sous le prisme de la dignité ou d'une quelconque qualité morale ». Là encore elle n'arrive pas à trouver justice,

Elle va même plus loin, essayant de comprendre des exemples concrets dans la Littérature comme La joie de vivre de Goliarda Sapienza ( roman que j'ai vraiment détesté ), de la représentation de l'enfant abusé en maître de son destin , séduisante parce que transgressive, en vain…….,

Et finalement elle l'avoue , elle arrive uniquement à s'en approcher , de différents points de vue, de différentes façons pour pouvoir atténuer l'immense solitude dans laquelle l'a enfermé ce viol. Un viol qui a duré des années, dont elle n'en porte aucune responsabilité, et le monstre qui l'a commis après cinq ans de prison est ressorti, s'est remarié et a refait quatre enfants. Comment un homme pareille peut encore être mari et père comme si rien ne s'était passé alors que sa victime est condamné à vivre avec son mal, seule, le reste de sa vie ? Et rien , mais rien ne viendra combler cette solitude d'un être brisé dans la petite enfance, et ce livre en est le tragique témoin, « Il n'y a jamais de happy end pour quelqu'un qui a été abusé dans son enfance ». C'est un texte littéraire, lucide , intelligent , bouleversant de sincérité . J'évite ce genre de sujet en général, qui me donne l'impression d'être voyeur, ici il n'en est nullement question. Un texte qui ne répond à rien , qui ne résolu rien, pourtant on rencontre elle et sa douleur et son immense solitude, une personne « damaged for life », et en un seul mot, c'est Poignant !
J'espère que ce livre apaisera un petit peu sa douleur et amenuisera sa solitude lui permettant comme elle l'espère, d'accéder à un territoire où elle sera devenue plus libre, même si cet « autre lieu » sera toujours là , au détour du chemin.

« Comment faire pour s'élever à une plus grande puissance sans que cela tourne à l'oppression d'un autre ? Comment transcender le mal dans la douceur et non dans un nouveau mal ? Et comment faire pour que cette douceur nous importe, nous fascine autant que le côté obscur ? »



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Lorsque son beau-père surgit dans sa vie en 1983, Neige Sinno a sept ans et lui vingt-quatre. Elle a déjà une soeur et cette seconde union de sa mère ajoutera bientôt deux demi-frères et soeurs à la fratrie. La famille entame une existence bohème et précaire, dans une maison de Briançon transformée en campement par d'interminables travaux de restauration. Pour elle commence aussi le long calvaire de viols répétés pendant des années, jusqu'à ce qu'à l'adolescence, elle puisse enfin prendre le large. Elle ne sortira du silence qu'à ses vingt-et-un ans, lorsqu'elle se résoudra à porter plainte. Condamné après ses aveux à neuf ans de prison, le beau-père n'en fera que cinq - « Prisonnier modèle, remise de peine. C'est classique avec les délinquants sexuels. Ils sont les bons élèves de la prison. » - et refera alors sa vie, avec une nouvelle femme dont il aura quatre autres enfants.


A jamais marquée, contrairement à lui, par ses blessures de survivante, l'auteur vit aujourd'hui au Mexique. Elle qui se méfie des livres qui ont des sujets et qui ne croit pas au pouvoir thérapeutique de l'écriture, elle qui n'est qu'incertitude face à son projet – « j'ai peur que la seule chose qui m'arrive avec ce livre soit d'être invitée à des émissions de radio sur l'inceste, où l'on me demandera de résumer dans un langage encore plus simple que celui du ­livre ce qui y est dit afin que les auditeurs distraits et blasés n'aient pas à faire l'effort de le lire. » « Je ne souhaite pas qu'il ait beaucoup de lecteurs. Car ce serait une façon d'exister dans la littérature non pas par mon écriture mais par mon sujet, ce qui a toujours été ma hantise. Et surtout ce sujet-là, que je n'ai pas choisi, ni voulu, ni créé. Exister à mon tour par le biais de quelque chose que je n'ai pas fait mais qu'on m'a fait. Quel cauchemar. » – a pourtant passé vingt ans à la rédaction de cet ouvrage, disséquant compulsivement ces années à subir l'inceste, les attaquant sous tous les angles en un précipité de brefs chapitres, à l'écriture à l'os, nette et percutante, ses tâtonnements irrépressibles autour des gouffres ouverts dans sa vie et dans son être finissant par construire, non pas seulement un témoignage frappant, mais un texte hanté, débordant d'interrogations profondes, d'analyses et de réflexions qui en font définitivement un livre remarquable, d'ailleurs déjà couronné du prix « le Monde » et dans la sélection du Goncourt.


