L'évocation du génocide de 1994 au Rwanda m'a toujours ravagée, de sa découverte lors de mon adolescence aux successives révélations et prises de conscience qui ont suivi.
Avec ce roman (un premier, un coup de maître),
Yoan Smadja met des mots sur l'indicible, même s' "il n'y a pas de mots", comme le répète telle une litanie Sacha, le personnage de son roman qui se retrouve aux premières loges pour découvrir l'horreur.
Ce livre dépeint avec justesse et émotion ce moment inconcevable de l'histoire du Rwanda.
L'émotion vient majoritairement de Rose, toute jeune rwandaise muette qui écrit à son mari Daniel des lettres pleines de tendresse et de tranches de vie sur le Rwanda "d'avant", pleines de souvenirs d'un quotidien coloré et parfumé. Des lettres sur leur fils Joseph également, et sur toute la joie qui l'entoure. Des lettres d'une incroyable poésie.
Rose a déjà connu un drame avec la mort de son père, assassiné parce que Tutsi. Mais sa famille va véritablement baculer dans l'horreur, à l'image de tout le pays.
La justesse vient de Sacha, journaliste française, et de son collègue Benjamin, photographe - même si l'histoire de Rose sonne tout aussi juste, elle est dans l'affectif.
Envoyés en Afrique du Sud, les journalistes sentent que quelque chose se trame dans la région des grands lacs. Direction Kigali, où l'horreur les dépasse, mais les pousse également à s'impliquer.
Sacha analyse parfaitement les origines du drame : les blessures laissées par la colonisation allemande puis belge, la déshumanisation de l'autre (appelé "inyenzi", "cafard"), le mantra du gouvernement "tuer avant d'être tué". Pourtant rien ne peut aider à tolérer l'inexplicable, et c'est pleine d'une douleur impuissante qu'elle livre une analyse qui, à elle seule, justifierait la lecture de ce livre. En voici de brefs extraits :
"C'est avant avril 1994 que nous aurions dû poser les yeux sur le Rwanda. [...]
Un pays ne se déchaine pas ainsi, en vingt-quatre heures. Des milliers de personnes ne se convertissent pas en une meute de tueurs du jour au lendemain.
[...]
À quel point faut-il avoir oublié que ces Tutsi sont des hommes?
Entre les Hutu et les Tutsi, la déchirure est celle du quotidien, elle est intime. On dénonce ses voisins.
[…]
On glisse dans l'absurde. "
Après ce désastre Sacha renonce à être journaliste de guerre et se reconvertit avec succès dans la critique gastronomique.
Mais son destin reste lié au Rwanda et à Rose grâce à une promesse.
La fin de ce roman aide d'ailleurs à le refermer empli d'une émotion positive, incroyablement régénérante, ce qui qui est salutaire après la lecture de tant d'atrocités.
Mais je n'oublierai jamais le Rwanda.
Merci à babelio, aux éditions Belfond et surtout à
Yoan Smadja pour ce roman magnifique et profondément bouleversant.