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Critique de Alzie


Roman en deux parties rédigé en 7 semaines (nov-déc. 1838). Enorme plaisir de lecture et grand moment de divertissement avec ces tribulations du jeune noble milanais, Fabrice del Dongo, au début du XIXe siècle dans la principauté de Parme. La première partie est exubérante à souhait. Elle prend racine au moment de la chute de l'empire napoléonien et conte les années de jeunesse du héros rêvant de gloire et courant après l'amour. On y découvre le trio très réussi formé de Fabrice, la Sanseverina (Gina) sa tante et le comte Mosca amant de cette dernière, autour desquels gravitent de nombreux autres personnages non moins intéressants (Ernest IV et sa cour) ; la deuxième partie est tout aussi mouvementée mais le tempo en est parfois plus mélancolique : Fabrice, dont les aventures prennent un tour plus grave, a atteint la maturité. Il a achevé son apprentissage amoureux et la tutelle de la Sanseverina et du comte Mosca se fait plus discrète, les manoeuvres en tout genre se poursuivent à la cour de Parme. La fin du livre, aux accents nettement mélodramatiques, peut déconcerter, peut-être, mais l'ensemble est quand même tout à fait réjouissant. Dans la Chartreuse, le rythme fait le style, ou peut-être l'inverse, et la postérité, après quelques hoquets, a heureusement assuré la fortune de l'oeuvre.

L'enfance de Fabrice del Dongo est longuement détaillée aux premiers chapitres. Il naît vers 1798 d'un père probablement français que l'occupation des troupes napoléoniennes, dans la demeure familiale de Grianta au-dessus du Lac de Côme, rend tout à fait possible. Ce qui est sûr c'est que son père officiel le déteste ouvertement. Fabrice passe ses premières années au château de Grianta et dans un collège de jésuites à Milan. le curé de Grianta, l'abbé Blanès, est chargé de parfaire son éducation. C'est un fou d'astrologie qui passe son temps en haut de son clocher à scruter le ciel et trouve le latin bien inutile. (Julien Sorel, lui, parle latin couramment grâce à l'abbé Chélan). Mais Blanès, comme Chélan, sont deux membres atypiques du clergé de l'époque, loin des grandes villes, Besançon pour Chélan, et Milan ou Côme pour Blanès. Vérrières et Grianta ont bien d'autres vertus à leurs yeux. Elève médiocre, donc, et peu curieux d'apprendre, ce Fabrice inspire tout de même de la sympathie. Sa tante s'attache fortement à lui : « elle le trouva singulier, spirituel, fort sérieux, mais joli garçon, et ne déparant point trop le salon d'une femme à la mode ». Aux yeux du lecteur, il a surtout les compétences de base essentielles : chasser, rêver et parcourir le lac sur une barque. Quant à la nature des sentiments de sa tante pour lui, il y verra plus clair à la fin du roman, rien de scabreux à l'horizon, d'abord folâtrer.

Dans un contexte historique fortement connoté, les Cent jours, Fabrice (admirateur, lui aussi, de Napoléon) annonce à sa mère et à sa tante son désir de partir rejoindre l'empereur qui vient de débarquer au golfe Juan. Avec leur aide, il se retrouve donc à dix sept ans sous les feux de Waterloo (chapitre 3 et 4), ignorant à peu près tout du désastre qui s'y joue, mais sa carrière aventureuse est lancée, c'est l'important : départ sous une fausse identité, tôt soupçonné d'être un espion, emprisonné et s'échappant déjà, brave entre les braves. Il a tout juste appris à manier le sabre et à monter à cheval que La belle Gina, ex-Pietranera, tremble déjà pour ce neveu adoré qu'elle va aider sans cesse à fuir alors qu'elle ne souhaite que le retenir auprès d'elle, à Parme. Car cet emballement de jeunesse qui l'a conduit à combattre aux côtés de l'ennemi français lui ferme dorénavant toutes les portes d'une carrière militaire. L'affaire est délicate tant cette foucade napoléonienne de Fabrice l'a rendu suspect à Parme. Une seule solution pour effacer ce passé douteux, se faire oublier : Fabrice doit se plier aux voeux de sa tante et partir étudier la théologie trois ans à Naples, avant de pouvoir briguer une charge ecclésiastique qui le ramène à Parme. le mouvement de yo-yo régulier entre la tante et son neveu est l'un des ressort de cette narration agitée mais décidément tonique.

Les intrigues italiennes de la cour de Parme se fondent dans cette trame historique. Petite société fermée régenté par le potentat Ernest IV, et théâtre d'une double comédie, de moeurs et du pouvoir ; décor parfaitement approprié aux manoeuvres des ultras et des libéraux qui se superposent aux péripéties liées au récit. L'Italie, d'une manière plus générale, est évoquée dans les fuites successives de Fabrice qui l'emmènent de Ferrare à Bologne en passant par Milan ou Florence. Duplicité des courtisans, hypocrisie des prélats (chapître V : visite de la Sanseverina au chanoine Borda), satire mordante d'un absolutisme dépassé, chronique de la bouffonnerie, des ruses et des complots ordinaires ourdis par des courtisans médiocres ou envieux (épatante Raversi). Tous ces registres sont exploités à merveille par Stendhal qui se fend même parfois de commentaires sur le déroulement des péripéties qu'il ordonne. Drôlerie, sarcasmes, tout y est : impossible de s'ennuyer quand la plume se fait aussi alerte pour rattraper ce que l'imagination suggère.

