AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


Rencontrer un nouvel auteur avec les camarades de Babelio ? Bien sûr, avec plaisir, c'est agréable de ne pas lire seul dans son coin, de pouvoir partager ses impressions, ses émotions, ses interrogations.
Pourtant, en parcourant la page du livre sur le site, deux choses m'ont chiffonnée : le nombre considérable de pages et le résumé qui annonçait un texte puissant mais sombre, dur, parcouru de violences et de transgressions.
J'hésite peu devant l'enthousiasme de mes ami.es.
De plus, le titre est beau, la couverture magnifique, il est très bien noté et les éditions Monsieur Toussaint Louverture ne m'ont jamais déçue.

Après treize jours de traversée chaotique loin de ma zone de confort, je ressors indécise et embarrassée. Ai-je aimé ? détesté ? A vrai dire, dans ce flux continu entre beauté et laideur, attirance et répulsion, empathie et aversion, humour et malséance, beauté et tragédie, mon ressenti est plutôt un mélange immiscible entre plusieurs sentiments contradictoires auquel s'est ajouté de l'agacement devant tant d'insistance autour du sexe.

*
L'auteur nous transporte dans l'Amérique de la grande Dépression. Portrait d'une enfance, celle de l'auteur lui-même, « Un jardin de sable » est un livre étonnant, très bien écrit, mais terriblement glauque, malsain.
Dans ce premier tome d'une trilogie, l'auteur nous entraîne dans l'enfance de Jacky. Abandonné par sa mère, il est élevé dans ses premières années par des grands-parents. Puis sa mère, remariée à un mari violent et alcoolique, le reprend et l'entraîne dans des années de galère, où il est négligé, méprisé, maltraité.

*
Les personnages de Earl Thompson sont abîmés, écorchés ou brisés, tendres ou ignobles, beaux ou laids, sympathiques ou exécrables, mais profondément humains. le lecteur côtoie des escrocs et des salauds, des maquereaux et des marginaux ; des malchanceux, des vicieux et des malheureux ; des travailleurs, des arnaqueurs, des magouilleurs, des voleurs et des violeurs ; des brutes et des putes.
Dans cette atmosphère crasseuse et insalubre, les personnages aiment, rêvent, souffrent, luttent, se rebellent, picolent, frappent.

Les seuls personnages sympathiques sont sans aucun doute les grands-parents. Ils font ce qu'ils peuvent, comme ils peuvent pour garder la tête hors de l'eau. Ce sont des gens bien, honnêtes, travailleurs, à qui on prend tout, les laissant dans la misère et la dépendance. Je les ai trouvés touchants.

Jacky, le héros de ce récit, est un petit garçon non scolarisé, sans éducation et sans camarade de jeux, qui se construit seul. Intelligent, courageux, optimiste, déterminé et fier, il est à l'image de ce rêve américain, refusant de dépendre de l'assistance publique, ne ménageant pas ses efforts pour avancer, s'élever au-dessus de sa condition et partir à la recherche du bonheur.
Peut-être est-il un maverick, ce « petit cheval sauvage qui court tout seul sur les plaines, vit dans les canyons, et est très heureux ainsi. Mais peut-être que non, en réalité. Parce qu'il n'apprend jamais rien, à part à courir et à ruer. Il n'a jamais de nom, ni jamais d'endroit pour dormir au chaud en hiver. »
Mais c'est aussi un enfant perturbé, instable, fragile, marqué par l'abandon de sa mère, la pauvreté et souffrant de profondes carences affectives.

Sa mère veut prendre soin de lui, elle tente de réparer ses erreurs, de l'aimer comme une mère, mais son incapacité à l'élever, le protéger, lui assurer une vie décente est criante. C'est une mère défaillante et toxique mais c'est aussi une mère en souffrance, complètement démunie, seule, usée, immature, battue par un mari possessif, alcoolique et beau parleur, obligée à des choix extrêmes pour survivre.

*
Si l'humour est présent dans la première moitié du récit, il s'efface complètement dans la deuxième partie, laissant une place importante à la violence et au sexe .

« … la nuit allait toujours prendre pour lui la forme d'une femme, parfois allongée paresseusement, lascivement sur le paysage, parfois tordant les arbres ou lacérant les océans obscurs dans sa fureur. »

Par contre, j'ai aimé découvrir l'histoire américaine pendant la dépression, saisir le quotidien des américains à cette époque, une vie de misère où le rêve américain apparaît davantage comme un mythe, voire un cauchemar éveillé qu'une réalité.
Le contexte historique aurait peut-être mérité d'être davantage mis en valeur.

*
L'écriture de l'auteur est intense, très visuelle et ne laisse pas indifférent : tour à tour âpre, dure, immorale, poétique, violente, poignante, douloureuse, gênante, c'est un carrousel d'émotions qui m'a emportée, un manège de passion, de douleur, de crasse et d'horreur qui m'a emportée et malmenée.

« le lit du petit était une paillasse juchée sur le dessus de la commode et de la glacière, telle la couchette du haut dans un navire. C'était douillet et créatif. Il aimait cet endroit. C'était son coin à lui. C'était un coin super quand il y avait de l'orage la nuit. Là, jamais la foudre ne pourrait le trouver. C'était un navire, un chariot couvert, un train, une cabane dans les arbres, une source inépuisable d'imagination. »

J'ai appris que le récit était en partie autobiographique. Cela se ressent dans le style de l'auteur. On perçoit une sincérité, une mise à nu, une authenticité dans ces instants de vie d'une noirceur indéfinissable que restitue Jacky, dans tous ces personnages aux traits marqués par le malheur, la misère sociale, la colère, l'agressivité, l'abjection.
J'ai trouvé le texte inconfortable, malaisant par la répétition de scènes érotiques, par la persistance de l'enfant à avoir des rapports intimes avec sa mère.

*
Si je suis allée au bout de ce récit marqué par la violence, le désespoir, les déceptions, les désillusions et le sexe, je le dois à mes compagnons de lecture, Nicola (@NicolaK), Doriane (@Yaena), Anne-Sophie (@dannso), Catherine (@gromit33), Bernard (@berni_29) et Patrick (@Patlancien) : le contexte social et économique était très intéressant, le style de l'auteur m'a beaucoup plu pour son côté rugueux, brutal, tourmenté, douloureux. C'est aussi un texte tourmenté que j'ai aimé pour son courage, sa franchise.

« Je n'avais jamais rien lu de tel. D'accord, c'était rempli de sexe, de salauds, de crasse, d'alcool et d'une profonde pauvreté, mais, à sa façon triste et sordide, c'était également beau.:»
Donald Ray Pollock

Cette enfance glauque et malheureuse m'a déstabilisée, je me suis sentie oppressée par sa violence, gênée par son obsession pour le sexe. Je n'ai également jamais rien lu de tel et en ce sens c'est un texte remarquable. Malgré cela, je reste partagée entre la beauté, l'honnêteté de l'écriture et la rudesse, la redondance du récit.
Si je suis sur la réserve, de nombreux billets sont particulièrement élogieux, alors faites-vous votre propre opinion si le coeur vous en dit.
Commenter  J’apprécie          5876



Ont apprécié cette critique (58)voir plus




{* *}