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Critique de colimasson


Avant d'entrer davantage dans les détails de cet essai, Laurent Thirouin doit être profondément remercié pour son formidable travail qui honore l'oeuvre de Pascal ainsi que sa pratique d'une forme de dialectique s'accomplissant dans l'ordre de la charité. Si Pascal peut parfois sembler incomplet dans le cadre d'un discours qui émanerait de la laïcité ordinaire, la reconnaissance de la portée religieuse de ses réflexions permet de retrouver celles-ci dans leur densité originelle.


Lorsque Pascal meurt en 1662, ses Pensées n'avaient pas encore de forme définitive. Il n'en existait qu'un ensemble de feuillets dont le classement aura été à l'origine d'éditions différentes. Dans un premier temps, la population de Port-Royal les rassemble et les publie en 1670 sous le titre des « Pensées de Monsieur Pascal sur la religion et quelques autres sujets qui ont été trouvés après sa mort parmi ses papiers ».


Certaines éditions tentèrent un classement des feuillets selon un ordonnancement thématique. Pourtant « Pascal proclame ainsi que l'originalité et l'intérêt de son travail ne sauraient tenir à la matière même de ses réflexions, résultat d'emprunts divers. L'ordre seul est sien ». S'interroger sur la méthode que privilégia Pascal pour formuler ses Pensées n'est pas un vain amusement mais une manière d'inscrire la réflexion philosophique dans l'ordre de la charité. Pascal se distingue de la méthode de Descartes qui se veut rectiligne, affirmée, immédiate et donc partiellement aveugle, mais il se distingue également d'un Montaigne qui, pour critique qu'il se montrât également vis-à-vis de la méthode cartésienne, n'en proposa point de meilleure en badinant d'un point à l'autre sans référentiel fixe lui permettant d'ancrer son discours et de lui ôter sa gratuité un peu vaine. le classement des liasses des Pensées n'obéit ainsi pas à une rationalité thématique mais argumentative. La valeur argumentative de chaque liasse apparaît dans le rapport qu'elle entretient avec des liasses connexes.


Pascal peut sembler déstabilisant : tantôt il évoque implacablement l'aveuglement dans lequel se perdent les hommes à travers le divertissement, tantôt il en repère la logique en remontant à la « raison des effets ». Cette oscillation pourrait sembler gratuite et montaignienne. Il n'en est rien. Si Montaigne se rit des effets, Pascal se rit de ceux qui en rient car ceux-ci ignorent les raisons de ces effets. Dans le cadre de cette forme rhétorique précise, il convient de distinguer ceux qui ne sont pas habiles et qui se contentent des faits, les demi-habiles qui se rient des effets et les habiles qui ne rient plus que des demi-habiles car ils sont remontés à la raison des effets qui laisse découvrir la nécessité logique de ce qui semblait absurde et vain.


Pascal se hisse à cette hauteur de vue, non de lui-même, non par une forme d'intelligence qui ne dépendrait que de lui, mais animé qu'il est par la charité. le divertissement apparaît comme remède à un malheur ou comme tentative de fuir l'horreur. le divertissement est le produit d'une souffrance ontologique qui s'ignore. Dans l'ignorance, le divertissement est la solution la plus rationnelle que l'homme met en place, toujours sans le savoir, pour pallier un manque plus profond. le divertissement témoigne en faveur du christianisme, en faveur de Dieu : il est l'indicateur de ceux qui ne peuvent ou ne veulent connaître sa grâce. La liasse « Vanité » aborde les phénomènes du monde selon l'angle de l'ignorance des causes d'un point de vue logique. La liasse « Misère » transpose ces phénomènes marqueurs de l'ignorance sur le plan existentiel : ils sont à l'origine de ce que l'homme ressent comme étant la misère, c'est-à-dire comme le manque de Dieu. La liasse « Raison des effets » témoigne de la découverte d'une rationalité derrière l'absurdité apparente des opinions et des lois. Elle rétablit la grandeur de l'homme qui transparaît même dans sa vanité et dans sa misère en tant que ces qualités sont, par défaut, la preuve de la nécessité de Dieu.


« [...] ayant su mieux que tout autre désigner les effets (« ces étonnantes contrariétés »), la religion chrétienne est capable de les expliquer et de les justifier, mieux qu'aucun autre discours n'a su le faire. Les Pensées lancent de la sorte un étrange défi à l'athée, car cette raison qui doit départager chrétiens et incroyants n'est pas de l'ordre d'un rationalisme : il s'agit d'un regard supérieur sur un objet réellement déraisonnable – c'est-à-dire d'une aptitude à donner la raison des effets. »


Il apparaît ainsi qu'il ne sert à rien de vouloir convaincre autrui – de vouloir le conduire vers le lieu où pourrait se produire une « véritable conversion » par exemple (voir ici le formidable article sur la ressemblance du divertissement et de la conversion en tant qu'ils sont tous deux des phénomènes d'interférence catégorielle, le surnaturel et le naturel s'intriquant et se confondant). Quelque peu précurseur de la notion de « discours » ainsi que la formalisa Lacan, Pascal comprend bien que chacun évolue dans un repère doté d'une origine et de coordonnées qui lui sont propres. Son approche du dialogue se fonde alors sur quelques principes élémentaires qui consistent à écouter les arguments d'autrui ; à se mettre à la place de l'autre en essayant de penser à travers ses catégories pour comprendre le lieu d'où il raisonne ; à se montrer convaincu ou non ; à trouver dans les vides et les pleins de la parole de l'autre la place pour une survenue de la grâce. Jésus-Christ, qui n'a jamais cherché à convaincre qui que ce soit de son vivant, mais qui a incarné cette grâce par son être et ses paroles, constitue le modèle insurpassable dont a ainsi voulu s'inspirer Pascal pour écrire ses Pensées. Cet essai de Laurent Thirouin éclaircit brillamment et clairement ces aspects. Sa fidélité à la pensée de Pascal et sa modestie – malgré des intuitions souvent géniales et puissamment restituées – font également de lui un parfait philosophe en Christ.
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