Alors pourquoi écrire ? Pourquoi parler même ? « Il faut être prêt à perdre beaucoup de choses quand on décide de parler. On perd sa famille, c'est évident, on perd son village aussi, on perd son enfance, ses souvenirs d'enfance, ses illusions d'enfance. On gagne quoi en échange ? Je ne sais pas. On gagne la vérité, mais c'est quoi la vérité, exactement, je ne saurais le dire. » Intitulée « Portraits », la première partie s'essaye à peindre le violeur, constate son impuissance à le cerner objectivement – « évidemment, c'est impossible parce que c'est lui » –, tente alors le portrait de l'enfant, tout aussi irréalisable tant il renvoie de manière lancinante aux questions de l'innocence et du consentement, mais surtout parce qu'il n'existe plus, irrémédiablement, qu'au travers du regard et du désir de l'agresseur. « La domination sexuelle est une forme de soumission qui atteint les fondements mêmes de l'être. » « Les conséquences du viol (…) affectent depuis la faculté de respirer jusqu'à celle de s'adresser aux autres, de manger, de se laver, de regarder des images, de dessiner, de parler ou de se taire, de percevoir sa propre existence comme une réalité, de se souvenir, d'apprendre, de penser, d'habiter son corps et sa vie, de se sentir capable de simplement être. » « Tout mon caractère, c'est lui qui l'a fait. » « Je suis comme ci et comme ça, et tous ces ci et ça dérivent directement de l'enfance que j'ai eue. J'ai du mal à être sûre que j'existe. » « La victime existe en tant que véhicule qui portera, toute son existence, la trace du viol. Abîmés pour la vie. Abîmés, abîmées, cernés par des abîmes. Damaged for life. Ce livre lui donne encore raison. » Se constatant aussi incapable de trouver l'issue qu'un insecte se heurtant indéfiniment à la vitre invisible qui bloque son envol, le texte s'engage alors dans une seconde partie, « Fantômes », ou comment vivre avec le trauma, refaire sa vie peut-être, loin sans doute, en parler à sa propre fille aussi, en somme, et même si « On ne peut pas se relever et se défaire de quelque chose qui nous constitue à ce point », puisque « le monde entier est perçu à travers ce filtre. Pour celui qui n'a connu que cela, c'est depuis l'oppression que tout s'organise. Il n'existe pas un soi non-dominé, un équilibre auquel on pourrait retourner une fois la violence terminée », tenter quand même de réfléchir à « ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous », le tout en convoquant les textes d'autres auteurs – Vladimir Nabokov, Virginia Woolf, Camille Kouchner, Emmanuel Carrère… –, les sciences sociales et des avis d'experts.


Comment refermer ce livre autrement que dans un silence pétrifié, comment le commenter quand seuls les mots de l'auteur méritent d'être entendus dans leur parfaite et impressionnante justesse ? Un livre-choc jusque dans sa sobriété, précis, lucide, intelligent. Un livre-combat, où l'auteur se collette aussi bien avec elle-même qu'avec le silence, question non pas tant de survie et de reconstruction, mais d'existence tout court. Très grand coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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« Triste tigre » est un livre de questionnements, un récit à coeur ouvert qui explore les mécanismes de la domination et des violences sexuelles. Ce n'est pas un livre thérapie, Neige Sinno s'en défend vigoureusement, l'écriture ne sauve pas. Alors pourquoi l'avoir écrit ? Malgré le traumatisme de l'inceste, c'est un livre qui se veut vivant, debout et fier d'exister au-delà du viol, un essai littéraire qui explore dans la littérature toutes les facettes du mal.

Après le prix du journal le Monde, Neige Sinno vient d'obtenir le Prix Femina, ce qui va lui amener de nouveaux lecteurs, ce qu'elle ne cherchait pas tout particulièrement.

