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Critique de LaSalamandreNumerique


MA NOTE CRITIQUE PORTE SUR CETTE ÉDITION, PAS SUR "WALDEN OU LA VIE DANS LES BOIS". Gallimard (Folio) a ici réalisé un travail bâclé, pour le moins décevant et contraire à l'idéal de la collection à 2€.
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- Mon ami Kevin vient de s'acheter un SUV qui lui permet de rouler à 180 kms/h. Un choix raisonnable selon lui car ce véhicule, valant 22 000 euros, doit lui servir 8 ans. Il fait 15 000 kilomètres par an dont 7200 pour aller à son travail (à 15 kilomètres de son domicile). Avoir un véhicule rapide et confortable est « indispensable » selon lui qui « travaille beaucoup ».
- Kevin gagne 1500€ net/mois, un salaire moyen donc.
- En pratique Kevin met ½ heure aller pour faire ces 15 kilomètres, il a donc 1h de trajets par jour. Il roule en moyenne à 30 kilomètres par heure (grande chance par rapport à qui vit en ville).
- Chaque kilomètre lui revient à 0.3 euro en moyenne (estimation fiable par calculateur). Kevin dépense donc 4500€/an pour sa voiture (amortissement de l'achat, essence, assurances, garagiste…). Il lui faut donc travailler 3 mois pleins pour la financer.
- En comptant 8h/jour de travail, 1h/jour de pause le midi et 1h/jour de transport (en semaine), cela veut dire qu'il doit consacrer 642 heures de travail et de trajets (sans compter le prix de ses repas sur place), en 3 mois, pour financer l'usage de sa voiture. 576 heures sont effectivement passées au travail ou lors de la pause repas.
- Kevin roule en réalité 400h/an (ses trajets pour les loisirs et autres départs en vacances sont plus rapides que ceux pour son travail, c'est habituel là encore). Cela donne pourtant une moyenne de seulement de 37.5 kilomètres/heure lorsqu'il est au volant.
- Mais en réalité la vitesse de déplacement de Kevin doit compter son temps passé au volant puis ajouter le temps passé pour financer son achat soit 576+400=976 heures au total.
- Au final Kevin utilise 976 heures pour financer et réaliser ses 15 000 kilomètres annuels. Cela revient à dire que, loin des 180 kilomètres/heure qui le font rêver, il consacre une heure de sa vie à chaque fois qu'il se déplace de 15 kilomètres (15000/976=15.4). En utilisant un vélo Kevin bougerait notablement plus rapidement et pourrait travailler 3 mois de moins par an en conservant le même pouvoir d'achat. Ce temps gagné pourrait être consacré à des voyages, à des méditations, à lire, à élever ses enfants… Accessoirement Kevin serait en meilleure forme physique et la planète ne s'en porterait que mieux.
-- Quel rapport entre ce petit raisonnement que nous avions à 16 ans avec mon meilleur ami et le 19e siècle de Thoreau ? Quels liens avec « Je vivais seul dans les bois » ? En fait à peu près tout.
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Thoreau nous explique, chiffres à l'appui (d'où ce qui précède) que nous sommes au final les esclaves de nos possessions. Il commence par nous démontrer que nous (USA en 1854) achetons des vêtements inutiles avant tout pour des effets de mode et par souci de représentation. Il poursuit en observant attentivement la vie des fermiers autour de lui. Il constate que, pour se procurer leurs fermes, les remplir de meubles, entretenir leur bétail… ces personnes ne cessent de fournir un travail abrutissant pour, au final, ne pas en retirer grand-chose, que ce soit sur le plan matériel ou sur le plan intellectuel. Il dénonce le coût, selon lui exorbitant, des loyers, considérant que le petit confort obtenu est au final payé par une aliénation de toute son existence. Sur ce plan il est difficile de ne pas penser à des études récentes sur le néolithique démontrant que le passage à l'agriculture s'est traduit par une baisse de l'espérance de vie et par une bien plus mauvaise santé générale de la population. La montée des inégalités associée est aussi évoquée par Thoreau quant à ce qu'il observe (quelques hommes profitent du labeur d'autres, esclaves dans le sud des USA et ne vivant guère mieux dans le nord). Cet auteur tente enfin de nous démontrer rigoureusement, suite à ses observations quotidiennes, que nous dépensons aussi bien trop sur le plan alimentaire, pour nous procurer des aliments superflus et qui ne sont en prime pas toujours bons pour nous.
