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Critique de mh17


Ce court recueil très dense a été publié en 1987 et contient douze (?) textes ailés que Tabucchi l'enchanteur nomme dans sa note introductive « Extravagances » autrement dit des créations qui errent « comme des bribes à la dérive survivant à un tout qui n'a jamais existé... » Les thèmes en sont le Temps, la mort et la création artistique. Parmi ces treize textes (j'en vois treize, il doit y avoir un fantôme qui volète entre ces pages), je m'attarderai davantage sur mes préférés. Mais tous sont excellents.

1.Les oiseaux de Fra Angelico ouvre le recueil.
C'est une petite nouvelle très riche et pleine de fantaisie. Elle pastiche dans sa forme les Fioretti de Saint François.
Fra Giovanni da Fiesole déjà célèbre à Florence se perçoit toujours comme un humble moine dominicain . A l'heure des vêpres, il est en train de ramasser des oignons à la hâte (avant qu'ils ne pourrissent) dans le potager du cloître Saint Marc. Les gros oignons rouges servent à la soupe et le font bien pleurer. Il entend soudain une voix qui l'appelle par son nom de baptême « Guidolino !», il lève les yeux tout embués de larmes et entrevoit un étrange volatile rose avec de frêles pattes blanches. Il lui demande si c'est bien à lui qu'il s'adresse. de la tête, le volatile lui fait signe que non, et en tenant le doigt d'une patte tendu vers lui il le désigne, lui, Guidolino. le moine est stupéfait. L'étrange oiseau s'est pris les pattes dans le poirier. Il décide de le dégager. Il se défait de sa robe de bure qui entrave ses mouvements, monte à l'échelle et découvre que ses jambes maigres et blanches ressemblent bigrement à celles du volatile. Puis, comme il est nu il s'arrange à la hâte et s'excuse tout confus mais le souvenir de la belle Nerina, une jeune fille blonde couchée sur une motte de paille lui apparaît au mauvais moment et il se confond en excuses. Arrivé au sommet…

Fra Giovanni est le seul parmi les moines à percevoir les créatures étranges, à entendre leur langage et à se souvenir de la jeune fille. le rêve et le souvenir du désir lui permettent de créer une oeuvre immortelle. Les oeuvres de Fra Angelico adoptent une fonction miroir . le peintre y représente les saints comme des miroirs de vertu, destinés notamment aux novices. Dans l'histoire espiègle de Tabucchi la fonction miroir est pastichée également. Les créatures ailées sont maladroites comme l'albatros de Baudelaire : elles ne peuvent ni marcher ni voler bas ; elles restent coincées dans les branches des arbres et finissent en cage. Heureusement ces oiseaux maladroits, peut-être fruits de son imagination et de sa myopie larmoyante, deviennent les anges de ses fresques.

2.3.4 Ce conte est suivi par trois lettres impossibles et mélancoliques sur le thème du Temps. Les destinataires ne pourront ni les lire ni y répondre. La première lettre a été envoyée par le dernier roi portugais de la dynastie Aviz, Don Sebastiano (1554-1578) à Goya peintre de « carnages et caprices »né deux siècles plus tard. La lettre tente de rebâtir le passé. La deuxième est envoyée par la voyante de Napoléon, Mademoiselle Lenormand, à la révolutionnaire Dolores Ibarruri, révolutionnaire, communiste, Pasionaria de la guerre civile espagnole. Cette lettre décrit le futur et ses guerres immuables. La troisième et dernière lettre magnifique est écrite par la nymphe Calypso à Ulysse qui vient de la quitter. Calypso regrette son immortalité qui rend son présent éternellement douloureux.

5. « L'amour de Dom Pedro » est une variation sur la Reine morte.

6. « Message de la pénombre » est une lettre douce et tendre adressée à une défunte particulièrement touchante. La lettre accompagnait le catalogue de l'exposition de Davide Benati, Terres d'ombre et s'inspire de sa peinture. (voir citation de la fin).

7. « La phrase qui suit est fausse . La phrase qui précède est vraie ». C'est un ensemble de lettres de 1985 érudit et drôle entre Xavier Janata Monroy un Indien amateur de paradoxes mathématiques et Tabucchi, auteur de Nocturne Indien et de Petites équivoques sans importance. Tabucchi en profite pour comparer le roman au strip tease (voir citation).

8. « La bataille de San Romano » commence par une ébauche d'une nouvelle spectrale qui n'a rien à voir avec le contenu des dyptiques de Paolo Ucello dispersés à Londres et Paris. Mais l'histoire a été inspirée par un ouvrage sur la perspective de Vitellius. «  le panneau de Paolo Uccello offrirait non la représentation d'êtres réels mais de fantômes ».

9. « Histoire d'une histoire absente » le narrateur détruit le manuscrit d'un roman qu'il aurait dû remettre à son éditeur.

10. « La traduction » est une nouvelle allégorique pleine d'astuces. Un locuteur « je » décrit une toile à quelqu'un. Il interprète le tableau à sa manière en insistant sur la couleur jaune. A la fin le lecteur se rend compte que l'interlocuteur est aveugle. Et il comprend également que l'interprétation proposée par le locuteur pleine d'indices mortifères renvoie à des faits historiques.

11. « Les gens heureux ». Lors d'un repas une jeune femme annonce à un homme, un universitaire plutôt mûr qu'elle est enceinte.

12. « Les archives de Macao » hommage très touchant à son père.

13. « Dernière invitation » Eloge singulier de Lisbonne. La capitale portugaise est la ville la mieux pourvue en entreprises de pompes funèbres : seize pages dans l'annuaire ! Et la plus appropriée par sa structure et sa configuration pour faire des sauts...Une sorte de guide touristique plein d'humour noir pour âmes volantes.

Je vous encourage vivement à voleter avec ces drôles d'oiseaux.
Lu dans la traduction de Jean-Baptiste Para (1989)
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