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Critique de leboncoinlecture


J'ai découvert le nom de Murielle Szac il y a environ trois ans, associé à son compagnon de vie et de poésie, avec qui elle collabore aux éditions qui portent son nom Bruno Doucey. J'apprécie en général les présentations qu'elle peut faire des recueils publiés.
J'ai donc été assez surprise de la découvrir passionnée de mythologie gréco-romaine au point d'écrire un ouvrage dessus, et de constater qu'elle n'en est pas à son coup d'essai (en littérature jeunesse). Et je suis abasourdie de lire qu'elle est la créatrice (et toujours directrice) d'une collection jeunesse que j'apprécie beaucoup et que j'ai souvent recommandée à mes élèves : « ceux qui ont dit non » ( ex : Nelson Mandela : non à l'apartheid ; Lucie Aubrac : non au nazisme ; Victor Schoelcher : non à l'esclavage  etc.). J'ai découvert son nom il y a environ trois ans, mais je suis en fait familière de son travail depuis bientôt vingt ans. Et je comprends mieux, en terminant cet ouvrage, le projet de cette autrice, dans la perspective de son parcours.

De fait, il y a une once d'autobiographie dans cet ouvrage dans la mesure où Murielle Szac évoque par endroits non seulement des rencontres de (très jeunes) lecteur-rices en école mais également les figures mythologiques qui font partie de son panthéon personnel et qui ont contribué à sa construction en tant qu'individu (en particulier Prométhée et Antigone). La majorité du temps, l'ouvrage se veut didactique et il est clairement engagé. Et en filigrane, nous apprenons quelque peu à en connaître l'autrice, ce qui me rend son discours plus sensible. J'ai été touchée à divers niveaux, aussi bien en positif qu'en négatif.

Tout d'abord, j'ai apprécié renouer avec cet univers mythologique dans lequel j'ai baigné longtemps et qui demeure parmi mes racines. J'ai retrouvé de vieilles histoires rebattues et ai aussi découvert des figures dont je connaissais les noms mais dont j'ignorais l'histoire (Atalante et Orion notamment).

Cet ouvrage m'a permis de comprendre pourquoi j'ai toujours été attirée par la mythologie gréco-romaine, alors que j'ai longtemps abhorré les contes – autre lecture enfantine traditionnelle - du fait de leur manichéisme. C'est une évidence et une déduction logique mais je crois que je ne l'avais jamais conscientisé. C'est tout simplement que « les mythes ont ceci d'infiniment précieux qu'ils ne nous disent jamais quoi penser. Ils ne sont jamais moralisateurs. […] A l'inverse des fables ou des contes, les mythes ne mettent pas en garde contre tel ou tel comportement « mauvais » ou risqué, ils ne désignent pas un coupable. » (p.69). C'était beaucoup plus concordant avec ma perception du monde.

