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Critique de Lutvic


Pour faire un film d'animation, il suffit d'une première image ; d'une deuxième ensuite, qui peut très bien n'être que la première légèrement modifiée ; en superposant ces deux images, on en obtient une troisième : c'est ainsi que le mouvement naît. le petit roman de Peter Stamm, un livre-songe, s'inscrit dans un tel intervalle mouvementé : une zone irriguée par la mélancolie, l'irrévocable et l'immuable, où notre imagination interprétative s'exerce et cherche du sens. C'est l'endroit où la douce indifférence du monde se niche, telle l'attention du lecteur guettant les indices d'un destin se déployant sous ses yeux et dont il se demande, à l'instar du personnage principal, s'il pourrait voir changer le cours des événements, si le fantastique saurait opérer jusqu'à « corriger » et modifier son histoire.

La première image est le vécu tel quel : l'histoire de l'amour raté de Christophe et Magdalena. La deuxième serait le livre que le premier choisit d'en faire, en préférant la littérature à l'amour (« Ce n'est qu'à présent que je comprenais qu'amour et liberté ne s'excluaient pas mais conditionnaient le fait que l'un n'était pas possible sans l'autre ») : cette démarche rend Christophe étranger à lui-même, et transforme la femme aimée en une étrangère elle aussi. le « film » qui en découle est par conséquent une chose également bien étrange : le récit – correspondant au présent de la narration – de cette histoire à 16 ans distance, récit fait à une femme (Léna) en tout semblable à l'amoureuse d'antan.

Maintes fois, les personnages errant dans les rues, pendant la nuit, regardent à l'intérieur des maisons éclairées. Ils s'y imaginent et se demandent quelles seraient leurs vies s'ils étaient à la place des autres : seraient-ils les mêmes dans d'autres situations ou seraient-ils tout à fait d'autres personnes ?

Peter Stamm joue magistralement avec plusieurs sujets « lourds » de la littérature : l'identité ; la rencontre avec son double ; l'impossible retour ; l'immuabilité de l'être ; la réécriture permanente de son vécu. On n'y éprouve pas d'émotion majeure, mais un plaisir heuristique certain, alimenté par la multiplicité de lectures possibles.

Ce doute constamment entretenu sur la capacité de la littérature de traduire fidèlement la vie se mue en une légère inquiétude qui nous accompagne une fois le livre refermé : car devenu un vieillard, Christophe pose sur son vécu un regard demeurant étonné, incrédule, et son sens lui échappe toujours.
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