Selon Thoreau ce mode de vie nous aliène complétement et détruit notre spiritualité. Il part donc 2 ans, 2 mois et deux jours vivre dans une cabane près de l'étang de Walden (Massachusetts). Là il consigne ses observations, ses réflexions, sa façon de vivre, de produire de quoi se nourrir, le compte de ses dépenses indispensables et superflues… L'ouvrage a une portée pamphlétaire évidente par rapport à un mode de plus en plus mercantile et industrialisé. Il cherche, par une réflexion philosophique et pratique, à démontrer qu'une vie plus belle, plus saine et plus riche spirituellement est possible, pour tous. La quête de sens est évidente.
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Près de deux siècles plus tard, et comme tente de le montrer mon exemple initial, comment ne pas rejoindre Thoreau dans ses réflexions ? Mais comment aussi ne pas en mesurer les difficultés en termes de vie sociale (Que ferait Kevin sans son SUV ? Et qu'en penseraient ses voisins ou amis ? Et sa femme et ses enfants ?). Thoreau a vécu seul, refusant par ailleurs de s'inscrire dans des projets collectifs, sa démarche est avant tout individualiste au sens le plus fort du terme. C'est aussi celle d'un intellectuel capable de se passionner pour la nature au sens large, c'est celle d'un homme en bonne santé et habile de ses mains, qui peut semer, s'occuper de sa cabane… Enfin Thoreau défend le végétarisme, sur le plan éthique comme pour l'économie que cela représente, est abstème, renonce au thé et au café et prône la chasteté. Il privilégie aussi la solitude, préférée au contact des hommes. Son mode de vie peut nous sembler très austère et la liberté qu'il revendique assez éloignée de nos aspirations de tous les jours.
Il reste que lire cet auteur nous amène, comme je le faisais à 16 ans, à remettre assez radicalement en question nos choix de vie « évidents », largement conditionnés par ce(ux) qui nous entoure(nt) et à privilégier d'autres perspectives. En nous interrogeant sur ce qui est vraiment nécessaire dans nos existences et à ce qui y est superflu voire nuisible (et qui peut inclure l'essentiel de nos possessions comme de nos loisirs), en nous amenant à rechercher ce qui fait ou ferait vraiment sens pour nous, Thoreau nous incite à relire nos priorités et c'est fécond. Il a aussi inspiré divers mouvements ultérieurs ; comment ne pas penser par exemple en France à l' « aventure du Larzac » ? José Bové ne cache pas sa proximité avec cet écrivain…
Thoreau propose aussi des images saisissantes, particulièrement dans la description de l'aliénation de ses contemporains, qui peuvent favoriser cette remise en cause personnelle en forme de prise de conscience de la pression constante que la société consumériste fait peser sur nous.
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Je ne conseille pas pour autant « Je vivais seul dans les bois ». C'est un livre à 2 euros, acheté dans une gare et qui se compose d'extraits en forme de copier/coller de Walden ou la vie dans les bois. Ces extraits sont parfois mal choisis puisque nous trouvons par exemple beaucoup de calculs sur le coût de son existence (d'intérêt limité pour nous aujourd'hui) et rien sur son rapport à la nature. Il manque aussi une grande part de sa quête spirituelle et la traduction semble parfois très approximative, avec des phrases peu compréhensibles. C'est d'autant plus dommage que cet auteur cultivé multiplie les références et a une écriture stimulante.
Je conseille sans hésiter Walden ou la vie dans les bois pour toute personne curieuse de ce regard critique portée sur les USA au milieu du 19e siècle et/ou pour qui désire réfléchir sur les évolutions de nos sociétés depuis, remettre en questionnements certains de ses choix de vie. Mais ne le faites alors pas à partir de cette édition qui mutile les propos d'un homme qui, sans conteste, mérite mieux.
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