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Critique de Woland


ISBN : 97822662353003


Un court roman - deux-cent-trente-deux pages chez Pocket - sur un sujet grave : la dénonciation des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Enfin, disons que c'est là le thème central de ce livre et que s'y ajoute, tout naturellement, une description du climat de la Débâcle et de l'Occupation nationale-socialiste. le tout est présenté sous la forme d'une longue lettre - une lettre-confession, dirons-nous plutôt - écrite à un haut-gradé de la Kommandantur allemande, que complètent diverses copies de documents d'époque ou tout simplement traitant de l'époque.

Le narrateur, Paul-Jean Husson, est écrivain, académicien, Prix Renaudot, etc ... Il n'aime rien tant qu'énumérer toutes les personnalités - dont Guitry, évidemment incontournable dans le paysage alors qu'on oublie toujours de dire que Sartre par exemple fut joué lui aussi sous l'Occupation - que sa situation mondaine lui permet de côtoyer régulièrement. Question écriture, il possède ce style horriblement ampoulé qui fut très à la mode chez certains auteurs des années trente et quarante - celui-là même que les amateurs de romans sentimentaux ont vu à son apogée chez Berthe Bernage (et croyez-moi, ce n'est pas une référence. ) En d'autres termes, c'est catho bon teint, grand-messe et vêpres, "Sauvez, Sauvez la France ... et le Maréchal", vertu à la Tartufe et implorations tournées vers le Ciel et la Vierge presque à tout bout de champ. (Bon, j'exagère un peu mais dans l'ensemble, c'est ça. Alors, si l'expérience vous tente, accrochez-vous parce que je puis vous dire que si je n'avais pas promis à ma fille de lire ce "Monsieur le Commandant", j'aurai abandonné dès la dixième page. Et encore, j'étais dans mes bons jours ... )

Reconnaissons-le : Slocombe a admirablement restitué l'état d'esprit du personnage et de la petite-bourgeoisie normande qui l'a vu naître. Husson est un notable imbu de lui-même et du rang qu'il s'imagine tenir. En foi de quoi, il hurle avec les loups, méprise les Juifs et cherche à dissimuler à l'abri de la messe dominicale les ardeurs sexuelles des plus ardentes qu'il conçoit pour sa belle-fille, Ilse, que son fils, Olivier, a ramenée d'Outre-Rhin et qui, avec ses yeux bleus et ses boucles blondes, pourrait prétendre à personnifier Germania en personne. La Débâcle, qui survient sans avoir la politesse de prévenir un Etat-major français de vieilles badernes endormies sur leurs lauriers de 14/18, ne va pas arranger les choses. D'abord - oh ! horreur ! - notre Immortel apprend que sa belle-fille n'est pas seulement allemande : elle est également juive. Là-dessus, Olivier, tout secoué par la fin minable de la Drôle de guerre, rapplique chez son paternel pour lui annoncer qu'il va rejoindre De Gaulle en Angleterre - re-oh ! horreur ! . Assommé et furieux, Paul-Jean se retrouve tout seul - entretemps, il a perdu sa femme, Marguerite, d'une tumeur au cerveau - avec la charge d'Ilse, de sa petite-fille Hermione et d'un poupon encore à naître et qu'on baptisera en temps voulu Omer-Aristide - en souvenir du Maréchal.

Puisque je vois bien que c'est ça qui vous intéresse le plus dans l'affaire, je vous confirme sans plus attendre que oui, Paul-Jean et Ilse finissent par avoir une relation sexuelle. Une seule mais cela suffit : voilà la pauvre fille qui tombe enceinte et se précipite illico chez une faiseuse d'anges. Ici, je vous laisse imaginer les tourments endurés par le malheureux Paul-Jean - c'est tout de même lui le plus à plaindre, pas vrai ? - qui a conçu un enfant non seulement dans l'inceste mais encore dans l'impureté raciale la plus absolue puisque Ilse est juive.

