"Je me suis arrêtée et, lorsque je me suis arrêtée, l’homme s’est lui aussi arrêté.” “Après ?” “J’ai retroussé ma jupe.” “Après ?” “L’homme a enlevé son caleçon.” “Et alors ?” “Je me suis remise à courir.” “Après, qu’est-ce qui s’est passé ?” “Ce qui devait se passer, une femme à la jupe retroussée court bien plus vite qu’un homme le caleçon tombé aux pieds.” »
La vieille religieuse affirme qu’elles doivent se séparer avant que l’homme ne leur mette la main dessus, qu’au moins l’une d’elles sera sauvée. Elles s’enfoncent dans des rues distinctes sans savoir ce qui les attend. Tout en courant vers la droite la jeune religieuse se dit que désormais elle ne doit plus regarder en arrière. Elle se souvient de l’histoire racontée dans le Livre sacré et, pour ne pas subir le sort de ceux qui se retournent de loin et regardent la ville une dernière fois, son regard plonge dans des rues étroites et, changeant continuellement de direction, elle court dans l’obscurité.
La vieille lui répond qu’un homme qui leur file le train dans une rue déserte et obscure n’a qu’un seul but en tête : les agresser. Elles grimpent la côte affolées. Il n’y a personne aux alentours ; en ce jour subitement chaud, les gens ont afflué sur le pont de Galata, sont descendus au bord de la Corne d’Or et à présent, au milieu de la nuit, ils ont déserté les rues. La jeune religieuse avertit que l’homme se rapproche d’elles, qu’il va les rattraper avant qu’elles n’atteignent le sommet.
Comme depuis des jours le temps tournait sur lui-même, nous étions incapables de discerner de quel côté s’écoulaient le jour et la nuit. Nous connaissions la souffrance et nous revivions tous les jours la terreur qui envahissait nos cœurs lorsqu’on nous conduisait à la torture. Dans ce bref intervalle de temps où l’on se préparait à souffrir, l’homme et l’animal, le sage et le fou, l’ange et le démon étaient des semblables.