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Critique de Eve-Yeshe


Il y a un an ou plus que je voulais lire ce roman, car j'aime le Portugal, pays où est né mon mari et qu'il a quitté pour échapper à la dictature, il y a longtemps et j'ai fait une belle rencontre.

Pereira est un homme simple, passionné de littérature, épris des auteurs français, qu'il traduit en portugais pour les publier sous forme de feuilletons. Il ressemble à tout un chacun, avec son obésité, ses problèmes cardiaques qu'il traite en mangeant des omelettes aux herbes, arrosées copieusement de citronnade très sucrée, qu'il consomme par litres. Il vit presque en reclus, dans ses livres, son dictionnaire à portée de la main pour traduire aux mieux ses auteurs préférés, Balzac, Daudet...

La concierge le surveille, sans aucune discrétion avec des réflexions ambigües et il soupçonne qu'elle est à la solde du régime. Il a perdu sa femme il y a quelques années et n'a jamais refait sa vie. Il n'a même pas fait son deuil, d'ailleurs, car il parle à sa photo, le soir avant de dormir, ou quand il prend une décision ou simplement pour échanger ses pensées.

Il n'a plus d'amis véritables, à part un prêtre, le père Antonio, avec qui il va discuter de temps en temps, car la mort le fascine. Il est catholique plus ou moins pratiquant, mais la résurrection de la chair est une idée qui le heurte (en reprendre pour une autre vie avec ce même corps obèse, cela ne l'enchante guère. Il vit, ou plutôt survit, dans ce pays où la dictature déploie ses ailes, sort ses griffes tel un aigle qui s'abat sur la population , surveillant tout le monde. Il se passe des choses, par exemple un serrurier assassiné dans l'Alentejo, cela n'est jamais évoqué dans les journaux.

Si on veut savoir, il faut se rendre dans un café, le Café Orquidéa, où certaines nouvelles circulent. Il n'a pas de conscience politique, il survit, dans son monde… " Il y avait simplement des bruits qui courraient, le bouche à oreille, il fallait se renseigner dans les cafés pour être informé, écouter les bavardages, c'était l'unique moyen d'être au courant". P 60

Puis, apparaît dans sa vie Francesco Monteiro-Rossi (Portugais par sa mère, Italien par son père), qui est sympathisant des républicains espagnols, ainsi que son amie. La relation entre les deux hommes est particulière d'emblée. Il s'attache à Francesco qui pourrait être le fils qu'ils n'ont jamais pu avoir, sa femme et lui, donc il a envie de le protéger, de l'aider, en lui faisant faire des rubriques nécrologiques avant l'heure pour des écrivains qui pourraient mourir brutalement.

Il le paye, de ses propres deniers, pour des textes qui sont impubliables du fait de la censure. Il fait l'éloge de Garcia-Lorca, ou de Maïakovski alors que règne la censure. Au début, le fait de le voir payer ainsi pour du vent exaspère, on a l'impression qu'il se laisse manipuler sans rien faire. Mais c'est loin d'être aussi simple…

le style et l'écriture sont particuliers, gênants au début, avec cette litanie « Pereira prétend » qui revient régulièrement, de façon entêtante comme un mantra. Pereira n'affirme pas, il prétend… peu à peu l'oppression s'installe, rythmée par cette petite locution. le poids de la censure, de la pression se trouve renforcé par cet emploi.

Antonio Tabucchi utilise une autre ficelle pour rendre l'atmosphère pesante de l'enfermement de la pensée : il choisit de ne pas écrire les échanges entre les personnages sous forme de dialogue ; certes il ouvre les guillemets, mais ne va jamais à la ligne, ce qui rend le texte encore plus dense.

C'est le premier roman d'Antonio Tabucchi que je lis, et je l'ai dévoré et en même temps savouré, relisant des passages, le posant un peu pour respirer, (Pereira s'essouffle à cause de son coeur malade, au propre comme au figuré d'ailleurs, dégoulinant de sueur (ou peut-être de peur) sous la chaleur moite de Lisbonne, et le lecteur retient son souffle… on entend la mer au loin la brise du soir, le ventre de Lisbonne respire à peine, mais la ville est tellement présente qu'elle est un personnage du livre...

Note : 8,2/10
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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