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Critique de AMR_La_Pirate


C'est avec le premier opus de Saison brune, une édifiante enquête au long cours sur le changement climatique, publié chez Delcourt en 2012 que Philippe Squarzoni s'est fait connaître du grand public en obtenant plusieurs prix.
Je découvre Saison Brune 2.0 (Nos empreintes digitales), sorte de prolongement de cette réflexion documentaire, plus particulièrement axée sur le tout numérique, à l'heure où les écosystèmes s'effondrent. L'auteur s'interroge sur la place des nouvelles technologies dans le monde que nous transmettons aux nouvelles générations.

Naturellement, il faut apprécier à sa juste valeur le jeu de mots du sous-titre : est digital ce qui se rapporte aux doigts, sans doute ici ceux qui utilisent un clavier, y laissent une empreinte ; mais « digital » est aussi un synonyme de « numérique ».
Mars 2020, un père et sa fille en plein confinement : il télétravaille, elle regarde des DVD, les rues de Paris sont désertes, les magasins fermés. Ils sortent seulement pour se ravitailler.
Tout est ralenti, figé et cette impression est accentuée par la brièveté ou l'absence de texte, les dialogues conventionnels pour passer le temps, les silences accentués par les graphismes. Philippe Squarzoni plante longuement son décor sur une trentaine de pages avant de parler de la communication par écrans interposés et de l'omniprésence d'Internet pour le commerce, l'enseignement, les consultations médicales, le travail, les démarches et mêmes les liens familiaux ou amicaux, les distractions… Puis, la BD prend une tournure plus documentaire avec des chiffres, des graphiques et des arguments précis et pose des questionnements pertinents sur fond de ralentissement général des activités, validant le fait que cette période aurait pu être porteuse de réflexions sur le long terme.

L'ambiance générale est monochrome avec de très beaux dessins en noir et blanc, détaillés, des physionomies travaillées mais peu expressives au premier abord. L'ensemble semble à la fois réel et dématérialisé, véritable métaphore du sujet de la BD.
J'ai vraiment apprécié toute la partie autour de la déambulation dans Paris, le choc des légendes et des dessins, juxtaposant parfois des situations contrastées ; en effet, comment parler, par exemple, du tout-numérique devant des SDF, des jeunes de quartiers défavorisés… le sans-contact accentue les fractures sociales car il y a un revers à la dématérialisation pour toutes celles et ceux qui n'ont pas les moyens ou la capacité d'accéder au tout-numérique ou qui résident en zones blanches…
J'ai bien aimé aussi le côté surréaliste de la nature qui reprend ses droits avec des animaux, certains exotiques, qui s'égaient dans les rues et les rayons du supermarché.
Plus en avant dans le récit, le jeu des contrastes se poursuit, mêlant scènes idylliques et éléments anxiogènes. Pendant que nous regardons des séries sur Netflix ou des vidéos sur Tik-Tok, la planète agonise.
Les politiques ne sont pas épargnés, leur inertie et les mauvaises raisons qui les motivent sont épinglées.
Vers le milieu de la BD, des pages interrogent nos nouveaux modes de vie, le père déambule seul au milieu d'objets significatifs, une sorte d'avant/après le numérique, puis il retrouve la main de sa fille. Ces planches illustrent bien l'enjeu de la difficile transmission générationnelle.

La réflexion est intéressante sur le pouvoir grandissant des grandes plateformes numériques, le devenir d'une société ultra-connectée. Si le confinement, lors de la pandémie de Covid, a accéléré les choses et ancré encore plus solidement le tout-numérique dans nos vie, cette BD remet les problématiques en perspectives et examine nos nouveaux usages numériques pour mieux déterminer leur impact sur notre environnement. En effet, si notre empreinte carbone a fortement diminué pendant le confinement à cause de ou grâce à l'arrêt des transports, de la baisse spectaculaire de certaines émissions de gaz à effet de serre, cela reste temporaire sans prise de décisions futures tenant compte de ces améliorations.
En outre, personne ne semble s'être réellement penché sur l'impact des nouvelles technologies numérique sur l'environnement. Philippe Squarzoni nous parle aussi de transition écologique. La balle est dans le camp des gouvernants et de celles et ceux qui les élisent. Une série de vignettes rompt soudain avec la douceur et la lenteur du reste de la BD ; c'est plus brutal, plus agressif. Il y a urgence à prendre conscience ! L'auteur nous montre aussi les travers des réseaux sociaux chronophages et lobotomisants, l'impact des fakes news. le scénario prend des allures de fouillis où toutes sortes d'informations se mélangent sans aucune hiérarchisation ni recul, miroir de la désinformation.

Personnellement, j'ai retenu certaines choses évidentes auxquelles pourtant je ne prête pas attention, comme l'inexistence physique des géants du numérique, à l'image du cloud…
Seuls les ordinateurs, les tablettes, les smartphones, les objets connectés, les satellites, les antennes, les réseaux souterrains et sous-marins de câbles, les centres de traitements sont matériels et leur consommation de matières premières, d'espace et d'énergie et leur impact écologique sont très importants, d'autant plus qu'ils sont peu recyclables et classés parmi les déchets dangereux. Les dessins de Philippe Squarzoni m'ont permis de visualiser l'architecture et l'organisation des datacenters…
De là à regarder soudain bizarrement mon IPhone je ne sais plus combien et mon Apple chéri, à reconsidérer leurs circuits de fabrication, leur obsolescence programmée, à remarquer combien les VOD sont énergivores, à compter toutes les petites lumières des appareils en veille quand nous éteignons les lampes de la maison, à penser à la fausse gratuité du Web, aux collectes de données, aux stimuli invisibles, à la perte du libre-arbitre…

Une BD un peu longue, 272 pages, très dense, à lire lentement pour s'imprégner du sujet. Les nombreuses références bibliographiques citées peuvent aider à approfondir la réflexion. La manière dont le dessin et le texte se complètent ou se confrontent rend la lecture assez vivante, surtout pour les passages les plus rébarbatifs.
Une BD marquante.
Un ouvrage qui replace le citoyen lambda au centre de ses paradoxes
On ne sort pas indemne de cette lecture !



#saisonbrune20Nosempreintesdigitales #NetGalleyFrance

Lien : https://www.facebook.com/pir..
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