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Critique de Presence


Déchu
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Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il regroupe les 3 épisodes, initialement parus en 2020, écrits par Tom Taylor, dessinés et encrés par Darick Robertson et mis en couleurs par Diego Rodriguez. Il contient également les couvertures originales de Robertson, ainsi que les couvertures variantes de Lee Bermejo, J.H. Williams III, Sean Phillips, Robertson, et 4 pages de crayonnés.

Il y a de cela plusieurs dizaines d'années, Mary Constantine accouche de John, et le médecin confie la pince à son époux Thomas qui coupe le cordon ombilical. Elle s'inquiète de savoir s'il est normal, et la sage-femme lui répond qu'il est parfait en lui confiant dans les bras, puis en rappelant le docteur Delano. Mary décède peu de temps après des suites de l'accouchement. le père a élevé seul sa fille Cheryl et son fils John en lui en voulant d'avoir causé la mort de son épouse. John a grandi avec un père toujours en colère, alcoolique, effectuant régulièrement des séjours en prison. Il en a développé un solide irrespect pour l'autorité et un sentiment de culpabilité irrépressible. Pas tout à fait adolescent, John avait organisé une séance de conjuration, un soir, un jour de pluie, avec son copain Billy Henderson, avec Aisha Bukhari pour impressionner cette dernière. Comme convenu, il lui avait ramené des cigarettes, barbotées à son père. Tout en révisant sur son livre de sorts, il avait dessiné un pentagramme dans le sol, implanté une bougie allumée à chaque pointe, et lu le sort, bien sûr sans aucun effet notable. Mais ils avaient tous les trois été emportés par la vague de la rivière en crue, et Billy y avait trouvé la mort.

Au temps présent, un soir, Aisha rend visite à Gary, un inspecteur de police. Elle dispose d'une soirée à elle, et elle a bien l'intention de s'en jeter plusieurs derrière la cravate, et de rentrer chez elle bien imbibée, en chantant à tue-tête Tiny Dancer (1972) d'Elton John. Elle confirme à Gary qu'elle a l'intention de commencer par aller manger au pub Dillon avant de faire la tournée de quelques autres pubs. Ils marchent tranquillement quand ils entendent un cri atroce. Ils lèvent la tête et aperçoit le cadavre d'un homme nu avec des ailes, embroché sur la flèche d'un paratonnerre. Un peu plus tard, un camion avec une nacelle est sur place, avec un policier qui monte pour aller essayer de décocher le corps. La nacelle touche le corps, et la flèche cède sous le poids du corps et des ans. le cadavre s'écrase vingt mètres plus bas, son sang éclaboussant une demi-douzaine de badauds. Dans le courant de la nuit, Gary et Aisha se rendent chez le coroner, la médecin légiste leur indiquant qu'elle n'a pas pu identifier le corps faute de papiers d'identité, et qu'elle et son équipe ont également été incapables d'identifier la matière des ailes. Ils pénètrent dans la pièce où se trouvent le cadavre et les ailes, et surprennent un individu cagoulé en train de dérober les ailes, après les avoir coupées du dos du cadavre. Aisha lui tire dessus, le blesse, mais il parvient à s'enfuir. Elle le poursuit dans la ruelle à l'arrière, se rend compte qu'il a filé, et elle a la surprise de découvrir qu'un homme se tient là : John Constantine, clope au bec.

Tout dépend de votre rapport avec John Constantine. Pour un lecteur qui n'aurait jamais croisé sa route, il commence par une anecdote bien noire, d'autant plus effrayante qu'elle n'implique aucune créature surnaturelle, aucune occurrence magique ou matérialisation d'une énergie fantastique, pour des résultats défiant les lois de la physique. le dessinateur réalise des planches soignées et des dessins peaufinés, avec une mise en couleurs qui rehausse les reliefs, instaure une ambiance lumineuse pour chaque scène et fait en sorte que chaque élément ressorte bien par rapport aux autres. Il ne faut pas longtemps pour que le surnaturel s'immisce dans le récit : la nature des ailes certainement angéliques, puis la participation d'un démon de premier plan sous une forme humanoïde, avec des cornes sur le front, une langue bifide, et une queue pointue. Un autre démon habite le corps d'un enfant et déforme ses expressions de visage avec une haine palpable. Il est visible que l'artiste prend un grand plaisir à dessiner ce récit, que ce soit les décors typiquement anglais, les démons, la roublardise de John Constantine, un maître en la matière, ou encore les deux principaux démons, l'un plutôt charmeur, l'autre plutôt horrifique. Il n'hésite à pas à intégrer des coulées de sang, mais dans une quantité très mesurée, sans tomber dans le gore. Il est parfaitement en phase avec le ton du scénario, entre les éléments horrifiques premier degré, et une forme d'humour sarcastique et ironique. En cas de découverte du personnage, le lecteur profane s'amuse bien dans une bande dessinée soignée, avec quelques moments de violence soutenue, un humour souvent noir, des manipulations malignes, et une dose de surnaturel exagérée savoureuse.

