S'émerveiller.
Se dire qu'on a récolté
toutes ces mûres
arrachées à leur palais de ronces
et à l'amitié des abeilles.
Les mûres sont aussi précieuses que le lait.
"Il ne faut pas renverser", dit ma mère.
Le pot se remplit lentement.
Nous apprenons la patience,
la lenteur, le geste précis.
Je suis le garçon maladroit.
Je renverse parfois le pot.
Les mûres trouvent un lit d'herbe
ou s'éparpillent dans les ronces.
Ma mère accourt et gronde à peine.
La cueillette est sobre, sans éclat.
Les mûres sont cueillies une par une.
Pas de rapt, pas de gloutonnerie.
Les nuages noirs nous dominent
( nous sommes dans le Léon aux cieux si
souvent bas)
nous redoutons l'averse
avant la fin de la cueillette
Parfois il faut un bâton pour rabattre les ronces,
grimper sur le talus pour mieux cueillir les
mûres.
Au sommet on découvre des terrains inconnus,
des vastes gisements de mûres.
Alors on bascule sur un autre versant,
les yeux toujours émerveillés.
Aujourd'hui je ne suis pas venue pour ramasser des mûres
Simplement les avoir sous le palais.
Evaluer leur douceur, leur acidité, leur profondeur.
Je suis un oenologue des mûres
comme pouvait l'être Mahmud Darwich.
Avant la mûre, il y a la fleur,
la fleur pâle du roncier.
Rose, rose rouge, rose pâle.
Personne ne la voit.
Ce ne sont pas des fleurs.
on ne les cueille pas.
Alors on passe devant.
Mais parlez-moi de leur lumière
et des abeilles qui viennent s'y abreuver.
J'aime parler des mûres.
De la cueillette des mûres.
J'en fais même des haïkus.
Penché sur la rivière
pour atteindre des mûres
j'ai fait bondir la grenouille de Bashô
Derrière la vitre du train
bloqué en rase campagne
des mûres à foison
Rouges vertes roses
envisager l'automne
à la couleur des premières mûres
" Elles sont accommodantes,
elles sont toutes petites
pour tenir dans une bouteille de lait",
raconte Sylvia Plath
qui aimait aller cueillir des mûres
dans sa campane du Devon.
Août
Le mois de ma naissance.
Invincible torpeur
dans la sueur pesante.
L'aigre violon du moustique
perce la nuit folle.
Il faut durer
jusqu'à l'orage.
J'aime les mûres qui giclent à peine effleurées.
Elles sont douces, pleines de jus.
Elles tachent les doigts et parfois la chemise.
C'est la razzia dans un roncier qu'on avait repéré.
D'autres cueilleurs sont passés avant nous.
Ils ont laissé leurs empreintes dans le roncier,
leurs pas lourds de prédateurs.
Ils ont raflé les mûres les plus belles.
Nous pestons comme l'on pesterait
contre des sangliers qui auraient fouiné dans les semis.
Nous nous vengeons an atteignant les mûres
plus hautes ou celles que l'on surprend
en rabattant des ronces.