Malgré la guerre, la famine, l’embargo, les persécutions, la corruption, les Vietnamiens sourient immanquablement en toute circonstance, d’un sourire triomphant, comme ils disent. Les larmes ne sont réservées qu’à deux occasions : les funérailles et les chagrins d’amour. Les Français ne pleurent pas aux enterrements, rarement lors des ruptures, mais ils vont se pendre dans la forêt ou se jettent du haut d’une falaise pour la simple raison que les feuilles d’automne sont trop jaunes, que la mer est trop bleue ou que les oiseaux sont trop insouciants. Les Vietnamiens, eux, se suicident lorsqu’ils perdent un pari mais sûrement pas à cause de la solitude qu’ils évoquent comme les Français parleraient de voyages. Ils sont fascinés par les chansons qui exaltent la solitude. Chaque soir, des hommes rassemblés autour d’une bière devant un écran de karaoké, la cuisse d’une hôtesse sous une main et un micro dans l’autre, chantent en chœur "Parce que je suis seul, aimer c’est aussi être seul".
Si le pessimisme est la maladie chronique des Français, l’optimisme est le plus grand point commun des Vietnamiens .Ils ont sont si fiers qu’ils ont mis au point pour l’espèce humaine un nouveau concept qu’ils ont baptisé « optimisme révolutionnaire », mais qu’au final eux seuls comprennent et célèbrent à l’unisson .
P m’enlaça et me demanda si j’allais bien et comment j’avais fait pour le trouver ici. Je ne lui répondis pas. Les larmes inondaient mes paupières, coulaient sur mes joues et mes lèvres. Incapable de les sécher, je les avalai. Elles m’empêchaient de lui dire quoi que ce soit. Je le regardais sans sourciller. J’avais le nez bouché. La bouche sèche. Comme si j'étais muette, je fis signe à P de me suivre: mon appartement n'était qu'à une centaine de mètres. Il secoua la tête. Ses cheveux blancs à la lumière du soleil ressemblaient à des filaments de nylon. Son teint était hâlé. Les rides de son visage étaient plus marqués. Ses yeux étaient décolorés. Il était comme le film en négatif de lui-même lors de notre dernière rencontre au parc aux roseaux.
Si en France les livres nous enseignent : "Je pense donc je suis", au Vietnam la vie nous apprend : "Je calcule pour ne pas mourir"
Dans un de ces rêves, P est à bord d'un train, un train très étrange, qui avance sans locomotive, ni conducteur, et je cours derrière en criant son nom, tout comme aujourd’hui j’ai couru dans la ruelle, avec ce courant d’air chaud qui soufflait dans mes oreilles, avec le sentiment que mon cœur bondissait hors de ma poitrine.
Ici, dire des vérités coûte souvent bien plus cher que les nids d'hirondelle.
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Pour eux la seule différence entre Dumas et Duras résidait dans la lettre du milieu.
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Pendant que tu étudiais la littérature à Paris, je me suis amusé: j'ai appris à investir à Saigon.
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Depuis mon retour, je réalisais que Saigon était devenu un paradis de la chirurgie esthétique. Les femmes n’avaient besoin que de quelques heures pour ressortir de l'institut de beauté avec une arête nasale, de grands yeux à doubles paupières, la peau blanchie et une opulente poitrine, "comme les Européennes"...
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