Relire des mythes de nos jours dans une perspective féministe : autre sujet qui m'intéresse et qui me touche : la place des femmes, celle qu'on leur donne et/ou celle qu'elles prennent, que ce soit dans la société ou dans un récit, l'image qui en est faite et véhiculée à travers les âges, l'impact sur les générations de petites filles, de jeunes filles, de femmes.
Certaines lectures de Murielle Szac en lien avec notre monde m'ont paru assez aisées, relativement évidentes (ex : Hestia, la déesse du foyer, en lien avec la reconnaissance du travail que constitue la gestion d'une maisonnée, revendication de pouvoir choisir ce rôle pleinement et de s'y épanouir ; Pénélope la fidèle ; Gaia et Rhéa fers de lance et modèles des femmes victimes de maris abusifs et maltraitants sur elle et/ou leurs enfants etc.).
A d'autres moments, j'ai trouvé excessif et contre-productif certains commentaires cherchant à tout prix à valoriser le rôle, la place ou le statut des femmes en dénigrant celui des hommes. Remettre les femmes à leur juste place, oui ; le baser sur un rabaissement des hommes (qui ont leurs défauts, certes, - tout comme les femmes), cela crée pour moi une invitation au sexisme d'une façon inversée par rapport à celui auquel nous sommes malheureusement habitué, et cela me semble créer de nouvelles dissensions qui ralentiront plus que feront avancer les choses.
A d'autres encore, j'ai trouvé intéressantes les analyses faites – et sans doute est-ce là la différence qui fait naître ma préférence : il s'agissait bien d'analyses (étude des détails d'un mythe en s'appuyant sur les textes de références, Iliade, Odyssée ou autres) – par exemple la place fondamentale de Briséis, captive d'Achille, dans le déroulé de la guerre de Troie, donnant également l'occasion d'une belle réflexion sur le caractère du héros antique, rebattant la figure d'un Musclor insensible.
Cet aspect technique, théorique, m'a manqué et je l'ai régulièrement fortement regretté – j'aime les études classiques et carrées, mon cerveau étant (trop) formaté aux trois grandes parties avec trois sous-parties et trois sous sous-parties… Modèle français, quand tu nous tiens ! - je travaille à une plus grande ouverture d'esprit, mais le manque d'homogénéité dans la tonalité reste pour moi difficile à apprécier, cela s'apparente pour moi à de l'incohérence et/ou à du laxisme… Et en l'occurrence, un point qui m'a particulièrement gênée est que, la très grande majorité du temps, les sources du mythe ne sont pas mentionnées. Je trouve cela particulièrement gênant pour apprécier le commentaire que l'autrice en fait. J'ai été surprise et quelque peu choquée de constater qu'elle tire des leçons de façon assertive sur une version de mythe qu'elle a elle-même créée, dans ses ouvrages destinés à la jeunesse dans une série intitulée « Feuilleton de... » consacré à Hermès, Ulysse, Thésée, Artémis etc. Pour moi, cela brouille les pistes dans le projet de l'autrice : il apparaît qu'elle ne fait pas uniquement une relecture de la mythologie grecque mais également une réécriture. Dans les faits, on peut considérer que ce sont deux façons de commenter ces mythes : porter un nouveau regard sur eux, d'une part en en commentant les versions traditionnelles, d'autre part en commentant sa propre version écrite ces dernières années donc en lien total avec la période, le monde et les problématiques d'aujourd'hui.
Il y a donc, selon moi, deux statuts différents à donner – et c'est ce qui m'a gêné, le mélange des genres, le mélange des statuts, présentés à égalité - : d'un côté, la tradition des textes mythologiques sur laquelle nous pouvons avoir du recul ; et d'un autre côté, une nouvelle matière en connexion avec le contemporain qui propose donc un nouveau propos, un nouveau discours, de nouvelles images, - et qui a une visée argumentative (ce qui, pour moi, fait perdre une forme de neutralité et d'absence de morale que j'apprécie justement dans la mythologie). Elle ne commente pas ces mythes, elle les reconstruit et leur faire dire ce qu'elle souhaite, en lien avec l'esprit d'aujourd'hui. Vous me direz, c'est le principe de la réécriture, et j'en conviens. Pour juger vraiment de l'impression générale de ces réécritures, il serait bon que je les lise. Ce qui m'a gênée ici, c'est la manière dont elle les présente, les prenant comme des références alors qu'elles n'ont pas passé l'épreuve du temps, et qu'il me semble difficile d'être complètement objectif et critique sur son propre travail. Ces passages-là relèvent plus de l'opinion selon moi, que de l'analyse ou du commentaire.
Cela rentre malgré tout dans son sujet. J'aurais simplement aimé (peut-être ai-je raté l'information) que ces deux dimensions soient énoncées clairement dès le départ et qu'elles soient présentées à deux degrés différents.

En bref, un propos inégal dans la forme et dans le fond mais qui se lit aisément et qui apporte des éclairages intéressants sur les figures féminines de la mythologie gréco-romaine en écho à notre époque.
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