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Critique de jlvlivres


« Indices » est traduit par Sika Fakambi de « Inimations » (2021, Gallimard, 144 p.), recueil de 6 essais de Zadie Smith, écrits pendant le confinement.
En six parties, avec leurs titres originaux « Peonies », « The American Exception », « Something to Do », « Suffering Like Mel Gibson », « Screencrabs (After Berger, before the virus) » et « Post- Script » avec dix-sept chapitres en tout.
Au moment de la publication aux USA, en juillet 2020, l'année était bien entamée. le livre est donc court, étant donné l'incertitude, mais aussi l'agitation et, paradoxalement, le calme cette période. Agitation tout d'abord car c'est la mort de George Floyd à Minneapolis en mai 2020 et les protestations « Black Lives Matter » qui suivent. Calme, car c'est l'époque du confinement dû à la pandémie qui frappe le Monde.

« Pivoines » est le titre du premier essai, écrit à New York juste avant que sa trépidante vie urbaine ne s'arrête à la simple vue de fleurs criardes dans un parc entourant « Jefferson Market Garden ». C'est un triangle lumineux de tulipes de l'autre côté des grilles. Des tulipes roses et orange, symbole du printemps, espace de beauté juxtaposé à une « esthétique du centre-ville ». Elle souhaite que les fleurs soient des pivoines. Zadie Smith, et quelques autres femmes, se retrouvent attirées par ce symbole de fertilité. Elle poursuit en décrivant les écrivains comme ayant une « obsession du contrôle », car, selon elle, l'écriture créative est un acte de contrôle d'une expérience. « L'expérience – mystifiante, accablante, consciente, subconsciente – envahit tout le monde. Nous essayons de nous adapter, d'apprendre, de nous adapter, parfois en résistant, d'autres fois en nous soumettant à tout ce qui se présente à nous. Mais les écrivains vont plus loin : ils prennent cette confusion largement informe et la versent dans un moule qu'ils ont eux-mêmes imaginé. L'écriture est toute résistance ». de fait ce sont des tulipes, mais Zadie voudrait que ce soient des pivoines.
En décrivant l'écriture comme un acte d'exercice de contrôle sur une expérience, elle crée une dichotomie utile entre résistance et soumission. Aucune des deux conditions n'est entièrement bonne ou entièrement mauvaise, cela dépend simplement des circonstances. Mais comme c'est la réalité qu'elle tente de décrire, ce doivent être des tulipes. « Parfois, il est bien de se soumettre à l'amour et mal de résister à l'affection. Parfois, il est mal de résister à la maladie et il est juste de se soumettre à l'inévitable. Et vice versa ». Soumission forcée aux fleurs, et aussi au confinement. Avec le recul, les pivoines étaient son prélude à la quarantaine. le moment où le printemps entre en collision avec la « saison de la mort ». Cet épisode remet en question le concept de l'écriture en tant qu'effort « créatif ». En effet, « Planter des tulipes » est créatif, par rapport à l'écriture qui est un contrôle. de même, son identité de femme et de romancière, entre plaisir et inactivité, sont des défis en matière de contrôle et de soumission.
« L'exception américaine ». Zadie Smith parle de la façon dont la pandémie épouse la structure hiérarchique aux USA et de la façon dont les soins sont diffusés, dispensés et administrés différemment selon la population. Elle cite l'aspiration du président au bon vieux temps où « nous [les Américains] n'avions pas la mort ». Elle tente de comprendre pourquoi la réponse américaine à la pandémie a été si insuffisante à tous les niveaux. « Nous sommes formidables avec la mort […] nous sommes puissants en cela ». Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il y a eu des malades, des morts et des victimes. « Mais, en Amérique, tout cela impliquait une certaine culpabilité de la part des morts ». Les hypothèses initiales de Zadie Smith sur « la nature démocratique de la peste » sont en fin de compte inexactes et inégalitaires. La pandémie ne serait pas, en fait, le grand niveleur, touchant aussi bien les riches que les pauvres. « Les hiérarchies américaines, élaborées depuis des centaines d'années, ne sont pas si faciles à renverser. Les Noirs et les Latinos meurent aujourd'hui deux fois plus vite que les Blancs et les Asiatiques. Plus de pauvres que de riches meurent. Les arrondissements de New York deviennent plus rouges exactement de la même manière que si la nuance relative de pourpre ne tenait pas compte des infections et des décès, mais des tranches de revenus et des notes obtenues au collège ». Et en conclusions après que de nombreux Américains ont été choqués par le bilan des morts, elle critique les politiciens américains pour ne pas avoir réussi à introduire les soins de santé dans la sphère publique et pour les avoir plutôt privatisés. « Je sais maintenant que les élus de mon pays ont laissé tomber le pays. Je sais qu'ils utilisent la rhétorique de l'exception américaine pour justifier leur échec. Je sais que des gens en meurent ».