Il est également possible que le lecteur connaisse déjà le personnage, soit dans sa version affadie de l'univers partagé DC, soit dans sa version brut Vertigo. La page de titre précise que John Constantine a été cocréé par Alan Moore, Steve Bissette, John Totleben, Jamie Delano et John Ridgway, apparu pour la première fois en 1985. Il a bénéficié d'une série de 300 épisodes de 1988 à 2013, dans le label Vertigo de DC Comics. Puis il a été rapatrié dans l'univers partagé DC en 2011, où il a commencé par apparaître dans la série Justice League Dark. Même si le scénariste adresse un clin à Jamie Delano en donnant son nom au médecin accoucheur, et à Steve Dillon dessinateur de la série lorsqu'elle fut écrite par Garth Ennis, le positionnement du personnage dans son récit correspond plus à celui de l'univers partagé qu'à la version initiale Vertigo. Cela n'empêche pas le lecteur d'être favorablement impressionné : en effet, Tom Taylor, auteur australien, maîtrise bien l'argot anglais, apportant une saveur authentique au personnage, renforcée par les dessins du britannique Robertson. Il maîtrise bien la continuité du personnage, que ce soit le personnage secondaire de Chas Chandler son épouse Renee, ou la relation toxique entre John et son père Thomas. Il place Constantine dans une situation intenable devant tenir tête à Satan en personne, même si celui-ci est venu lui demander une faveur. Il est visible qu'il s'amuse dans les scènes de dialogue entre ces deux individualités très marquées, sans pour autant en abuser, sans que son histoire ne soit qu'un prétexte pour ces passages. Aucun superhéros n'apparaît dans l'histoire, ni même n'est mentionné. L'artiste est dans un registre visuel qui n'est pas non plus celui des superhéros, et sa mise en scène de la violence n'est ni insipide ni inoffensive, tout en conservant une touche d'humour. de ce point de vue, cette histoire de John Constantine n'est ni un contresens, ni une dilution du personnage, et cette lecture s'avère très agréable.

Pour autant, s'il a déjà lu des histoires de la série Vertigo, le lecteur sent bien qu'il manque un ou deux ingrédients essentiels. La critique sociale n'est que superficielle : un condiment ajouté pour donner plus de goût, mais sans consistance. La dimension psychologique est plus tangible, avec le poids de la culpabilité supporté par John Constantine depuis sa naissance qui a provoqué la mort de sa mère. Cela fait partie de son profil psychologique, mais sans le tourmenter, sans générer une tendance à la dépression. On est loin des affres existentielles qu'il a pu affronter sous la plume des auteurs de la série Vertigo, comme Jamie Delano, Garth Ennis Paul Jenkins, Mike Carey ou Brian Azzarello. Il manque cette sensation de quête vitale pour le personnage qui exprime celle tout aussi vitale pour le scénariste. de la même manière le dessinateur réalise des planches très agréables à regarder, mais il est aussi visible qu'il ne cherche pas à provoquer le lecteur ou à évoquer le tourment intérieur d'un ou plusieurs personnages. S'il est à la recherche d'une dose récente de John Constantine version Vertigo, le lecteur préfère se plonger dans John Constantine, Hellblazer (2020/2021, 12 épisodes) de Simon Spurrier, Aaron Campbell, Matías Bergara et Jordie Bellaire, une histoire vraiment digne de cette série initiale.

L'appréciation du lecteur pour ce récit dépend donc totalement de sa relation préexistante avec John Constantine. S'il ne le connaît pas du tout, c'est une sympathique balade en sa compagnie, avec une réelle malice, d'excellentes trouvailles scénaristiques et visuelles, un récit qui sait ne pas être gentillet, sans pousser le bouchon trop loin quand même. S'il a déjà eu l'occasion de le croiser, il retrouve la version de l'univers partagé DC Comics, assez caustique, manipulateur, très conscient que ses interventions s'accompagnent d'un prix à payer pour ses proches, et un alourdissement de sa culpabilité. Il savoure la narration visuelle que ce soit pour les expressions de visage, pour des visuels spectaculaires, ou des moments d'intimité crédibles. S'il est un adulte consentant avec un goût pour se confronter à la misère du monde et la souffrance existentielle, il se dit que les auteurs restent un peu trop gentils, sans aller fouailler ce que la nature humaine peut avoir de pire. Cela ne l'empêche pas de bien s'amuser lors des face à face entre John Constantine et un grand manipulateur qui joue dans une autre cour que lui.
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