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Critique de Ode


Ode
31 décembre 2013
C'est un bien triste visage de l'Irlande que dévoile Martin Sixsmith dans cette poignante reconstitution. Sous couvert de morale religieuse, l'opprobre jeté sur les filles-mères par l'Eglise catholique jusque dans les années 60 servait un lucratif trafic d'enfants. Rejetées par leur famille, ces femmes — très jeunes pour la plupart, parfois victimes d'inceste — étaient enfermées dans un couvent spécialisé, exploitées et forcées de renoncer à tout droit sur leur enfant. Celui-ci pouvait alors être adopté, en échange d'une généreuse donation, par des couples d'Américains.

C'est ainsi que la jeune Philomena Lee, pour avoir approché de trop près un séduisant postier de Limerick, se retrouva enfermée à Roscrea pour 3 ans. Suant sang et eau à la blanchisserie de l'abbaye, elle paya son tribut pour la naissance du petit Anthony, qu'elle pouvait voir un peu moins d'une heure chaque soir. Contrainte d'abandonner son enfant, elle ne fut même pas informée de son adoption, si ce n'est par sa disparition soudaine du couvent en décembre 1955. Adopté par un couple aisé du Missouri en même temps que la petite Mary, Anthony devint Michael A. Hess et connut une brillante carrière d'avocat au Parti républicain. Malgré ses recherches, il ne revit jamais sa mère biologique. Quant à Philomena, après 50 ans de silence, elle finit par charger un journaliste de l'aider à retrouver son fils. Voilà comment Martin Sixsmith se lança sur sa piste.

Le titre anglais "The Lost Child of Philomena Lee" est plus juste que sa traduction écourtée, car "Philomena" couvre en réalité la biographie de Michael et non celle de sa mère qui n'intervient que dans la première partie et dans l'épilogue. Hanté par l'abandon, Michael éprouve un besoin compulsif de plaire, d'abord à ses parents adoptifs, puis à ses supérieurs, servant les républicains alors que sa sympathie va aux démocrates. Homosexuel, il ne peut se satisfaire de partenaires stables et s'avilit dans des relations à risque, jusqu'à contracter le sida. Alcool, drogue et sexe extrême : les virées de Michael dans les bars gays SM sont à réserver à un public averti.

Pour reconstituer le parcours de Michael et celui de sa soeur Mary, l'auteur s'efface devant son sujet, donnant juste quelques indications sur les documents et entretiens nécessaires à l'élaboration de chaque partie. Tous les personnages prennent vie avec intensité et leurs sentiments sont exprimés au plus juste. Les photographies au milieu du livre sont très bien choisies pour illustrer cette histoire tragique qui se lit d'une traite. En toile de fond, on trouve une analyse politique de l'Irlande au temps de la promulgation de la loi mère-enfant, et surtout des Etats-unis sur les questions de société, pointant les lacunes du gouvernement dans la gestion de l'épidémie de sida des années 80.

Rompant le silence coupable entretenu par l'Église, cet hommage littéraire est une façon de rendre Anthony à sa mère. Un lien posthume qui redonnera, je l'espère, un peu d'espoir à tant de vies brisées au nom d'une morale d'un autre temps.

Un grand merci à Babelio et aux Presses de la Cité pour la découverte de ce livre en avant-première, en attendant la sortie du film éponyme de Stephen Frears.
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