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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


J'ai commencé ce pavé à partir d'un malentendu. J'avais lu quelque part qu'il y était question, comme l'indique le titre, du choix horrible imposé à Sophie à son arrivée à Auschwitz : l'officier allemand responsable du triage des prisonniers l'oblige à désigner celui de ses deux enfants qui va survivre, l'autre étant envoyé à la chambre à gaz.
Vu le thème annoncé et la taille du roman, j'ai longtemps hésité à m'y lancer, me demandant comment l'auteur pourrait bien « meubler » 900 pages avec ce sujet.
En réalité, la relation de ce choix intervient assez tard dans le roman, et occupe (en tout cas explicitement) relativement peu de place. Mais il éclaire (enfin, le terme est mal choisi pour des choses aussi sinistres) a posteriori le comportement et la culpabilité sans nom qui ronge Sophie.
Et donc, pour prendre les choses au commencement, se présente à nous Stingo, jeune narrateur fraîchement débarqué de sa Virginie natale à New York. Nous sommes en 1947, Stingo vient de terminer des études littéraires et se rêve en grand écrivain, marchant dans les traces de Faulkner et consorts. Après avoir quitté un premier job alimentaire dans une maison d'édition minable, il s'installe à Brooklyn, dans une pension et un quartier presqu'exclusivement juifs. Il y fera la connaissance du couple formé par Sophie, Polonaise catholique rescapée d'Auschwitz, et Nathan, issu d'une famille juive américaine aisée.
Le roman raconte l'amitié naissante entre Stingo et le couple, et au gré des confidences de Sophie à Stingo, les horreurs que celle-ci a vécues en Europe, son arrivée aux Etats-Unis à l'état d'épave humaine, sa rencontre avec Nathan, et la relation destructrice qu'elle entretient avec celui-ci. Car si Sophie est d'un tempérament doux et désespéré mais stable, Nathan, lui, peut tour à tour se montrer parfait gentleman mais aussi parfait salaud, violent, odieux, paranoïaque, allant jusqu'à reprocher à Sophie d'avoir survécu (Nathan ou le monde à l'envers : quand un Juif devient celui qui persécute).

La description du système des camps de concentration et l'Holocauste offrent l'occasion de nombreuses réflexions philosophiques, sociologiques, psychologiques, sur le Bien et le Mal (ce Mal absolu que seuls les humains peuvent générer), sur la culpabilité et l'innocence, sur le « qu'aurais-je fait à sa place ? », sur le « pourquoi moi ? », et sur l'absurdité des choses qui fait se demander à Stingo si, et pourquoi, au moment même où Sophie arrivait à Auschwitz, lui n'était pas tranquillement assis sur un banc à lire de la poésie.

Qu'on se rassure, le roman n'est pas toujours plombé par ces événements tragiques. Comme pour nous permettre de respirer dans cette atmosphère oppressante, l'auteur nous fait suivre aussi les mésaventures et fantasmes amoureux (attention crudités ) du puceau Stingo (qui fait preuve de beaucoup d'auto-dérision), complètement bleu de l'inaccessible Sophie, et qui ne fera que des rencontres au final décevantes (mais hilarantes pour le lecteur. Je soupçonne l'auteur d'avoir pris un malin plaisir à ne mettre sur la route de notre frustré de service que des filles « compliquées »). A tel point qu'à plusieurs reprises Stingo sera tenté de rentrer auprès de son père dans son Sud tranquille et monotone.
Les allusions à ce fameux Sud permettent aussi d'évoquer l'esclavage, réminiscence de la guerre de Sécession, et les oppositions Nord/Sud, Noirs/Blancs. le roman a été écrit en 1979, à une époque où ces sujets étaient peut-être encore plus sensibles qu'aujourd'hui ? En tout cas le thème est cher à Styron puisque l'auteur/narrateur fait presqu'explicitement référence à un autre de ses livres, « les confessions de Nat Turner ».

Le Choix de Sophie est une oeuvre monumentale, de longue haleine, qui ne se lit ni facilement ni rapidement. Mieux vaut être au calme avec du temps devant soi pour digérer tout ce mal et cette violence.
Mais j'ai trouvé cela remarquablement bien écrit (amateurs de phrases courtes s'abstenir), ce qui n'est pas si courant, intéressant pour qui s'intéresse à l'Histoire. Mention spéciale aux analyses psychologiques très fines des personnages et de leurs interactions (Sophie et Nathan, Sophie et Höss), qui les rendent inoubliables.
Pour moi, ce fut un grand moment de littérature. J'ignore ce que vaut le film qui en a été tiré.
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