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Critique de SZRAMOWO


Voyage dans le temps avec cette saga à la Ken Follet signée François-Henri Soulié. Fin du XIIème siècle, les esprits bouillonnent dans le Sud de la France entre Carcassonne et Narbonne.
L'auteur nous livre une peinture très réaliste des enjeux économiques et sociaux de la société de l'époque qui s'invente. D'autant plus réaliste qu'elle est servie par des personnages hors du commun.
L'église a de plus en plus de mal à maintenir son contrôle sur la société. La noblesse rurale lui dispute son pouvoir. Les abbayes se font concurrence. Des catégories sociales nouvelles émergent, tailleurs de pierre, bistrotiers, artisans, qui veulent aussi s'affranchir des dogmes de l'église et des obligations imposées par la noblesse.
Chacun des personnages du roman porte les certitudes, les interrogations et les doutes de sa communauté.
C'est dans ce contexte que vont naitre les Cathares considérés comme hérétiques par Rome. Au sein de ce mouvement on trouve Enric de Malpas et sa femme Aloïs, des tisserands :
« Enric en est revenu fort meurtri de l'anathème lancé contre eux par le redoutable archevêque d'Arsac parlant au nom du pape. le prélat a même usé à leur égard d'un mot inconnu pour désigner leur prétendue infamie : catharos . C'est, paraît-il, une invention d'un évêque allemand, Eckbert de Schönau. Ce suppôt de la papauté a écrit un traité intitulé Sermones contra catharos , rédigé à l'encontre d'autres communautés chrétiennes semblables à la leur, au-delà du Rhin.
Au retour d'Enric à Narbonne, tous ont été troublés par le récit qu'il leur a fait de cette entrevue de Lombers. Il leur a expliqué que catharos signifie « pur » dans la langue grecque, mais que, dans la bouche de l'archevêque, cela sonnait comme un mot de dérision et de mépris. »
Les doutes sont aussi du côté de la noblesse, le chevalier fraîchement adoubé Raimon de Termes s'interroge : « Il y a trois jours de cela, au matin de son adoubement, il a juré de protéger l'Église. Mais quelle Église ? Celle de cet archevêque pétri de vices, infatué de son rang et ennemi déclaré des pauvres ? Celle encore de ces moines orgueilleux, félons et corrompus ? »

Entre Arnaud de Fabreza le seigneur de la région, et Mgr Pons d'Arsac l'archevêque de Narbonne, le courant ne passe pas :
« — Et l'Évangile ne nous enseigne-t-il pas à aimer les pauvres ?
— Certes, réplique l'archevêque en pinçant les lèvres, mais l'Évangile fut écrit en un temps où les pauvres se tenaient à leur place. »

Autour d'Aloïs et Enric, les certitudes sont réelles : «— Hérétiques est le nom que nous donnent les serviteurs du pape, mais nous sommes les serviteurs de Jésus. Nous sommes les Vrais Chrétiens. » , et on pose les bonnes questions : « J'ajoute que cette religion ne demande rien, ne veut rien posséder et ne prélève pas de dîme. On peut aisément comprendre que de tels arguments parlent aux simples et aux pauvres. Et voyez quel avantage cela représente pour la noblesse ! Tout l'intérêt des seigneurs est de n'être plus inféodés à Rome. Cela, l'Église catholique ne le tolérera jamais. »

Parfois, les points de vue se rapprochent comme autour de l'Abbaye de Saint Hilaire,
« — Pour tout dire, l'abbaye a vu diminuer ces derniers temps le nombre des pèlerins. Ce bon Hilaire semble quelque peu tombé en désamour. Notre ami, l'abbé Deltheil, a pensé qu'il était nécessaire de ranimer l'engouement pour la vénération des reliques en invitant le saint martyr dans ses murs. Je l'ai encouragé dans cette visée.
— Sage décision. Les cendres du premier évêque toulousain à Saint-Hilaire, voilà qui renforcera l'abbaye et rabattra les prétentions du comte de Toulouse.
Décidément on ne peut rien cacher à l'archevêque. Il est aussi fin politique qu'homme d'Église avisé. »