« Je veux qu'il existe cependant, mais je ne veux pas qu'il ait beaucoup de lecteurs. Car ce serait une façon d'exister dans la littérature non pas par mon écriture mais par mon sujet, ce qui a toujours été ma hantise. Et surtout ce sujet-là, que je n'ai pas choisi, ni voulu, ni créé. »

Lorsque sa mère épouse ce bel homme charismatique, guide de montagne, le calvaire de la petite Neige, six ans, commence. le beau-père veut être aimé de cette gamine frondeuse et c'est pour cela qu'il la viole, dit-il, pour lui montrer son amour. Au-delà de l'agression sexuelle, l'autrice s'attarde sur les raisons du prédateur. Ne serait-il pas plus intéressant d'écrire un livre du point de vue du violeur plutôt que de la victime ? Car elle s'interroge Neige Sinno, tout au long de ces 275 pages qui relatent l'emprise de l'homme sur la fillette puis la pré ado qu'elle était alors, et cela va durer huit ans. Huit ans de silences et de peurs. Huit ans qui vont peser lourd sur sa vie d'adulte
« Mon monde intérieur s'est forgé dans la conscience de me savoir étrangère au monde, auquel je ne pouvais pas révéler qui j'étais réellement »

Le récit est morcelé, il raconte les agressions, mais aussi la vie de famille, bohème et marginale, et ses frères et soeurs. Il y a la mère, qui n'aura rien deviné et restera longtemps sous l'emprise de cet homme autoritaire avant de mener sa propre vie. du procès, on ne saura pas grand-chose, le dossier s'est perdu, irrémédiablement. Mais ce qu'en attendait Neige, c'était une reconnaissance du traumatisme, c'était aussi mettre fin au risque que les viols se reproduisent sur son frère et ses soeurs. le bourreau, lui, a avoué. Il avait une bonne raison, cette gamine refusait de l'aimer comme un père, il fallait bien qu'il lui prouve son amour. On est sidéré en découvrant les motivations du violeur, parler d'amour tout en saccageant la vie d'une fillette. Elle l'exprime ainsi :
« Il me punissait de mon indifférence à son égard par des actes sexuels »,
Un procès pour viol, cela peut sembler indécent, explique-t-elle, ne vaut-il pas mieux « laver son linge sale en famille » ? Mais ce procès parle d'une réalité, hélas, plus répandue qu'on ne le pense. Et l'autrice pense à toutes ces victimes, à leurs agresseurs.
« …quand on considère l‘ampleur des chiffres des violences intrafamiliales, on se demande ce que signifie encore cette notion de vie privée alors qu'il s'agit en réalité d'un crime systémique commis dans le secret de centaines de milliers de familles. »

Neige Sinno aborde aussi le problème de l'inceste et des violences sexuelles à travers la littérature, il y a une foultitude d'exemples à commencer par « Lolita » de Vladimir Nabokov qu'elle évoque en début d'ouvrage. Mais elle citera aussi Christine Angot, Virginia Woolf, Emmanuel Carrère, Toni Morrison et particulièrement Margaux Fragoso dont le témoignage « Tiger, tiger » lui-même inspiré d'un poème de William Blake, lui a soufflé le titre de son propre récit.
Quelques coupures de presse, lettres, complètent cet essai implacable et d'une justesse de ton qui surprend, effraie le lecteur, mais qui ne peuvent le laisser indifférent.
L'autrice s'interroge sur la valeur du témoignage et son approche avec l'art
« le témoignage est un outil d'analyse, mais un outil bien affuté arrive jusqu'à l'os. Et quand on touche l'os, l'art n'est jamais loin. »
Au-delà d'un témoignage glaçant, Neige Sinno a su élargir son propos et montre qu'elle est aussi une grande écrivaine.