La Sanseverina règne sur cette fresque trépidante de toute l'impétuosité de son tempérament entier et passionné. Altière et fantasque c'est une femme complexe dotée d'un grand pouvoir de séduction. Elle est loin d'être totalement désintéressée, ce qu'elle a montré en devenant duchesse de Sanseverina, complice en cela du Comte Mosca devenu son amant. Pour sauver son neveu, qu'elle aime par-dessus tout, elle s'attache les faveurs du prince régnant Ernest IV, et exerce son emprise avec pas mal d'habileté sans pour autant adopter les travers d'une vulgaire courtisane. L'élégance et le recul de la maturité sont réservés au Comte Mosca, son amant, ministre remarquable par son équilibrisme politique face à un prince cruel et fourbe. Il prend tôt la mesure de l'attrait de sa maîtresse pour Fabrice et en montre même de la jalousie, à juste titre. Très Perspicace, il a décelé rapidement en Fabrice le penchant irrépressible pour l'aventure amoureuse (Marietta, la Fausta), qui va le mettre relativement à l'abri d'une relation de rivalité avec le jeune homme dont il devient plutôt le mentor, lui transmettant son goût pour l'archéologie. Il tente par ailleurs, avec plus ou moins de bonheur, de contenir ou réguler les ardeurs de son amante. Superbes portraits.

Fabrice c'est la fougue de la jeunesse en même temps qu'une bonne dose de naïveté. Mais s'il consent à entrer dans les ordres pour faire plaisir à sa tante (et à Stendhal surtout), ce n'est pas pour renoncer aux plaisirs qu'il escompte bien tirer de la vie. A Naples l'amour fait partie intégrante de sa formation théologique, c'est ce qui rend pour moi le roman De Stendhal si savoureux (même chose d'ailleurs pour "le petit abbé", Julien, dans le Rouge et le Noir). Fabrice éprouve un grand attachement pour sa tante, quasi filial est-il précisé, il lui est reconnaissant de l'immense protection qu'elle lui assure. Ceci posé, il n'a que dix sept ans, au début, âge où l'amour reste à découvrir. Il ne veut s'interdire aucune aventure, aucun coup de foudre à venir, ce qui le protège de toute passion, de toute "folie sublime", voire de l'inclination extravagante que lui voue sa tante et qu'il n'ignore pas. Ici, les conquêtes amoureuses ne peuvent connaître aucune entrave. Bientôt sous le charme d'une jeune comédienne, Marietta, il tue rapidement son rival Giletti, contrariant une fois de plus son destin. Cette impulsivité nourrit les audacieux rebondissements du récit, car c'est par cette composante de sa psychologie que Stendhal ménage évidemment tous ses effets. On peut estimer certaines ficelles un peu grossières par endroit mais elles sont tirées avec infiniment d'esprit, l'ironie jamais très loin. le style enlevé, cavalier presque, donne du piquant aux situations, ajoute un peu plus au plaisir de la lecture.

La deuxième partie déploie autant de fastes d'imagination que la première mais le tempo en est sans doute plus mélancolique car plus axé sur l'évolution sentimentale de Fabrice découvrant l'amour. Ses retrouvailles avec la jeune Clélia Conti, rencontrée fortuitement au début de cette histoire, vont sceller la fin de son vagabondage amoureux. On le retrouve en fuite, poursuivi et en butte à une condamnation par contumace pour le meurtre qu'il a commis (Giletti). Sa tante menace de quitter Parme s'il est condamné et obtient sa grâce à l'arraché (scène d'anthologie du chapitre 14 : l'audience princière mettant face à face la Sanseverina, le comte Mosca et Ernest IV). Mais, par une ultime fourberie du prince, le sort de Fabrice va de nouveau être contrarié. Nouvelle machination exploitée par les ennemis de la Sanseverina, qui à travers elle, tentent de déstabiliser politiquement le comte Mosca.

C'est à la tour Farnèse que Fabrice tombe définitivement sous le charme de Clélia Conti où, à la grande surprise du lecteur, il découvre enfin le bonheur, sous les verrous. Mais la Sanseverina n'a pas dit son dernier mot, elle organise l'évasion proprement "rocambolesque" de son neveu avec la complicité de Clélia dont la délicatesse juvénile s'allie, contre toute attente, aux stratagèmes de la Sanseverina dans un même élan salvateur en direction de Fabrice. Ce dernier, évadé, accompagne ensuite sa tante sur les bords du lac Majeur où, loin de Clélia, il sombre dans la plus grande tristesse tandis que sa tante connaît maintenant les affres de la jalousie. Après en avoir autant dit il ne me reste qu'à suggérer que tout est loin d'être fini pour vous convaincre d'aller vers ce roman qui, malgré son dénouement quelque peu expédié aux dires même de son auteur, procure un plaisir de lecture presque intact jusqu'à la fin. Certains ont jugé le style deStendhal relâché, j'aime pour ma part la désinvolture stendhalienne, liberté de ton et de style font partie intégrante de son immense talent artistique.

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