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Critique de Alzie


Alzie
03 novembre 2014
Un hors-série Télérama entièrement consacré à Sonia, devenue Delaunay en 1910 par le nom de Robert. Dieu sait qu'elle le mérite cette russo-ukrainienne polyglotte évoluant très tôt dans un milieu international et débarquée en 1905 à Paris au milieu de l'effervescence fauve ; elle qui a su si extraordinairement répandre ses propres couleurs dans tous les arts - peinture, arts du textile, du décor, costumes et jusque dans le quotidien d'objets utilitaires ou manufacturés - que ses innombrables talents lui permirent d'exercer. Hors-série assez complet qui renvoie naturellement à l'exposition en cours au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris : Sonia Delaunay, les couleurs de l'abstraction, un prélude à la visite.

« Il n'y avait aucun hiatus chez moi entre ma peinture et mes travaux dits « décoratifs ». […] le « genre mineur » n'avait jamais été une frustration artistique mais une expansion libre, une conquête d'espaces nouveaux, c'était l'application d'une même recherche. La conception m'excitait. »

Comme de nombreux autres artistes, Sonia Delaunay a milité en faveur d'un décloisonnement des arts auxquelles ses origines russes la sensibilisaient peut-être - ce clivage étant moins prégnant en Russie que chez nous - recherchant dans la synthèse arts majeurs/arts dits mineurs, l'élan nécessaire au renouveau des formes en même temps que la démocratisation des pratiques et des comportements.

Le début de ce hors-série est consacré sans surprise à la jeunesse russe de Sonia Terk née en 1885, petite fille douée pour le dessin éduquée à Saint Pétersbourg qui part en Allemagne y compléter son éducation classique ; à son installation à Paris où, très vite intégrée à la scène artistique, elle rencontre Robert Delaunay qu'elle épouse ; au développement de leur propre grammaire esthétique : travail formel fondé sur le langage lumineux de la couleur - à partir des travaux du chimiste Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) dont les traités (De la loi du contraste simultané des couleurs et Des couleurs et de leurs applications dans les arts industriels) irriguent les recherches de l'époque - pour y inscrire par l'abstraction la modernité naissante, le mouvement, la vitesse, les accélérations d'un siècle qui s'électrise sous l'oeil inventif de toutes les avant-gardes. Sonia peint « Le Bal Bullier » en 1913 ou « Prismes électriques » en 1914. Se replie au Portugal et en Espagne pendant la première guerre mondiale où elle créée la Casa Sonia à Madrid en 1918, (accessoires de mode et décoration intérieure).

Un numéro qui n'amoindrit nullement l'oeuvre picturale de Sonia Delaunay, bien connue et si éminemment visuelle et colorée, mais qui rétablit tout simplement des résonances bien souvent occultées avec son travail de créatrice à partir de 1914, dans tous les domaines des arts décoratifs et de la mode, aussi divers que le costume de théâtre (costumes de Cléopâtre en 1918 pour les ballets russes, robes-poèmes pour les soirées dadaïstes en 1924), le décor d'opéra, la reliure, l'affiche publicitaire, le vêtement, le textile imprimé, la décoration intérieure, le mobilier. Elle créée L'Atelier Simultané et collabore avec le couturier Jacques Heim en 1925, ouvre sa boutique « Simultané » et fonde une société commerciale Maison Sonia à laquelle la crise de 1929 mettra un terme, invente la robe simultanée.

Dans le domaine du livre, on doit entre autre à Sonia Delaunay une collaboration remarquable (visible sous vitrine à l'expo et très bien reproduite ici dans ce hors-série) avec Blaise Cendrars pour La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France : « Un OVNI de l'édition », avec d'un côté le texte, long poème en prose, imprimé sur parchemin, japon ou simili-japon et de l'autre, les somptueux échos chromatiques déposés par Sonia et illustrant le voyage de Blaise. L'ensemble (deux mètres de long par environ trente centimètre de large) se dépliant comme un accordéon et se lisant de haut en bas, protégé par une reliure de parchemin peint (150 exemplaires). A ne pas manquer. Ceci pour la passionnée des arts du livre et de l'estampe que je suis.

On trouvera aussi dans ce numéro un rappel consacré aux quatre pionnières de la couture que furent Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet : « Quand une femme rit, sa robe doit rire avec elle », Gabrielle Chanel et Elsa Schiaparelli, aînées ou contemporaines de Sonia Delaunay et qui participent de ce mouvement, non seulement de remise du corset au placard, mais plutôt d'une expression artistique dans et par la mode.

Pluridisciplinaire, elle le sera jusqu'au bout Sonia Delaunay, membre fondateur de l'Union des Artistes Modernes avec Le Corbusier, Charlotte Perriand et René Herbst, elle participe aux grands décors pour le pavillon des Chemins de fer et le palais de l'Air pour l'Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937, ou collabore dans l'industrie textile, par ses nombreuses créations de tissus, avec Liberty ou l'entreprise Metz & Co pendant plus de trente ans ce qui lui assure un succès international.

Après le décès de Robert Delaunay en 1941 et les années de guerre passées dans le midi, Sonia Delaunay retrouve peu à peu ses pinceaux dans les années cinquante : grandes compositions rythmées, huiles ou gouaches nombreuses, qui donneront lieu à des tapis ou des tapisseries tissés dans les ateliers d'Aubusson ou les Manufactures Nationales des Gobelins, De Beauvais et de la Savonnerie. Dans l'abstraction de nouvelles tendances se dessinent privilégiant le geste direct ou l'émotion individuelle. Elle s'investit dans les débats esthétiques publics et gagne peu à peu son indépendance aux yeux d'une critique jusque là assez encline à des jugements un peu hâtifs.

"Qu'avait-on dit de moi jusque-là : égérie de l'orphisme, décoratrice, compagne de Robert Delaunay. Puis on a concédé : "collaboratrice, continuatrice...", avant d'admettre que l'oeuvre existait en soi."

Reconnaissance bien tardive pour cette artiste disparue en 1979, mais lecture chatoyante comme le reste aujourd'hui son oeuvre.





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