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Je viens de tourner la dernière page de ce roman qui m'a littéralement chamboulé qui m'a pris au tripes, un uppercut, j'en reste encore scotchée. En toute franchise, ce roman mérite d'être reconnu à sa juste valeur, L'auteur nous plonge avec subtilité, sensibilité, et dextérité dans son histoire. Il n'est jamais facile de parler d'un acte aussi grave que celui de viol , un viol subit de l'enfance à l'adolescence.
Au début , elle utilise un langage cru , dur, nous plongeons dans son calvaire Une chose importante, elle ne se sert pas de l'écriture de son livre comme un exécutoire, elle veut savoir comprendre, ce qui se passe dans la tête de son bourreau.
Comment un être humain peut faire subir ces atrocités, tomber aussi bas, pour assouvir ses pulsions sexuelles, nous avons une impression que pour lui, cela est une normalité, sans réaliser vraiment le mal qu'il fait, à une enfant.
L'auteure ne se sert pas dans ce roman, comme un moyen exécutoire, de délivrance, le mal est fait, l'enfance est brisée Elle est la victime et non la coupable. Elle met en avant l'emprise qu'un violeur peut avoir sr une personne, cet effet de chantage, cette manipulation, cette pression,
Se taire
Elle a eu le courage de porter plainte, il est dur pour l'entourage d'apprendre de tels horreurs,
Une remise en cause de ses actes odieux, faire réagir, ne pas avoir peur de dénoncer,
L'auteure nous relate avec une autre visions des choses, Son bourreau condamnés,
Sa force de refaire sa vie, loin des évènements, la joie d'être mère, mais vivre toujours avec une épée Damoclès, protéger son enfant loin , de tout cela, vivre dans la passibilité sans peur,
Ce livre est juste wahou, je n'ai subi aucun voyeurisme, au cour de ma lecture, un sentiment de colère de haine m'ont envahie. Un livre témoignage à lire absolument.
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critiques presse (10)
Culturebox
24 novembre 2023
Au-delà du témoignage, c'est la forme-même, son expression, le choix des mots, le rythme, la couleur du texte, qui ouvre une porte sur "l'indicible". C'est toute la force de ce livre, qui [...] parvient, et c'est l'essence même d'une œuvre d'art, à donner une forme à ce qui n'en a pas, pour le rendre intelligible par tous.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LaCroix
23 octobre 2023
Neige Sinno, violée par son beau-père de neuf à quatorze ans, jette une lumière crue sur les mécanismes de l’inceste, dans un texte qui explore ses propres limites.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Marianne_
10 octobre 2023
Explorer les vertiges et la déflagration, le moi à tout jamais meurtri, justifie l’ambitieuse entreprise de « Triste tigre » , [...] texte événement.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LeFigaro
22 septembre 2023
Triste tigre est un grand livre. C’est un livre qui n’est ni beau ni tendre. Il n’est pas non plus bouleversant. Alors quoi ? Il est parfaitement juste.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LesEchos
15 septembre 2023
On ne sort pas indemne de la lecture de « Triste Tigre ». Choc émotionnel, choc littéraire, choc moral… le tout provoqué par la lecture d'un livre hors norme que l'on ne saurait « étiqueter » selon les genres habituels.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Telerama
14 septembre 2023
“Triste Tigre” est un récit puissant que Neige Sinno a mûri pendant vingt ans. Le temps de trouver le ton juste pour parler des viols que sept années durant elle a subis, enfant, de la part de son beau-père.
Lire la critique sur le site : Telerama
LaLibreBelgique
08 septembre 2023
Son livre laisse entrevoir, comme jamais, cette zone d'ombre tapie derrière le langage et qui nous rapproche de l'indicible fait à ces enfants.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeMonde
24 août 2023
Neige Sinno a [du] courage. La littérature ne se limite pas à la fiction ou à l’indirect. Elle est un acte, offensif et défensif en même temps, qui fait de la lecture une véritable expérience.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LesInrocks
24 août 2023
Le choc de cette rentrée, c’est ce livre hors normes.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
RevueTransfuge
25 juillet 2023
Avec Triste tigre, son deuxième roman, Neige Sinno aborde son expérience d’enfant abusé, et signe un livre saisissant d’intelligence et de beauté.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
Citations et extraits (500) Voir plus Ajouter une citation