Elle poursuit avec « Quelque chose à faire », un court texte sur le temps, l'art et l'amour. Elle aborde le temps quand « il y a des travailleurs essentiels - qui n'ont pas besoin de chercher quelque chose à faire ; dont la tâche est vitale et implacable - et le reste d'entre nous, tous » qui disposons d'un certain temps libre. Dichotomie entre les « travailleurs essentiels » et les « artistes et les prisonniers : le temps et que faire avec ». Finalement, on occupe son temps pour avoir l'impression d'avoir quelque chose à faire. C'est juste une activité vivante, dans le temps et « l'activité ne masquera pas son manque d'amour ». C'est un rappel utile en ce sens que parfois un cliché amoureux est un cliché uniquement pour la raison.
Smith trouve soudain gênante la façon dont elle passait son temps auparavant. Soudain, sa famille, les personnes qu'elle aime le plus, voient aussi comment elle gère son temps. Elle désirerait de nouvelles façons de le gérer. « Il n'y a pas de grande différence entre les romans et le pain aux bananes ». Comparaison hasardeuse, mais où les sentiments sont bannis.
« Quelque chose à faire » semble comique, mais ce ne l'est pas, loin de là. C'est un cas quasiment de nihilisme pendant lequel, Zadie Smith est, comme tous les travailleurs non-essentiels, « confrontée au problème d'une vie soignée, sans distractions, sans ornements ni superstructures ». En conclusion, sa vie lui laisse tout juste « une petite idée sèche et triste d'une vie ».
C'est au tour ensuite de « Souffrir comme Mel Gibson » dans lequel l'acteur s'adresse à Jésus-Christ. le titre provient d'une photographie d'un Christ dégoulinant de sang avec sa couronne d'épines, avec une légende « Quand j'explique à mes amis parents d'enfants de moins de six ans ce que c'est que d'être confiné seul ». Ici Radio-Vatican et l'émission « le pape médecin parle aux enfants ». Ou comment parler de la souffrance personnelle en cette période d'angoisse universelle. « La souffrance a une relation absolue avec l'individu qui souffre – elle ne peut pas être facilement médiatisée par un troisième terme comme « privilège » ». En d'autres termes « la misère est conçue de manière très précise et est différente pour chaque personne » et elle n'est pas relative.
« Captures d'écran (Après Berger, avant le virus) » est le plus long essai, avec une série de sept scènes. Elle cite l'auteur anglais John Berger (1926-2017), le mettant en parallèle ou en concurrence avec le virus.
Romancier, nouvelliste, poète, peintre, critique d'art, John Berger est surtout un écrivain engagé qui mènera une existence spartiate de militant écologiste dans le village de Quincy, en Haute-Savoie. Ayant des problèmes de vue, il est opéré de la cataracte d'où es récits « Ways of Seeing » (1972) traduit en « Voir le Voir » et surtout « Cataracte » (2011, le Temps des Cerises, 67 p.) dans lequel il vante les bienfaits de sa double opération de la cataracte.
Elle brosse les portraits de certaines personnes, dont Ben, Myron et Barbara, de son quartier new yorkais qu'elle va quitter, avec sa famille pour trouver refuge dans leur maison londonienne. « Je n'ai moi-même aucun instinct de survie » bien qu'elle agisse « à ma manière passive ». Avant de quitter la ville, elle traverse néanmoins la rue pour éviter de passer devant son salon de manucure local afin que la masseuse chez laquelle elle va tous les deux jours ne la voie pas. Et quand la Femme au petit chien de son quartier lui dit « Tu seras là pour moi, et je serai là pour toi, et nous serons tous là les uns pour les autres, tout le bâtiment », Zadie Smith ne peut que murmurer « Oui, nous le ferons » et s'éloigner.
Enfin, dans « Postscript : le mépris en tant que virus » est une suite d'articles courts sur diverses personnes et sujets. Cela comprend les échanges entre Zadie et son masseur asiatique. Elle est incapable de se détendre et de rester à ne rien faire.
Retour sur la mort de George Floyd et le racisme systématique en Grande-Bretagne et aux USA. « Il faut vraiment beaucoup haïr un homme, pour s'agenouiller sur son cou jusqu'à ce qu'il meure sous le regard de toute une foule et d'une caméra, sachant les conséquences que cela aura probablement sur sa propre vie. (Ou bien il faut être assez certain de son immunité – contre la masse. Ce qui n'a jamais été un pari tellement risqué pour un agent de police blanc dans l'histoire des États-Unis.) ».
C'est un sujet auquel Smith a déjà profondément réfléchi et qu'elle peut rhétoriquement lier à la pandémie. le concept d'« immunité collective », dans cet essai, devient le credo selon lequel la classe dirigeante a toujours vécu « l'immunité. du troupeau ».



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