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Critique de LeScribouillard


Quand un livre fait le buzz sur la blogosphère et que vous êtes devenus de vieux briscards comme moi désillusionnés de la vie, de l'amour et de L'Écran Fantastique, vous avez toujours une crainte que celui-ci ne vous plaise pas et que vous passiez complètement à côté de ce qui pourrait être un grand bouquin. D'autant plus s'il est ardu (je le sais, je suis en train de lire le bureau des sabotages, et comme le dit Maître Gims, j'en ai bavé comme jamais !) ; que nous réserve donc [anatèm] de Neal Stephenson, coqueluche de la science / philosophie-fiction qui avait défrayé la chronique voilà 1 an et demie ? Eh bien, chers petits amis rageux, vous pouvez d'ores et déjà faire une croix sur cet article, car je ne râlerais après rien ni personne, pour la bonne raison que j'ai beaucoup aimé. Et j'irais même plus loin : du Cycle de Fondation, du Nom de la Rose ou de la horde du contrevent, si vous aimez au moins un seul de ces trois livres, vous avez toutes les chances d'adorer celui-ci.

On va habiter dans une abbaye coupés du monde et du Wi-Fi, mais vous allez voir, ça va être super cool

[anatèm] est un livre nous venant tout droit des États-Unis, mais ses difficultés à être traduit et notre amour pour l'Imaginaire de terroir frrrônçais a fait qu'il a été longtemps ostracisé de nos belles campagnes. Arrive AMI qui décide enfin de s'occuper de son cas, pour finalement le couper en deux volumes dans sa VF, ce qui est pour moi un non-sens absolu tant il s'agit d'un livre-univers (et même multivers) qui forme un tout uni et complet, c'est pourquoi j'ai décidé d'en faire une seule et même critique. Je tiens malgré tout à signaler que l'édition est du reste impeccable, et que cette audace dans les choix sortant de ce qu'attend le lectorat français de base est sans doute ce qui fait le succès ô combien mérité du label de Gilles Dumay.
L'histoire nous plonge donc directement sur Arbre, un monde semblable au notre dont différentes civilisations ont réussi à survivre assez longtemps pour obtenir une technologie semblable à la notre avant de s'effondrer puis renaître, et ainsi de suite. Afin de ne plus perdre les savoirs emmagasinés dans chacune d'entre elles, des maths (comprenez des abbayes laïques) ont été construites pour survivre au passage du temps. Grâce à leurs connaissances physiques et biochimiques, certains avôts (= moines) ont pu allonger leur espérance de vie par-delà un millénaire ou acquérir différents pouvoirs technologiques, le tout dans le but de tenir les vils manants à bonne distance de leurs fenêtres. Il ne s'agit pas pour autant d'un pouvoir tyrannique (encore que je vois pas mal d'anarchistes qui s'agitent déjà dans les gradins) ; les avôts vouent leur existence à une connaissance pacifique, qu'ils en viennent parfois à échanger avec les tics (des ingénieurs sæculiers, comprenez : du commun des mortels). Une Discipline stricte leur interdit de mettre le boxon et les voilà donc confinés à réfléchir à l'astronomie, la géométrie, et surtout et bien sûr la philosophie.
Celle-ci est au coeur du roman : des ressemblances avec des penseurs ayant réellement existé sont d'ailleurs flagrantes : Thélénès = Socrate, Protas = Platon, les sphéniques = les sophistes, ect. On serait tentés de crier « plagiat, plagiat, c'est du plagiat », mais le livre se veut outre son monde un outil de réflexion et de vulgarisation philosophique, et se doit donc de formuler les raisonnements des auteurs ayant précédé Neal Stephenson pour ensuite développer les siens. Il s'agit finalement pour faire simple du procédé de décalque de Guy Gavriel Kay, mais appliqué à la philo au lieu de l'Histoire.
Dans ce monde impitoyable et sans pitié, où les guerriers s'affrontent à coups de syllogismes et de contre-argumentations, fraa Érasmas est donc un jeune avôt dont le mentor fraa Orolo est quelqu'un ayant la fâcheuse tendance d'être un peu trop mystérieux. Peu à peu, il va découvrir que celui-ci planche sur une découverte secrète, l'arrivée autour d'Arbre d'habitants d'autres planètes, voire d'autres univers. Ce qui bien entendu soulève un tas de questions…

Quel sacré morceau !

Vous aurez donc compris qu'on s'attelle ici à un univers particulièrement riche et complexe, le tout desservi par un glossaire extrêmement étendu : ce qui n'est pas un défaut en soi, mais en génère accidentellement quelques-uns petits mais agaçants. L'ami FeydRautha vous expliquera bien mieux que moi qu'il n'y a là rien de bien insurmontable ; en revanche, on peut se demander si certains termes ne sont pas un peu schmeerpesques sur les bords : tomobile à la place d'auto, totobono au lieu de dopamine… Mais surtout, non seulement le glossaire a été mis uniquement à la fin du tome 2, mais en plus il possède plusieurs oublis : burgos, brambasier, amanuensis…
Cela dit, si c'est pour avoir à côté un background aussi énorme, je pense qu'on est tous d'accord pour dire que ces quelques problèmes sont plus que compensés. Car outre les différents courants de pensées et institutions monastiques qu'instaure Stephenson (et qui se transforment à l'intérieur du monastère en véritables factions politiques), on trouve de tout dans cet univers, qu'il s'agisse de multiples variantes de notre société actuelle (j'ai personnellement trouvé celle autour de Saunt-Édhar très moche, mais ce sont les goûts et les couleurs, donc passons), des manipulations génétiques (oui, je sais, ça comporte des risques dans la vraie vie, mais dans un roman de SF on peut supposer que les gens sont un peu plus calés et moins lucratifs que les blettes de Monsanto, donc comme le transhumanisme, ça passe), ou encore des différents folklores, architectures, technologies ancestrales, j'en passe et des meilleures…
Mon article va pas faire dans l'originalité : c'est turbo-intello mais accessible, tout en n'oubliant pas action, humour, voire même émotion prenant aux tripes, notamment avec les injustices que subit Érasmas au début du tome 1… Et avec ça, si on fait des réfs humoristiques sur Star Trek, Armaggedon et tout un tas d'oeuvres de pop-culture SF, c'est tout bénéf pour le gros bourrin métallo que je suis ! Seuls un ou deux points sur la fin m'ont laissé des doutes quant à ce que je devais comprendre (les narrés et l'anticoncrétion) ; je serais ravi d'en discuter avec vous dans les commentaires.
Disons quand même ce qui a fini par me rebuter : le rythme est très lent (mais pas plus que par exemple pour le Seigneur des Anneaux si ce n'est quelques longues explications — non-fans de Nolan, tremblez d'effroi). On se situe très clairement davantage dans le plaisir du cerveau que celui du coeur avec ces longues descriptions et ces raisonnements alambiqués bien qu'excellement vulgarisés ; cela n'en fait pas moins de la belle ouvrage, et il faudra que je fasse un jour un Faut qu'on en parle pour dire que je ne veux pas faire de hiérarchie entre ces deux formes de jouissance.
Bref, [anatèm] est un énorme pavé dont on n'est pas toujours sûrs de voir le bout, mais qui procure ses moments de pur bonheur, souvent intellectuel mais pas que. Je le considère personnellement comme bien plus fascinant et accessible que Diaspora, si ça peut réveiller parmi vous les plus réfractaires aux oeuvres exigeantes. Si vous voulez de la philo, des grands questionnements métaphysiques et des capuches de partout, vous savez en tout cas où chercher. Après, je dis ça, c'est pour votre culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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