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Critique de HordeDuContrevent


Il m'est souvent difficile de finir les pages d'une série qui m'a accompagnée des heures durant. Je clos là une trilogie particulièrement grandiose, avec des phrases bouleversantes, des sentences qui m'ont pour certaines touchée, pour d'autres transpercée. Avec ces paysages typiquement islandais emplis de glace, de montagnes vertigineuses, de neige sous toutes ces formes, de mer à la fois hostile et nourricière. Avec toute une galerie de personnages, souvent rugueux de prime abord, mais attachants qui ont tous eu leur lots de drames et de bonheurs.

« le coeur de l'homme », troisième tome de la trilogie de JK Stefansson, après « Entre ciel et terre » et « La tristesse des anges » doit-il son nom à une facette cette fois plus engagée, plus militante de l'auteur, plus introspective aussi ? En s'éloignant un peu des éléments naturels par rapport aux deux premiers tomes, il se concentre là davantage sur les injustices faites aux faibles, notamment aux femmes, aux artistes et aux pauvres. Comme s'il voulait davantage sonder le coeur de l'Homme, scindé en deux, oscillant entre bonheur et désespoir. Oui, JK Stefansson prend parti et donne la parole davantage aux opprimés. La musique, bien présente dans ce tome, et la poésie, encore et toujours, pour affronter la violence, l'égoïsme, les rumeurs et les préjugés, le pouvoir, la cupidité, la cruauté.

Et cette voix d'outre-tombe en filigrane, comme dans les précédents livres, qui nous ordonne de ne pas vivre comme un idiot, en oubliant d'être soi, en oubliant ses rêves. « Les rêves sont la lumière qui éclaire l'homme, la clarté qui le nimbe ; en leur absence il n'y a que les ténèbres ». Cette ritournelle nous met en garde

Mais comment survivre dans ce pays où même l'arrivée du printemps est compliquée et assassine les faibles : « il vient vers nous avec la lumière, les couleurs, le jaune des fleurs et les chants d'oiseaux, il verglace la couche de neige qui fond et se transforme en une insupportable soupe pendant quelques jours, l'humidité s'infiltre dans les fermes en tourbe dont certaines reposent encore sous le manteau neigeux, parfois profondément enfouies, les lits suintent, on est transi quand on s'endort, glacé lorsqu'on s'éveille, l'humidité s'immisce jusque dans les os » ?
Comment vivre dans une île où les étés sont si brefs et capricieux qu'on dirait parfois qu'ils n'existent pas ?

Comment vivre heureux dans ce pays rude, au début du 20ème siècle, lorsqu'on est différent, poète ou femme libre notamment ? le gamin n'a que la poésie comme arme, et la soif de connaissances pour unique horizon alors que pour être un homme, un vrai, et se fondre dans la communauté, il faut être avant tout viril, vulgaire, costaud, peu sensible. Les femmes indépendantes, non soumises, qui vivent comme bon leur semble, sans mari, en faisant fi des convenances et de la bienséance sont également très mal vues car normalement : « C'est toujours la femme qui doit courir de toutes parts et penser à tout le monde en même temps ; quant aux hommes, ils engloutissent le repas, debout, parfois le dos appuyé contre quelque chose, c'est une vertu que de manger vite, celui qui mange le plus vite est le plus homme parmi les hommes, la nourriture est là pour être déglutie, et non dégustée. »
Comment espérer dans un pays où l'on travaille dur et où l'on s'épuise au travail sous les ordres de quelques hommes puissants et démoniaques ?

Oui comment vivre heureux dans ce pays mais, bon, « le café et le courant marin du Gulf Stream font de ce pays, de cette île reculée, calcinée, battue par les vents, mais parsemée de vertes vallées qui sont comme des rêves entre les murailles rocheuses, une terre pratiquement habitable ». Nous pouvons ajouter la poésie, celle de JK Stefansson, mise en lumière par l'exceptionnelle traduction d'Eric Boury, qui réchauffe et fait oublier ces injustices. La beauté des femmes est toujours autant magnifiée, qu'il s'agisse de la mystérieuse Álfheiður aux cheveux d'un roux flamboyant et dont « les taches de rousseur qui lui barrent le visage en passant par le nez et les joues forment comme une ceinture d'étoiles », ou d'une simple serveuse « elle remplit les tasses, les verres de cognac, elle est jeune, ses mouvements sont fluides comme ceux d'une longue herbe oscillant au fond d'un ruisseau, elle ne lève jamais les yeux, ils n'ont pas l'occasion de voir ces yeux, ces deux joyaux bleus, et elle ne se laisse pas impressionner bien que tous la regardent, l'observent, tandis que la braise remonte en crépitant doucement le long de leurs cigares rigides. »

Reconnaissons que l'homme n'est pas vraiment mis à l'honneur dans ce livre et que l'auteur islandais est parfois même sans pitié : « Les hommes tiennent des propos incroyables avant d'assouvir leur désir ou pendant qu'ils le font, tout ce qui se murmure, les phrases haletantes, les serments abyssaux qui ne sont que surface n'ont plus aucune valeur lorsque tout est fini, qu'on a joui, que le membre n'est plus érigé, tout gonflé de désir, de volonté de vivre, mais qu'il pend, épuisé, comme un lambeau de peau entre les cuisses. »

Cette trilogie est rude, poétique et surtout profondément humaine. La lumière du gamin scintillera longtemps en moi. Laissons la parole à l'auteur pour clore ce ressenti, auteur que je considère comme un grand, très grand Ecrivain, il me semble que tout est contenu dans cet extrait : « La délicatesse est mon rêve le plus vrai, dit un très vieux poème, et ce vers scintille à travers le temps, c'est vrai, la délicatesse et la fragilité sont le coeur de l'homme, nous le percevons douloureusement au printemps, lorsque l'existence danse sur le fil du rasoir, entre vie et mort. »

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