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Critique de mh17


J'ai beaucoup aimé explorer cette nouvelle du maître Tanizaki. Elle a été écrite en 1932 en même temps qu' Eloge de l'ombre auquel elle fait écho. A cette époque Tanizaki s'est retiré à Osaka et travaille également à la traduction en japonais moderne du Dit du Genji. La première partie de la nouvelle pleine de références littéraires et historiques ainsi que sa structure complexe peuvent dérouter à première vue mais laissez-vous guider par le narrateur-auteur et très vite, vous verrez, vous serez comme absorbé dans son riche imaginaire poétique.
Dans la première partie l'auteur-narrateur nous emmène dans une promenade automnale autour du sanctuaire de Minase dans la région d'Okamoto, sur les traces de l'empereur Gotoba (XIIIe siècle). Celui-ci y fit édifier un palais, y donna des fêtes somptueuses. Cet empereur était aussi poète et termina sa vie en exil. Il composa en particulier ce poème mélancolique :
« Je regarde dans le lointain
Le pied des montagnes est enveloppé de brume
Rivière Minase !
Pourquoi avoir préféré les soirs d'automne ? »
Le narrateur cherche le lieu précis où l'empereur méditait et cherche aussi à retrouver l'émotion nostalgique exacte que l'empereur éprouvait alors 700 ans avant lui. Il cherche la montagne arrondie, douce, embrumée à l'ombre de la lune. Il cherche à se fondre dans la solitude du soir dans la fine brume qui flotte au-dessus de l'eau et qui semble de loin lui faire signe. Cette rêverie mémorielle lui fait oublier l'heure. Il suit alors le conseil d'un marchand de nouilles. Il emprunte un bac, s'étonnant qu'il en existe encore, qui le mène sur un banc de sable couvert de roseaux au milieu du fleuve. Là avant d'embarquer sur un second bac le conduisant vers la rive opposée, il sort son carnet à dessin et boit quelques verres d'alcool. Une lumière bleutée enveloppe le fleuve. Il chantonne, pense aux courtisanes qui se frayaient un passage dans les roseaux pour se vendre aux marchands. Que sont-elles devenues ? Ont-elles été obligées de se sacrifier par compassion pour Amina ? le narrateur sent alors une présence derrière lui. Un homme est accroupi dans les roseaux. Il est d'Osaka. Ils se mettent à discuter, s'accordent sur tout, boivent beaucoup de saké et se mettent à chantonner des airs du Nô. le narrateur confie qu'il songe aux fantômes des courtisanes du passé et l'inconnu était justement en train de songer « aux fantômes d'un passé disparu ». Depuis l'enfance, il a été plus ou moins contraint d'assister aux fêtes de la lune. En fait son père venait guetter à travers d'épaisses feuilles de roseaux une jeune femme joueuse de koto à la voix raffinée. Chaque année la scène se répétait, sous la lune bleutée.

Le narrateur s'efface tel le waki enivré de saké dans le théâtre No. L''inconnu aux roseaux comme le shite du Nô nous raconte alors l'histoire du père. Il y a bien longtemps, ce père aima O_Yu, une jeune veuve de vingt-trois ans et mère d'un petit garçon. Elle avait été élevée comme une princesse et régnait sur la maison de ses beaux-parents. Ceux-ci lui laissaient beaucoup de liberté afin qu'elle ne se remarie jamais ce qui aurait privé l'enfant d'héritage. Shinnosuké (le père de l'inconnu) issu de la bourgeoisie rêvait depuis longtemps d'épouser une beauté aristocratique à la peau laiteuse. Au théâtre où il la rencontra il fut sous le charme de cette poupée de cour. Mais comment contourner l'obstacle des beaux-parents ? Grâce à l'entremise d'une tante, l'idée s'imposa alors d'épouser la jeune soeur O-shizu. Ainsi Shinnosuké resterait très proche de l'aînée…Je ne vous en dirai pas plus sur ce très tanizakien ménage à trois plein de perversité et de calculs sournois.

Le destin de la belle O-Yu rappellera celui de l'empereur mais aussi celui des courtisanes, la douleur de l'empereur celle du père de l'inconnu aux roseaux. Au fait ce coupeur de roseaux ne serait-il pas un fantôme qui se fond dans le clair de lune ?
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