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Critique de Aquilon62


Le titre de ce roman, Eleftheria, est le mot grec qui signifie « Liberté ».
Il y a des livres qui, allez savoir pourquoi ont une couverture qui vous hypnotisé, vous la voyez sans forcément y prêter attention, et l'image est comme imprimée dans votre inconscient. Et bien c'est ce qu'il s'est passé pour ce livre.
Errant au milieu des rayons de ma librairie habituelle qui ne manque pourtant pas de choix, cette couverture me revenait sans cesse à l'esprit...

Pour la pureté de cette photo ?
Pour ce voile rouge porté au vent en surplomb de la Méditerranée ?
Pour cette femme dominant les reliefs escarpés d'une île méditerranéenne ?
Pour ce regard perdu vers l'infini?
Pour ce regard fuyant vers l'horizon ?
Pour ce rouge symbole de passion ou de sang ?
Pour ce bleu symbole de vérité et de sagesse ou d'invitation à l'évasion, au voyage et à la découverte ou l'inverse ?
Pour ces côtes escarpées qui servent de toile de fond à cette scène ?
Et puis il y cette "fameuse" quatrième de couverture :

"1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s'interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l'armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… jusqu'au matin du 20 mai 1941, lorsque le IIIe Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C'est l'heure de savoir si l'on est libre de choisir son destin.

Avec Eleftheria, Murielle Szac nous livre un magnifique roman, choral et solaire, où derrière chaque histoire personnelle se tisse une histoire partagée, celle de femmes et d'hommes ayant vécu en Crète pendant la Seconde Guerre mondiale. Un épisode méconnu de l'Histoire."

La Crète cette île qui allie de somptueux paysages, une mer turquoise et une histoire singulière. Les Ottomans, les Byzantins et les Vénitiens ont laissé leurs empreintes sur l'île. Et cet épisode méconnu,
Tout était là pour un beau moment de lecture : Et ce fut le cas, c'est un roman magnifique.

Tout se déroule entre 3 octobre 1940 et Octobre 1944. Entre les prémices de l'invasion allemandes, l'invasion elle-même, la résistance, la fuite et son cortège de vies brisées, d'horreurs et de malheurs. Mais tel l'olivier, qui pousse en Crète, symbole de longévité et d'espérance, l'olivier est réputé éternel. Ainsi le décrit Hérodote V " L'olivier fut brûlé dans l'incendie du temple par les barbares; mais le lendemain de l'incendie, quand les Athéniens, chargés par le roi d'offrir un sacrifice, montèrent au sanctuaire, ils virent qu'une pousse haute d'une coudée avait jailli du tronc ".

Ce qui est Paradis va devenir Enfer, ce qui est bleu va devenir rouge :

""Vous êtes soucieux, monsieur ?
C'est Dimitra, dévorée de curiosité pour l'inconnu, qui a fini par l'interpeller.
Vous ne l'êtes pas, vous ? Metaxas a dit non à Mussolini. Désormais, c'est la guerre. Vous ne le savez pas ?
Bah si, mais d'ici à ce qu'ils arrivent chez nous !
Ils trouveront à qui parler s'ils débarquent !
On les rejettera à la mer !
D'un coup c'est le brouhaha. La cour du kazani est une ruche.
David laisse dire. Puis, quand le calme est revenu, il ajoute posément que, ailleurs en Europe, c'est pas la joie. Qu'en France, par exemple, les nazis font la loi. Et que les Juifs, comme lui, sont persécutés.
Un silence soudain. Un malaise, comme l'écho d'une menace qui se matérialise.
Mais je ne voudrais pas gâcher la fête, mes amis !
Vous avez déjà beaucoup souffert, monsieur David. J'espère que ça va s'arrêter."

Le ciel bleu va très vite s'obscurcir et assombrir le destin des uns et des autres, ce qui est rouge va très vite devenir noir :

"Mais que se passe-t-il ? Il entend une sorte de bourdonnement, puis cela enfle et se transforme en plaintes. Luigi voit surgir en haut de la côte une procession. Quatre hommes portent un cercueil ouvert. Suivent des femmes vêtues de noir, en pleurs. L'une pousse des cris déchirants, interpelle le défunt, comme si elle cherchait à le rappeler d'entre les morts. Réveille-toi, Nektarios ! Lève-toi ! Viens nous embrasser. Parle-nous ! Ses lamentations sont presque des psalmodies. Luigi se souvient soudain de la première pièce de théâtre de sa vie : Les Suppliantes d'Eschyle. Ces femmes qui se tordaient les mains, et pleuraient en choeur, montraient une douleur si déchirante que le jeune garçon en avait été bouleversé, prêt à sauter sur la scène pour les consoler. Jamais il n'a oublié ces Danaïdes injustement persécutés et son âme sensible ne ressent que compassion devant les larmes d'autrui."

