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Critique de Kirzy


Kirzy
08 novembre 2021
Cette enthousiasmante histoire a l'audace de s'emparer avec une originalité folle de la tragédie de la traite négrière. Lors de la traversée de l'océan Atlantique, les négriers balançaient par-dessus bord les femmes enceintes. Dans le roman, les bébés à venir naissent sous l'eau avec la capacité d'y respirer comme ils le faisaient in utero entourés de liquides amniotiques. Sauvés par les baleines, ils sont à l'origine d'un peuple sous-marin, les Wajinrus, qui a construit une civilisation à l'abri des abysses.

Ce n'est pas Rivers Solomon qui a imaginé cette histoire fantastique. Tout est expliqué dans la postface signée Daveed Diggs, membre du groupe de hip-hop Clipping. Dans les années 1990, le groupe de techno Drexciya a inventé un mythe afrofuturiste autour d'une civilisation sous-marine, repris par Clipping dans son single The Deep, ajoutant des paroles à la base instrumentale de Drexciya. Jusqu'au roman de Rivers Solomon qui propose à son tour sa version de la mythologie initiale, complétant le récit de la chanson, utilisant les mots du refrain «  Y'all remember », en amplifiant le sens pour en faire un élément fondamental de son univers fictif.

Rivers Solomon a construit un très beau personnage pour nous guider dans cette civilisation. Yetu est l'historienne des Wajinrus. C'est la dépositaire de six siècles d'histoire. Elle doit rassembler les souvenirs ancestraux de chaque Wajinru pour permettre à ceux-ci de vivre sans eux. C'est à elle de supporter la douleur du passé jusqu'au rituel annuel du Don de mémoire, où elle doit renvoyer les souvenirs avant d'en reprendre le fardeau. Jusqu'à ce qu'elle craque sous le poids de la mission, se révolte et fuit à la surface de l'océan, vers le monde des Deux-Jambes, celui des hommes.

Les Abysses est un conte, une fable, une parabole. Tout y est allégorie. La réflexion sur l'ambiguïté de la mémoire est très intelligemment menée, à la fois bénédiction et malédiction. le souvenir peut maintenir une culture en vie mais la pratique du souvenir ritualisée de la brutalité passée peut empêcher la vie, nourrir la colère sans se projeter sur un futur constructif. le propos est limpide et débouche sur la thématique de l'identité avec deux choix opposés : se replier sur un communautarisme identitaire ou s'ouvrir à l'altérité dans l'acceptation de la différence, quitte à prendre des risques.

J'ai été fascinée par la poésie des parties sous-marines du récit et la clarté des images qui s'imposaient à moi. Moins par les parties terrestres très naïves, lorsque Yetu rencontre le monde des hommes comme Candide découvre la dure réalité du monde. le récit, est très court mais les informations contemporaines surabondent ( écologie, notions de genre, racisme ) trop pour être traités en profondeur, se juxtaposant en couches sans être totalement embrassées, me laissant une bizarre impression de frustration alors que ce conte est totalement cohérent et très riche. J'avais vraiment besoin de plus de romanesque ou d'un supplément de complexité pour ne pas être laissée sur le quai dans la deuxième moitié du récit.
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