AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de sarahauger


La forêt est encore un nouveau livre De Luca qui m'a retourné la tête. Qu'est-ce que c'est que ce lieu étrange ?
Nous partons pour une balade dans les bois avec un petit groupe de jeunes. Ce qu'on apprend trop tard, c'est que, de cette forêt, il n'existe nul moyen de s'échapper.
Quoi qu'on tente, quelque chemin qu'on emprunte, on se retrouve toujours au même endroit. Voilà comment une sortie bucolique vire progressivement au cauchemar.
Cauchemar à plus d'un titre, car, au-delà du fait totalement invraisemblable de ne pouvoir s'échapper d'un lieu censé être ouvert, il va falloir gérer bien des choses auxquelles ce petit groupe n'était pas préparé.

Comme toujours avec Luca, les mots sont savamment choisis, l'écriture est travaillée, le sens du détail atteint son paroxysme. L'angoisse de la situation s'installe insidieusement. Une page après l'autre, on se pose des questions, on se dit que ce n'est pas possible, qu'il va y avoir une explication rationnelle. Puis on s'enroule dans sa couverture pour se sentir plus en sécurité.

Le narrateur nous prend à partie directement, il nous plonge totalement dans l'aventure, nous invite dans la galère avec son groupe.
Nous aussi nous sommes bloqués dans cette forêt, à la recherche d'une issue, à tenter jour après jour un nouveau chemin dans l'espoir de comprendre, de s'échapper.
Mais non, les jours passent et il faut bien accepter l'évidence, s'organiser, survivre. Combien de temps cela peut-il durer ? Deux jours ? Une semaine ? Un an ? Plus encore ?
Ça prend les tripes et on s'imagine à leur place, tout ce qu'on a perdu, tous les gens qui s'inquiètent pour nous de l'autre côté, mais de l'autre côté de quoi, en fait ? Où sommes-nous réellement ? Que s'est-il passé ?
Tout semble tellement irréel, impossible, mais a-t-on vraiment le temps de penser à tout cela ? Parce que finalement, le plus important, c'est aussi de rester en vie. Et comment s'y prendre quand on est à peine sorti de l'enfance ?
Si tous se permettent d'avoir peur, de cogiter, qui va les soutenir ? Alors bien sûr, il en faut toujours un pour prendre les choses en mains, tenter de souder le groupe, l'empêcher de partir à la dérive.
Du coup, petit à petit, l'impossible devient notre quotidien, on y pense plus vraiment, c'est comme ça, c'est la seule vie qui nous reste, alors on s'adapte, on ne cherche plus trop à comprendre.
Les corvées routinières mises en place permettent d'éviter de projeter les pensées vers l'avenir, et c'est tant mieux, car, dans ce contexte, quel avenir peut-il y avoir ?

On voit tous ces jeunes évoluer de l'intérieur, puisqu'on vit avec eux. Vous ne sentez pas cette odeur de pin, celle de la mousse humide et des sous-bois ?
Vous n'avez pas ce sentiment de peur qui vous tombe dessus au crépuscule ? Et tous ces bruits qui vous empêchent de dormir, on n'y prête pas attention dans la journée, mais la nuit, quand tout se montre calme, c'est une autre histoire…
Vous sentez ce mal au dos le matin au réveil ? Les conditions de vie s'avèrent plutôt basiques, bah, oui, en pleins bois, le confort moderne, vous repasserez…

Ce huis clos n'est pas sans me faire penser à celui écrit par Jean-Paul Sartre. L'enfer, c'est les autres, et cet adage va une fois de plus se vérifier. Bloquez un groupe de personnes dans un lieu confiné et l'expérience peut démarrer.
Les caractères vont se révéler, les tensions naître.
Quoi de plus dur que de devoir cohabiter avec d'autres dans un espace réduit ? Devoir se croiser, se parler, s'entraider chaque jour, même quand on n'en a pas envie. Parce que la situation va les conduire à tout partager, tout vivre en commun. La survie est à ce prix.
Malheur à celui qui veut se la jouer perso, parce que c'est ensemble qu'on se montre les plus forts.
En pleine nature, ou dans 20m2 peu importe, la situation reste la même, il faut se supporter.
Consentir à un effort de quelques heures, c'est tenable, mais quand les heures deviennent des jours, des mois … c'est bien plus compliqué.
L'horreur est en marche et chemine dans les têtes fragilisées et les corps affaiblis. À quel moment la raison bascule-t-elle ? Jusqu'où peut-on aller avant de perdre toute moralité et laisser sur place une part de notre humanité ?
Qui sommes-nous et qu'accepterions-nous de faire au nom de notre propre survie ?
Combien vont s'égarer en chemin, combien vont s'accrocher jusqu'au bout ?

Bon sens et intelligence vont être nécessaires pour espérer trouver une solution à ce problème hors du commun. le temps file à son rythme, mais devient soudain votre ennemi. Il s'égrène, lentement et trop vite à la fois. Il semble figé, et, pourtant, les heures, les jours, passent inexorablement.
On avance, on grandit, mais on n'évolue pas vraiment. Les corps changent, mais certaines choses restent immuables. Impossible de continuer les apprentissages nécessaires pour atteindre une certaine maturité, livré à soi-même sans personne pour nous guider. Nous voilà face à des enfants dans des corps d'adultes.
En cas de retour à la « normale », il y a fort à parier que nous serions en total décalage, tel un Hibernatus revenu à la vie bien des décennies après sa congélation. Et plus la durée de l'exile est longue, plus ce décalage risque de se faire sentir.
Et d'un autre côté, on apprend des choses qui ne nous auraient jamais effleurées dans un autre endroit. La débrouillardise est de mise, le contexte nous pousse à l'ingéniosité.
Les affinités qui se créent auraient-elles eu une chance dans une vie normale ?

Toute une existence axée sur la recherche d'un moyen de s'enfuir et, pourtant, la liberté n'est-elle pas parfois pire que ce qu'on vit comme une prison ? On sait ce qu'on a, quand on le laisse, on ne peut jamais être sûr de ce qu'on va trouver après.

Je me suis une nouvelle fois régalée, et, comme je le dis chaque fois, cette histoire est la meilleure que Luca nous a proposée. Alors vivement la prochaine.



Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}