Murielle Szac auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages de jeunesse ou de poésie, elle s'est plongée au coeur de la mythologie grecque avec la série le Feuilleton d'Hermès,de Thésée,d'Ulysse ou d'Artémis. S'il ne fallait retenir qu'un seul fil conducteur de tout son travail, ce serait la transmission. Eleftheria s'inscrit dans cette cohérence, mêlant étroitement engagement et écriture.

L'écriture de l'auteure est comme les mains d'Ariadni dont que je me permets de détourner le passage pour la mettre en valeur
Elles sont là, tout simplement, telles deux petites bêtes chaleureuses et douces, discrètement posées sur un stylo. Elles sont savantes, elles savent non seulement décrire, conter, raconter, mais aussi porter ses personnages, tirer leurs émotions, montrer la nature humaine dans sa sa violence, couper cette violence, la transformer en amour, arracher la vérité aussi crue et terrible soit-elle, mais aussi entretenir ce qu'il y a de plus beau en l'homme, laisser remonter l'humanité,.
Ce qui est l'essentiel aux yeux du lecteur que nous sommes, c'est leur science de la tendresse.
Elles savent émouvoir, émerveiller, consoler, protéger, apaiser. Elles sont de celles qui aident à vivre et éponger le chagrin.

Passer de la beauté dans ce qu'elle a de plus simple, à la peur voire la terreur pour revenir à la tendresse :
"L'église n'est pas bien grande. Peu importe, il n'y a quasiment personne pour accompagner Nikos et Rachel ce jour-là. le pope semble très agité. Il lit les textes saints si vite qu'il ne cesse de buter sur les mots, jetant des regards presque affolés vers la porte. Nikos, imperturbable, fixe l'iconostase en souriant. Rachel ne détache pas le regard des dragons. Deux terrifiants dragons dont les yeux sortent des orbites, rouges, sanguinolents. Saint Georges essaie de les terrasser. Pourquoi le peintre des icônes en a-t-il représenté deux ? Et pourquoi donne-t-il cette curieuse impression que le saint ne parviendra pas à vaincre les monstres ? La jeune femme n'est pas habituée à cette imagerie.
Nikos observe l'icône de la dormition de la Vierge. Beaucoup de monde s'agite autour de la femme morte. À l'arrière-plan, le peintre a représenté les murailles de Chania. Nikos scrute l'oeuvre, éperdument, comme s'il allait voir la Vierge Marie accéder au ciel sous ses yeux. Morte et ressuscitée. Morte et ressuscitée.
Rachel est impressionnée par l'Enfer qui se présente à elle. Une icône du Jugement dernier la menace, elle la pécheresse, de toutes les tortures possibles. Des chaudrons bouillonnants d'où émergent des corps martyrisés, des diables à queue fourchue qui fouettent des femmes nues en pleurs, poignets liés, des hommes aux viscères pendants… L'artiste ne manquait pas d'imagination. Rachel frissonne. Dans sa religion à elle, tout se passe dans la tête. Tu sais que cette église s'appelle Agii Anargiri, elle est dédiée aux saints des pauvres. le murmure de Nikos est doux à son oreille quand il ajoute : Leur protection te va bien… "

Murielle Szac le dit elle-même:
"si mon livre s'appelle Eleftheria, Liberté !, c'est parce qu'il tente de questionner ce qui fonde notre identité, notre humanité et de se demander si nous sommes libres de notre destin. Que fait-on avec ce que l'on a reçu à la naissance et ce que l'on a construit soi-même quand cela entre en conflit avec une époque et la violence de l'Histoire ? Mes personnages, les Juifs d'abord, mais aussi les Crétois, notamment les résistants, se confrontent tous à cette question, qui me taraude depuis toujours. »

Jusqu'au bout de son livre dans les remerciements elle nous délivré des messages : "Et un immense et chaleureux merci à celle qui accompagne la naissance et la vie de ce livre avec la passion qui l'habite : Emmanuelle Collas, une éditrice amoureuse de la Grèce, intimement concernée par l'empreinte des brûlures du passé sur notre présent, veilleuse de la marche du monde, et qui met ses coups de coeur en acte. "

Si j'osais un retour ou un recours à la mythologie ce livre est comme la boîte de Pandore, les maux s'échappent, et y reste l'espoir...
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