Citations sur Poésies (15)
LES JOURS PEU RADIEUX
Un poème en l'honneur des contrariétés,
un poème en l'honneur des jours peu radieux,
des lampes de Paris, des visages sans yeux
qui veulent s'éveiller dans les murs désolés,
quand je luttais dans le sable de la fatigue,
les bêtes, les passants de l'ingrate saison,
le fanal curieux qui chemine si vite
me plaignaient de peiner dans le grand abandon;
les passerelles de minuit sont si légères,
si frêles sous le poids d'un vivant mal d'aplomb,
et l'échelle qui branle et la berge qui cède
et l'aube qui vous met dans le cou son glaçon...
Gourde et rebelle, si la main ne peut se clore,
comment saisir le glaive offert par le matin?
J'ai laissé l'ennemi s'enfuir à chaque aurore,
il suffisait d'un geste, ô poursuite sans fin...
(Extrait de "Travaux d'aveugle", 1941)
Le village, l'arbre vieilli, le cimetière
où les parents s'en vont un à un, la maison
qui vit petitement, le travail de ma mère
dans le jardin docile encore aux vieilles mains.
Pauvre mère qui te lève si grand matin,
moi j'entends murmurer les futures saisons,
tu vaques dans la cuisine où le chat se plaint,
tu penses que je dors, je vais dans l'avenir
vers un midi de juin plein de feuilles ravies
dans le jardin d'où s'est effacé ton effort,
- ton fils est loin, ton fils est perdu dans la vie,
il a souvent blessé ton humble souvenir.
Toi qui naïvement me gardais du destin,
voici les jours nouveaux, l'horizon de la mort...
Je me retournerai vers l'été de jadis
pour entendre ton pas dans le petit matin.
( Extrait de "Le monde absent", 1947 )
VAINE MURAILLE
Une jeune mère
une bête douce
s’assied près de moi,
me sourit, et je
souris, l’enfant dort.
Insondable joie
du printemps banal,
encore un peu, les marronniers seront en fleurs,
nous trois ensemble au fond du jour,
et combien d’autres…
Vaine muraille
la personne
quand tu t’écroules
on est si bien
dans la lumière.
UN OISEAU
Un oiseau, l’œil du poète
s’en empare promptement
puis le lâche dans sa tête,
ivre, libre, éblouissant.
Qu’il chante, qu’il ponde, qu’il
picore, mélancolique,
d’invisibles grains de mil
dans les prés de la musique,
quand il regagne sa haie,
jamais cet oiseau n’oublie
les heures qu’il a passées
voltigeant dans la féerie
où les rochers nourrissaient
leurs enfants de diamant,
où chaque nuage ornait
d’une fleur le ciel dormant.
On trouvera l’oiseau mort
avant les froids de l’automne,
le plaisir était trop fort,
c’est la mort qui le couronne.
p.76-77
Le monde absent
(1947)
Gare Saint Lazare
les uns se recueillent
les autres se perdent,
il en est qui cherchent
la clé des rumeurs.
Du soir à la nuit
voici le passage,
à coups d'aile lasse
un peu de sommeil
erre, puis se pose.
La manne du soir
nourrit pêle-mêle
celui qui sourit,
celui qui s'effare,
celui qui poursuit
un jeu sans espoir.
Je vais dans le noir,
d'étranges espaces
me prennent, m'écartent,
au repas des ombres
je cherche ma place.
DERNIERS BEAUX JOURS
Cristal de septembre
fragile, embué
d’un souffle léger,
la prunelle est bleue
le long du sentier
confus de clarté,
paroles dorées
qu’une voix timide
prononce à l’orée
des bois vieillissants
donnez à ma vie
quelque ombre de sens.
p.130
Bourdon, je t’envie…
Bourdon, je t’envie,
comme tu promènes,
noire fantaisie,
ta miette de vie
dans les compliqués
chemins de l’été !
Cependant que moi
je peine, je traîne
un araire lourd
au fond de moi-même
dans l’étroit labour,
un pas pour la haine,
un pas pour l’amour.
Le soleil me noie,
l’été me fait peur,
bourdonnante joie,
va bouffer les fleurs.
PENTE NOCTURNE
...
N'abordez pas, glissez, descendez vers la mer,
enfoncez vous dans l'ombre et dans l'isolement,
l'horizon bleuira sur un golfe désert
et vous verrez danser parmi le vent amer
votre bonheur tremblant qui s'inquiète encore.
Je viens de la rue aux travaux sans nombre…
Je viens de la rue aux travaux sans nombre,
j’ai vu l’arroseur matinal changer
le bord du trottoir en azur léger,
sur l’autre trottoir c’est encore l’ombre.
J’ai vu fuir, presque silencieuse,
une automobile merveilleuse,
et les petits bars, très en retard
sur le jour (ils n’ouvrent que le soir).
J’ai vu peu de chose et bien des choses,
la rosée au fond des parcs déserts,
la Seine où mouraient de froides roses,
les chalands de leurs panneaux couverts.
Que m’en restera-t-il dans dix années,
et dans trente, seul, geignant dans un lit ?
Rien peut-être, une incertaine pensée,
ou bien tout un monde, épars dans ma nuit ?
Paresseux morose…
Paresseux morose
j’ai laissé passer
l’étoile et la rose
sans les regarder.
L’école des jours
instruit ses enfants :
« aimons-nous toujours,
mentons-nous souvent,
qui naît doit grandir
dans la déraison,
au mal du désir
pas de guérison ».
— Comprendre m’ennuie,
ces ruses, ces traits !
Le jeu de la vie
me trouve distrait.
A telle sagesse
je n’ai point de part,
je prends, je délaisse
au gré du hasard.
Derrière le voile
des métamorphoses
est-il une étoile,
est-il une rose ?