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Critique de belcantoeu


Ce livre bouleversant, qui a reçu plusieurs prix, donne un éclairage essentiel sur le problème des migrations actuelles, mais rappelle aussi qu'entre 1850 et 1914, près de 60 millions d'Européens ont quitté leur continent, surtout pour les deux Amériques, l'Australie et l'Afrique du sud. Pourquoi l'Afrique n'aurait-elle pas les mêmes droits (p. 179)?
Impossible de résumer ce livre. Je me contente de quelques données qui interpellent et je renvoie le lecteur à ce livre qui mérite d'être lu en entier par tous.
En 1885, au sortir de la conférence de Berlin, l'Europe (sans la Russie) comptait 275 millions d'habitants. L'Afrique, 6,5 fois plus vaste, environ 100 millions. de 1960, année de l'indépendance de nombreux pays d'Afrique, à 2015, la population sud-saharienne est passée de 230 millions, grâce notamment à l'amélioration des conditions sanitaires apportées de l'extérieur. C'est la plus forte croissance démographique de l'histoire de l'humanité (p. 36): entre 1930 et 2050, multiplication par 16 contre multiplication par 1,7 en France, avec 7,6 enfants par femme dans certains pays du Sahel (p. 142), région où la hausse des températures (3 à 5° d'ici à 2050) devrait encore faire chuter la production agricole, jusqu'à 50% au Niger, au Tchad et au Soudan alors que la population va tripler (pp. 143-144). le lac Tchad ne couvre plus que 10% de sa superficie de 1960 et pourrait disparaitre dans 20 ans. Qui s'en émeut?
En Afrique sub-saharienne, 80% des écoles publiques n'ont pas d'eau potable et 75% pas de toilettes. Faute d'écoles publiques, des millions de jeunes illettrés fréquentent des madrasa financées par les pays du Golfe, où ils apprennent à mémoriser des versets du Coran, notamment dans les régions de Boko Haram.
Conclusion inévitable (p. 14) : «la jeune Afrique va se ruer vers le Vieux Continent». Cela rappelle la migration des Mexicains qui représentent aujourd'hui 10% de la population des Etats-Unis. D'ici à 30 ans, entre 1/5 et 1/4 de l'Europe pourrait être peuplée de 150 à 200 millions d'Afro-Européens, contre 9 millions aujourd'hui. Les mieux instruits, en Afrique, ne croient pas à l'avenir sur place. Ils se sauvent, mais ne fuit pas qui veut: il faut un pactole de départ venant de la famille, voire s'endetter, pour payer les passeurs entre 1500 et 2000 euros, une somme énorme, plusieurs fois le revenu annuel (p. 137). Donc une élévation du niveau de vie augmentera la migration (p. 141). La part du Maghreb dans les flux migratoires diminue au contraire avec l'élévation du niveau de vie dans cette région.
En 2015, 1.015.000 migrants ont atteint le littoral européen mais 3.771 sont perdus en mer (0,37%). La même année, le risque de mourir en couches était de 1,7% au Sud-Soudan (p. 164). Les passeurs prennent de moins en moins de risques (mais pas moins d'argent). Ils chargent l'un des passagers de l'appel au secours dès l'entrée dans les eaux internationales et emmènent les migrants à la lisière des eaux internationales avant de repartir avec le moteur et de laisser leurs clients dériver... à charge pour les humanitaires... (p. 166). Les migrants prennent un risque semblable aux risques qu'ils prennent dans la vie qu'ils laissent derrière eux (p. 166). Une rencontre migratoire à grande échelle se prépare donc entre l'Afrique et l'Europe (p. 169) du fait de la démographie (nonchalance par rapport à la planification des naissances, contrairement à la Chine qui a pris des mesures radicales dans l'autre sens, mais aussi le Bangladesh et la Jamaïque), de la pauvreté et du manque de perspectives offertes par les dirigeants africains qui ne se soucient pas de leur peuple. Cette planification des naissances serait le moyen le plus efficace pour augmenter la richesse par tête d'habitant, mais rien de cela n'est entrepris en Afrique (p. 180).
La diaspora du Cap Vert (700.000 personnes) est plus importante que ceux qui sont restés au pays (600.000). Un bon tiers des médecins africains restent dans les pays de l'OCDE et tout le monde s'accommode de cette fuite des cerveaux (p. 203).
En 1900, un quart de la population mondiale était européenne. En 2050, il n'y en aura plus que 7%, et près d'un tiers d'entre eux aura plus de 65 ans. Entre 2000 et 2050, de 4 actifs pour un dépendant, on passera à 2. Au Niger, ce sera 19 en 2050. Il faut donc en Europe rester actif plus longtemps (p. 197).
