Les gens qui veulent partir n'importe où ne cherchent pas forcément à se retrouver ailleurs, ils veulent juste ne pas rester où ils sont.
Tessie et moi, on serait restées à notre place, pas du tout parce qu'on se croyait heureuses, mais parce qu'il faut d'abord que les choses arrivent avant qu'on puisse les regretter, et aussi parce que le sachet de pickles n'était pas encore vide.
Les enfants, sont comme des souris : pas besoin de beaucoup d'espace pour les laisser passer.
Ça c'est sûrement passé de la même façon que pour le sable de mer : au départ, les grains constituaient ensemble un rocher qui n'avait pas l'intention de s'effriter, mais au bout du compte, le temps et l'eau en ont décidé autrement.
Chaque vie se résume à une simple somme algébrique, mais peu de gens s'y prennent à temps pour faire le compte depuis le début. Ceux qui tentent le coup en deviennent malades ou dérangés, ils fixent à l'avance un nombre précis de mastications pour que ça soit clair dès le départ et en défalquent tout mouvement de mâchoire. Leur existence à eux n'est pas une addition, mais une différence. Ils se remettent à zéro.
Pour nous, c'est clair : Tessie a chargé son corps d'assurer le secrétariat de ses émotions. Plus elle est mal, plus elle fait d'heures supplémentaires. De là où je suis, assise sur la troisième marche, je peux sentir qu'elle a faim.
J'étais la croûte sur la plaie, je devais tomber sans avoir à être écorchée.
Voilà une bonne demi-heure que j'essaie de me réchauffer les doigts, posés sur mes genoux. Mes moufles sont restées à Bruxelles, chacune piquée sur une patère du portemanteau, en train de faire coucou à l'appartement desert et sans doute étouffant. J'ai oublié de couper le chauffage ce matin.