Parfois, la lutte est féroce au sein même des abbayes. A l'Abbaye de la Grassa, la succession de Maître Robertus est au coeur des discussions :
« — Je croyais que votre abbé avait désigné frère Diego comme successeur.
— Oh ! oui, oui. Robertus a fort bien préparé sa succession, et avec la plus grande sagesse. Mais ce sera quelqu'un d'autre qui lui succédera et non pas celui qu'il a imaginé.
— Comment pouvez-vous être aussi péremptoire en ce qui concerne un sujet tellement hasardeux ?
— Il n'y a rien de hasardeux dans les rouages d'une abbaye. Il peut survenir un accident, oh ! oui, oui. Mais point du tout de hasard… »

Mestre Béneset l'apothicaire a rejoint le mouvements des vrais chrétiens, son point de vue est toutefois plus nuancé que ceux du couple de tisserand, il est un scientifique :
« La demeure de mestre Béneset est une caverne aux mille senteurs. Dans la vaste pièce du premier étage où il reçoit ses hôtes, d'innombrables bouquets ont été mis à sécher, pendus aux solives, créant une sorte de jardin à l'envers où les plantes pousseraient tête en bas. D'innombrables boîtes et coffrets, disposés sur les meubles à étagères qui tapissent les murs, répandent les parfums de toutes les épices, les résines, les encens et les graines connus sur la terre. Auprès des boîtes sont d'autres récipients, pots de céramique ou fioles de verre, marqués d'inscriptions en langue grecque, latine ou arabe, indéchiffrables pour le profane. »

Jordi de Cabestan le tailleur pierre entend rester fidèle à son art quelque soient les circonstances : « Dès demain il se mettra à son véritable ouvrage : la sculpture en haut-relief d'un sarcophage destiné à contenir les restes de saint Sernin. Cet édifice constituera le maître-autel de l'abbatiale. Ce sera aussi le chef-d'oeuvre du sculpteur, l'aboutissement de toute une vie besogneuse passée à dialoguer avec la pierre. »

Au sein des abbayes, le débat fait rage sur les représentations religieuses et les images que les artistes en font : « Et que pouvions-nous faire, pauvres moines démunis, face à la puissance de ces abbés tout dévoués à leur propre gloire ? Nous sommes devenus la risée de nos chapitres qui ne voyaient en nous que les survivants d'un passé révolu. Partout, dans nos monastères, nous avons vu ces bruyants imagiers venir troubler le cours de nos méditations à grands coups de marteau et défigurer les maisons de Dieu par leurs images impies… »

La saga de François-Henri Soulié peut paraître longue (500 pages) mais elle n'est jamais fastidieuse, explorant via les personnages tous ce qui constitue la société de l'époque.
Les illustrations sont nombreuses et précises, « Ce matin, ce sera une purée de panais agrémentée d'un morceau de poisson fumé. Dans les maisons des Vrais Chrétiens, la viande est proscrite. Seul le poisson est autorisé en souvenir du miracle accompli par Notre-Seigneur sur le lac de Tibériade. Hors cette exception, on ne saurait faire ripaille de l'agonie d'un animal. Pas plus qu'on n'oserait répandre la moindre goutte de sang humain en bravant l'interdit du sixième commandement transmis par Moïse. »
L'humour n'en est pas absent : « En latin, cela s'appelle petroleum . Il m'a été rapporté d'Orient par un homme qui avait suivi la dernière croisade. Hélas ! je n'en possède qu'une amphore bien petite et il ne serait pas très sage de susciter une nouvelle croisade sous le seul motif d'aller nous approvisionner en petroleum ! »

Le fil conducteur est l'enquête que mènent chacun de leur côté Raimon, Jordi et Aloïs, pour débusquer l'assassin qui vise les compagnons tailleurs de pierre. Comme souvent la question qu'ils se posent est « à qui profite le crime. » ?

Angelus est un ouvrage agréable et facile à lire. Il nous plonge dans une période de l'histoire qui se terminera par la tragédie des Cathares.
Ouvrage intéressant et à lire.
Gageons que François-Henri Soulié écrira une suite à Angelus.
Lien : https://camalonga.wordpress...
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