La consolidation démocratique n'est pas pour demain. du fait de la corruption et du manque d'avenir, 42% des Africains âgés de 15 à 24 ans et 32% des diplômés du supérieur souhaitent émigrer (p. 22). Selon l'ONU, l'UE devrait accueillir un million d'immigrés par an d'ici à 2050, pour stabiliser sa population, mais avec de moins en moins d'actifs pour supporter le poids des vieilles générations. Pour maintenait le rapport actuel, il faudrait 1,6 millions d'immigrés par an, et donc un nombre accru de mineurs à scolariser. Merkel l'a compris, mais pas ceux qui veulent maintenir un Etat «ethniquement pur». Ce besoin de main d'oeuvre immigrée n'est pas nouveau: l'Europe a déjà fait venir en masse la main d'oeuvre qui lui faisait défaut, Italiens et Marocains notamment. Aux Etats-Unis, plus de la moitié des techniciens de la Silicon Valley sont d'origine asiatique, contribuant à la prospérité du pays, n'en déplaise à D. Trump, lui-même descendant d'immigré ayant épousé une... immigrée illégale. Depuis 1990 et le début de la révolution numérique, le quart des entreprises américaines ayant enregistré la plus forte croissance ont été créées par des étrangers (p. 187). Mais «la diversité a besoin d'un ancrage dans la similitude, autant que l'inverse. À défaut, la confiance interpersonnelle s'érode» (p. 191), mais l'auteur n'en dit pas beaucoup plus à ce sujet.
Il demande aussi comment l'Amérique ou l'Australie auraient pu bâtir leur prospérité sans un afflux massif d'immigrants.
Au sud du Sahara, des gratte-ciels se construisent en même temps que des huttes en torchis; la 4G coexiste avec les «tambours parleurs». Les temps se télescopent. On peut naitre au Sahel et devenir astrophysicien à la NASA, puis premier ministre du Mali comme Modibo Diara, mais combien d'autres meurent avant cinq ans dans ce continent, archipel des adultes en échec, en attente d'une vie pleine qui se refuse à eux.
En 2100, sur une population mondiale de 11 milliards d'habitants, 40% seront africains. Les taux de croissance les plus élevés sont le Burundi, l'Angola, le Malawi, le Mali, la Somalie, l'Ouganda, la Tanzanie, la Zambie et le Niger. D'ici à 2100, 3 naissances sur 4 auront lieu au sud du Sahara (p. 50). Abidjan a multiplié sa population par 40 depuis 1960. Kinshasa, la ville francophone la plus peuplée du monde, par 30, N'Djamena par 55, et ce ne sont que des exemples (p. 55). «Il y a peu de chances que cette multitude attende patiemment son tour au guichet de la prospérité... un grand nombre d'Africains poussera les portes vers le monde entier, à commencer par l'Europe» (p. 117). Selon l'ONU, entre 2015 et 2050, 91 millions de personnes originaires du sud vont s'établir dans les pays riches de l'OCDE dont 82% de la croissance démographique viendrait de l'immigration (p. 132).
Les 10% les plus riches de la terre possèdent la moitié du patrimoine mondial. Combien de temps cela peut-il durer, « d'autant qu'en même temps, les télévisions satellitaires du Nord arrosent la salle d'attente planétaire d'un flot d'images de leur prospérité » (p. 133)? On apprend à se débrouiller, avec «des savoir-faire toujours susceptibles d'être utilisé dans l'avenir à d'autres fins» (p. 159).
En Asie et en Amérique latine, au contraire, des centaines de milliers de personne sont sortis de la pauvreté absolue. L'Afrique n'y arrive pas.
Exemple des conséquences de l'emballement démographique en Afrique: avec une croissance démographique de 3% par an, il faut un taux de croissance de l'économie de 7% pendant 18 ans pour doubler le PNB. On en est loin. le PNB de la République Démocratique du Congo est à peu près le même qu'en 1960, année de l'indépendance, mais avec un quadruplement de la population, le revenu par habitant n'est plus que le quart de ce qu'il était, et cela dans un pays potentiellement très riche (hydroélectricité, minerais, tourisme, agriculture, sylviculture,...). L'euphorie des indépendances a fait long feu. L'aptitude des dirigeants à accélérer le développement aussi (p. 111). le clientélisme et l'incompétence empêche le développement. Les pays vivent essentiellement des droits de douane, des matières premières et de l'aide extérieure qui les dispense de plus d'efforts. L'Etat ne fait rien, et s'offre à des partenaires extérieurs. En Centrafrique, la douane a un moment été confiée à un ancien mercenaire français qui partageait les gains avec l'Etat (p. 112). En République Démocratique du Congo et en Ouganda, 71% des écoles sont privées. En 2015, la production d'électricité de toute l'Afrique égalait celle de l'Espagne ou de l'Argentine, bien inférieure à la consommation de la seule ville de New York (p. 115).
La production alimentaire est très faible. Exemple: au Sahel, une tonne de céréales à l'hectare contre 9 en France. Moins d'1/2 litre de lait par vache et par jour contre 25 en France. Sur 1000 exploitants, il n'y a que 2 tracteurs (p. 70).
Le livre parle aussi des déportations massives d'esclaves entre le 7ème et le 19ème siècle, surtout par la Grande Bretagne et le Portugal (pp. 37-38), et de bien d'autres sujets que je vous laisse découvrir, dont les éléments de conclusion.
Merci à Masse critique et à l'éditeur qui m'ont permis de vous livrer ces quelques premières indications.
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