Débarque alors une petite meute de gestapistes chapeautés par le célèbre Lafont, accompagnés de miliciens aussi hideux et redoutables qu'ils le furent dans la réalité. C'est un moment qu'on peut à bon droit qualifier de gore et dont on pourrait penser qu'il remettrait un peu les idées en place à notre Prix Renaudot à la dérive, qui ne sait vraiment plus à quel saint se vouer. Mais pas du tout : pour éviter qu'elle ne tombe entre les mains des gestapistes et des miliciens, pour sauver Ilse en somme mais aussi, ne l'oublions pas, pour sauver son âme à elle, celle de leur enfant à naître - Ilse n'a pas eu le courage de se faire avorter - et bien entendu la sienne propre, Paul-Jean décide de sacrifier son amour et prend sa plus belle plume pour dénoncer les origines de la jeune femme et la "recommander" (sic) aux bons soins des autorités nazies avec lesquelles, attendu qu'il se répand depuis 1940 en articles anti-sémites dans la presse de sa petite ville et aussi dans quelques journaux parisiens, il entretient (est-il utile de le spécifier ?) les meilleurs relations.

Viennent ensuite les documents et une explication sur la fin des différents personnages cités.

Que ceci soit bien clair : pas une instant je ne remets en cause la sincérité de Romain Slocombe, qui a lui-même des origines juives. le problème, c'est que son roman, qui est déjà à mon sens bien trop court vu la gravité et la profondeur des sujets traités - la trahison, la collaboration, l'anti-sémitisme, l'inceste - ne tient pas la route. Paul-Jean Husson est à la limite de la caricature alors qu'il aurait gagné - et le roman avec - à beaucoup plus de subtilité. Quant à l'intrigue, elle suit, vaille que vaille, en cahotant pas mal et en plongeant dans d'innombrables ornières. Bref, c'est une histoire pour ceux qui, justement, ne connaissent pas grand chose à L Histoire : les "bons" d'un côté et les "méchants" de l'autre, les "méchants" étant tous plus répugnants les uns que les autres. Il y a le Collabo petit-bourgeois, bon catholique, anti-sémite à tous crins, avec ça mutilé de la Grande guerre, qui fait tout le mal possible au nom de son pays et de ses croyances (il admet pourtant que Jésus était juif, reconnaissance que j'estime, à mon sens, totalement incohérente : pour les Paul-Jean Husson, le Christ est chrétien et n'a jamais été juif), s'apitoie beaucoup sur lui-même, finit condamné aux travaux forcés (quinze ans) à la Libération mais se voit gracié en 1952 et meurt en paix avec lui-même ... dans un monastère, sept ans plus tard. Il y a la Victime principale, juive et allemande, (dont on ne comprend absolument pas pourquoi elle cède à son beau-père mais bon ... ) ; toutes les Autres victimes : Juifs et résistants mêlés dans les plus affreuses tortures ; les Gestapistes et les miliciens, tous parfaitement ignobles ; et aussi, çà et là, quelques officiers nazis qui ne relèvent pas le lot, sauf (peut-être) le jeune S. S. Oskar Gröning, qui, dans l'un des "documents", assiste à la crémation d'Ilse et de bien d'autres mais en sort horrifié et choqué.

Parmi tous ces gens-là, on ne connaît, on ne voit, on ne lit que les états d'âme de l'Immortel : franchement, c'est insuffisant car, ce faisant, le lecteur n'obtient qu'un seul point de vue sur une situation dont le moins que l'on puisse dire est que, indépendamment même du contexte de l'époque, elle resterait des plus complexes. Evidemment, quelques notes en bas de page viennent (parfois) clarifier certains détails historiques mais ... tout le monde ne lit pas les notes, on s'imagine souvent que puisque c'est en bas de page, ça n'en vaut pas la peine.

Bref, pour me résumer (si j'en suis capable ) : malgré d'excellentes idées de départ, un livre frustrant, mal construit, qui s'embourbe vite. Dommage. ;o)
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