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Critique de HundredDreams


Après « Les gardiens du Louvre », entre voyage dans le temps et onirisme, j'ai en envie de découvrir le livre qui a apporté la notoriété à Jirô Taniguchi. En effet, le mangaka a reçu, entre autres, le prix du meilleur scénario au Festival d'Angoulême en 2003 pour ce livre.
J'aime l'univers de cet auteur illustrateur qui dégage, par ses récits pudiques, délicats et nostalgiques, une force émotionnelle rare.
Ancré dans la culture japonaise, « Quartier Lointain » se démarque du manga par son format, ses influences graphiques et son sens de lecture qui se calquent sur la BD européenne.

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Les souvenirs sont peuplés de moments heureux, mais aussi de moments douloureux, de blessures non cicatrisées, de paroles ou de gestes inconsidérés, ...
Peut-être vous êtes-vous déjà demandé si votre vie aurait pu être différente si vous aviez fait des choix autres ? Peut-être avez-vous déjà eu envie de revenir dans le passé, le changer pour vous libérer d'une peine, d'une erreur commise et ainsi mieux vivre le présent ?

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L'histoire débute en gare de Kyôto. Hiroshi Nakahara rentre chez lui après un voyage d'affaires. Abruti par un gros mal de tête, il prend par erreur un train qui le ramène dans sa ville natale. Il décide alors de profiter de cet étrange hasard pour faire un tour dans le quartier de son enfance et se rendre au vieux cimetière où sa mère est enterrée.
Mais à la suite d'un malaise, il reprend conscience dans le passé. Il est maintenant dans le corps de l'adolescent qu'il était à ses quatorze ans, mais il a gardé sa maturité et ses souvenirs d'adulte.

« Tout ce qui était inscrit dans ma mémoire, les évènements du passé, étaient ici des évènements à venir ! »

Après le choc des retrouvailles avec sa famille, c'est pour lui l'occasion de revoir sa grand-mère et sa mère décédées depuis longtemps, de comprendre pourquoi son père les a abandonnés sans explication, de l'empêcher de disparaître à nouveau et de corriger certaines erreurs de jeunesse.

Pourquoi est-il revenu quelques mois avant la disparition de son père ? Pourra-t-il changer son passé ? Ou bien est-il condamné à revivre sa vie d'enfant, subir les mêmes évènements, spectateur de sa propre vie, impuissant à les transformer ? Pourra-t-il revenir dans le présent et reprendre le cours de son existence, mûri de cette expérience ? Quelles incidences auront les changements de son passé sur son futur ?

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Rêve ou réalité ?

Ce récit introspectif est empreint de douceur, de nostalgie et de poésie. On voyage dans le temps, à quelques mois des jeux olympiques de Tokyo en 1964.

Hiroshi Nakahara revit sa vie d'adolescent à travers ses yeux d'adulte, des moments de bonheur et d'insouciance ternis par l'ombre de la disparition à venir de son père.
Au fil de l'histoire, il prend conscience de son ignorance et de sa naïveté d'adolescent.

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La qualité du récit est le résultat d'une parfaite symbiose entre la narration et les illustrations.
Le texte court, sobre, ne cherche pas à tout nous dire, il laisse des points de suspension, des espaces pour que les dessins puissent s'exprimer dans toute leur subtilité et leur profondeur émotionnelle.

« Personne ne devient jamais vraiment adulte…
L'enfant que nous avons été est toujours là, bien vivant, tout au fond de nous…
Il est comme ce ciel…
Avec le temps, nous croyons grandir…
Mais la maturité n'est qu'un leurre, une entrave à notre âme libre d'enfant. »

J'avais déjà été séduite par les illustrations de Jirô Taniguchi.
Là encore, elles m'ont émerveillée par leur réalisme et le soin apporté aux détails, mais aussi par la force des émotions qu'elles dégagent.

Les lignes épurées dessinent des portraits saisissants si bien que, sur leur visage, se lisent leurs pensées et leurs sentiments comme dans un livre ouvert. En effet, l'auteur n'a pas son pareil pour capturer la psychologie et les émotions de ses personnages dans leurs expressions faciales, leurs postures, leurs mouvements. Ainsi, par le dessin, de beaux cadrages, quelques mots, Jirô Taniguchi pénètre la complexité des émotions humaines.
Le lecteur a immédiatement de la sympathie pour eux.

Les arrière-plans montrent des scènes de la vie quotidienne touchantes, des paysages urbains et campagnards magnifiques, propices à immerger le lecteur dans une atmosphère nostalgique et contemplative.

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On ne peut être insensible à l'évolution de notre monde, de notre mode de vie, de nos comportements, de la place des parents dans l'éducation des enfants, de la relation parents-enfants au cours du temps.

Cette histoire émouvante et délicate confronte le narrateur au temps qui s'écoule, à ses souvenirs et aux drames de la vie. Elle explore également avec finesse les thèmes de la famille et de l'enfance, des choix de vie et du poids des regrets, de l'amour et de la recherche du bonheur.

« le ciel est si haut…
Et pourtant, on a l'impression qu'il suffirait de tendre la main pour toucher les nuages…
Le ciel est si mystérieux…
C'est comme s'il était immuable, au-delà des hommes, au-delà du temps…
Et ci c'était ça l'éternité, un simple ciel… »

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Au final, « Quartier lointain » est un voyage temporel tissé de réalisme magique dans lequel se dégagent une rêverie poétique et un regard tendre sur le monde de l'enfance. L'auteur évite les écueils du sentimentalisme et du cliché. Son récit qui accorde beaucoup d'importance aux dessins est beau et touchant.
Je lis peu de bandes dessinées mais j'ai pris plaisir à cette parenthèse douce et mélancolique. Cela me donne envie de poursuivre mes incursions dans cette forme d'expression.
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