1924 Reevesville. Gertrude Caison dite Gertie et son mari Alvin ont fui Brancheville pour espérer avoir une vie meilleure. Parents de quatre filles, ils ont laissé les deux aînées au frère de Gertrude, Berns. Si Otto a embauché son fils pour travailler dans sa scierie, la situation financière d'Alvin et de sa femme continue à empirer. Ils n'arrivent pas à manger à leur faim et Alvin boit de plus en plus, ce qui le rend de plus en plus violent. Pour couronner le tout, la plus jeune de leurs filles, Mary, six ans, est gravement malade.
Pour essayer de s'en sortir et surtout sauver ses filles, Gertie va prendre une grave décision: laisser toutes ses filles chez son frère à Brancheville et trouver du travail chez Mr et Mrs Coles, qui, en plus de posséder la plupart des terres du comté, sont également propriétaires d'un atelier de couture florissant. Gertrude sait déjà qu'Alvin ne la laissera jamais travailler. Pourtant, c'est leur unique moyen de s'en sortir. Sur le chemin du retour à Reevesville, la rencontre avec une mère alligator va pousser Gertie à commettre l'irréparable…
Trois femmes, trois milieux sociaux différents, trois destins liés. Au fil de ces 390 pages, nous allons faire la connaissance de Gertie, de Retta, la bonne noire et d'Alice Coles.
J'ai eu beaucoup de mal avec le personnage de Gertrude au début du récit. Malgré sa souffrance et la situation désastreuse dans laquelle elle se trouve, je n'arrivais pas à avoir d'empathie pour elle. Je la trouvais froide, distante, sans état d'âme. J'ai compris par la suite qu'il n'en pouvait être autrement. Comment aurait-elle pu réagir face à un mari alcoolique et violent? Encaisser les coups, voilà le quotidien de cette mère de famille. La violence, le manque d'argent, de nourriture, l'insalubrité, la maladie s'enchaînent depuis la mort de sa mère, qui ne voulait d'ailleurs pas qu'elle se marie avec Alvin. L'instinct maternel sans doute. Depuis, Gertrude ne vit plus mais survit. Et sa force de caractère et son courage m'ont impressionnée.
Retta est la fidèle bonne des Coles, comme sa mère l'a été avant elle. Elle appartient à la première génération des esclaves affranchis. Retta est douce, généreuse, loyale, fidèle, elle a été celle pour laquelle j'ai eu le plus d'empathie. Car Retta n'est pas qu'une simple domestique, elle est indispensable à la famille Coles et connaît tous leurs secrets. Retta est omnisciente, voit tout et même ce que les autres ne veulent ou ne peuvent pas voir. Dans ce monde où la couleur de peau domine encore, la domestique est celle qui se distingue le plus par son intelligence et sa finesse d'esprit.
Nordiste, venant de Charleston, Annie Coles, 70 ans, est mariée à Edwin Coles depuis plus de cinquante ans. Ils forment un couple heureux et soudé. Pour tromper l'ennui, Annie s'occupe de l'atelier de couture avec son fils Lonnie. Si elle semble mener la grande vie, Annie renferme une blessure secrète: le suicide de son fils, Buck, à 12 ans. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, ses deux filles Sarah et Molly ont déserté le cocon familial peu de temps après la tragédie. Sans qu'Annie ne connaisse réellement la raison de cette rupture…
Ce roman choral donne la parole à ces trois femmes. Chaque chapitre est à l'image de celle à qui il donne la parole. Ainsi, le langage plutôt familier et oral de Retta et Gertrude tranche avec celui, plus soutenu, de dame Annie. J'ai aimé ce style qui donne beaucoup d'authenticité. À chaque prise de parole, j'entendais Gertrude, Retta ou Annie. Nous savons ainsi ce qu'elles pensent et ce qu'elles ressentent.
Ce roman a gagné en intensité au fil des pages. Si j'ai eu du mal avec les personnages au début du roman, n'ayant aucune empathie pour eux, je me suis surpris à ne pas vouloir les quitter. Ces femmes vont faire corps face aux hommes et à l'indicible. Malgré leur différence d'âge, de couleurs, de milieux sociaux, Gertrude, Retta et Annie vont se rapprocher « grâce » à leurs failles et à leurs blessures. Toutes blessées, toutes meurtries, elles ont également toutes perdu un être cher. Unies dans l'adversité, ce trio va nous livrer un dénouement explosif.
Je conseille?
Je suis passée par plusieurs types d'émotions durant cette lecture. L'indifférence, l'incompréhension, la colère, la tristesse se sont succédé au fil des pages. Ce roman est sombre, dur, à l'image de la vie de ces femmes. Aucune n'a été épargnée par la vie. Elles ont toutes perdu un être cher, ont été maltraitées physiquement ou moralement et pourtant elles s'en sorties. Ensemble.
le chant de nos filles (re)donne la parole à ces femmes à qui l'on a demandé de se taire trop longtemps. Un premier roman révoltant et percutant.
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