Comme l'avait montré Hannah Arendt, les bourreaux s'interdisent de penser leurs actes et cette absence de pensée profonde leur permet de survivre. Le journaliste est stupéfait de l'absence de cauchemar chez les personnes interrogées. Est-ce possible ? De tous les criminels de guerre, le tueur d'un génocide est celui qui s'en sort le moins tourmenté. Si regrets il y a, ils ne s'adressent qu'à eux-mêmes, à leur vie gâchée, à leur destin malchanceux. Ils se présentent tous comme de braves gars, que le pardon des victimes et de la société rendrait libres de mener une existence honnête à nouveau, comme avant le génocide.
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Tu as regardé le mal dans les yeux et maintenant plus personne ne peut te regarder toi. C'est la légende de Méduse. Après le viol, plus personne ne peut la regarder dans les yeux. Ceux qui la voient se transforment en pierre. Sa haine est si grande qu'il lui a poussé des serpents à la place des cheveux.
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Un procès public pour une affaire de viol sur mineur, ça semble indécent, c'est comme laver sa culotte devant tout le monde. J'avais un peu cette impression quand j'ai fait ce choix au procès, quand j'ai vu tous ces inconnus dans la salle. Pourtant quand on considère l'ampleur des chiffres des violences intra familiales, on se demande ce que signifie encore cette notion de vie privée alors qu'il s'agit en réalité d'un crime systémique commis dans le secret de centaines de milliers de familles. Ce linge sale, cette ignominie, ce n'est pas la mienne, c'est la nôtre, elle est à nous tous.
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Ce qui fait de ce livre [Lolita de Nabokov] un texte provocateur c'est, avant la situation qu'il décrit, le point de vue à travers lequel l'histoire est contée. Que le narrateur soit le coupable, le pédophile, et que le lecteur soit obligé, par l'intermédiaire de la voix narrative, d'entrer dans sa tête, de pénétrer les arcanes de ses raisonnements, de ses justifications, de ses fantasmes, voilà ce qui rend cette lecture si fascinante et troublante. On passe de l'adhésion au rejet, du dégoût à la compassion, du sourire face au sens de l'humour singulier du narrateur à l'horreur absolue. On le comprend et on ne le comprend pas, on accompagne sa folie jusqu'au bout, on craint ses Victoires et on se réjouit de sa déchéance. Ce choix du point de vue oblige le contrat de lecture à une subtilité sophistiquée : on joue le jeu de l'auteur qui se met dans la peau du criminel sans pour autant entrer en empathie avec le personnage. Et si l'aventure on s'y laisse entraîner, le texte se charge de nous rappeler, à des moments choisis que cet empathie fait de nous des complices du monstre.
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Dans mon milieu, on ne consulte pas, on a peur, et on sait aussi que dans les structures qui nous sont ouvertes, le service public submergé, les praticiens de province pas très bien formés, les services gratuits dont les salles d'attente sont remplies de cas sociaux, de véritables cours des miracles de la souffrance mentale, on a pas mal de chance de tomber sur quelqu'un de trop débordé ou d'incompétent.
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Videos de Neige Sinno (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Neige Sinno
Avec Catherine Cusset, Lydie Salvayre, Grégory le Floch & Jakuta Alikavazovic Animé par Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la NRF
Quatre critiques de la Nouvelle Revue Française, la prestigieuse revue littéraire de Gallimard, discutent ensemble de livres récemment parus. Libres de les avoir aimés ou pas aimés, ces écrivains, que vous connaissez à travers leurs livres, se retrouvent sur la scène de la Maison de la Poésie pour partager avec vous une expérience de lecteurs, leurs enthousiasmes ou leurs réserves, mais aussi un point de vue sur la littérature d'aujourd'hui. Comment un livre rencontre-t-il son époque ? Dans quelle histoire littéraire s'inscrit-il ? Cette lecture les a-t-elle transformés ? Ont-ils été touchés, convaincus par le style et les partis pris esthétiques de l'auteur ? Et vous ?
Au cours de cette soirée il devrait être question de Triste tigre de Neige Sinno (P.O.L.) ; American Mother de Colum McCann (Belfond), le murmure de Christian Bobin (Gallimard) ; le banquet des Empouses de Olga Tokarczuk (Noir sur Blanc).
À lire – Catherine Cusset, La définition du bonheur, Gallimard, 2021. Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, le Seuil, 2024. Grégory le Floch, Éloge de la plage, Payot et Rivages, 2023. Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous, Coll. « Ma nuit au musée », Stock 2021.
Lumière par Valérie Allouche Son par Adrien Vicherat Direction technique par Guillaume Parra Captation par Claire Jarlan
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