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Critique de julienmorvan


Quelle folie s'empare de l'esprit, probablement sain, d'un écrivain lorsqu'il décide de filer, à toute allure, sur les sillons onduleux d'un auteur de légende, si épris de style et méprisant les flagorneurs, disciples, les épigones de carnaval ! Les mémoires de Lolita, tout le monde en a rêvé ; et ce rêve sentait l'automne, il ressemblait probablement à une ville américaine moyenne où s'entremêlent les ménagères et les papillons, les anthologies de poésie européenne, les pelouses où s'affolent les nymphettes provocatrices ; ce rêve était tâché de l'encre de Nabokov – un beau rêve, chaque soir recommencé, toujours différent ; un fantasme littéraire pour l'éternité. Christophe Tison a décidé d'imprimer le sien, et par malchance, il l'a écrit ; pire, je l'ai lu.

Le prologue permet à l'auteur de s'affranchir de toutes les critiques liées au style : c'est une jeune fille de 12 ans qui écrit, on ne sera donc pas regardant – pratique (et logique, il faut l'avouer). Dès lors commence la litanie insupportable des tourments physiques, psychiques, de la petite Dolorès, tour à tour esclave sexuelle de son beau-père, fugueuse désenchantée, manipulatrice odieuse, amoureuse incomprise … on pourrait trouver tout cela charmant, presque naïf, si l'auteur ne sombrait trop souvent dans la vulgarité la plus méprisable (« Je suis un trou sans fond » ; « son sexe pend continûment entre ses cuisses, énorme et vulgaire, le mien est rouge sang et ma bouche sent le sperme » ; « ses gros doigts pleins de savon glissent maintenant entre mes fesses et s'introduisent là où c'est sale … et il me vide comme un poisson » …). Que peut-on attendre d'une telle prose ? Si le livre ne m'avait été gracieusement offert par Babelio, je l'aurais probablement jeté dans la poubelle jaune d'un voisin de mon quartier.

Chez Nabokov, Lolita est plutôt un personnage sympathique. Dans « le Journal de L. », Lolita est une figure détestable – son enfance volée, brisée, n'y change rien. Qui voudrait aimer cette écorchée de papier ! La faute à Christophe Tison et sa morne imagination ? Pour partie, seulement. le véritable sentiment de dégoût (ou de mépris, tout dépend des soirs) que l'on éprouve à la lecture de cet opus a des origines plus profondes : Dolorès (et sa mère) sont des caractères béotiens sans intérêt ; des gravures de magazines féminins des années 1950 – personne n'a envie de pénétrer leur intimité cérébrale, à moins d'aimer le néant et l'insignifiance. le seul intérêt littéraire de cette aventure scandaleuse ? Humbert Humbert, le chasseur de nymphettes ! Chanceux que nous sommes ! le livre existe déjà, il est mondialement célèbre, et il a pour titre : « Lolita », tout simplement. Il est signé d'un des plus grands écrivains du XXe siècle.

Alors, que faire de ce journal vide, obscène, chaudement recommandé dans toutes les librairies de France, où poussent comme la mauvaise herbe de petites fiches manuscrites, arborées de coeurs rosis et d'avis standardisés, toujours intitulés « le coup de coeur de votre libraire » ? Les options sont multiples : le laisser faner au bord d'une fenêtre jusqu'au dépôt de bilan, l'offrir à un ami à qui l'on veut du mal, l'introduire par effraction dans les rangées bien ordonnées des « grands classiques » au sein d'une bibliothèque municipale et observer les réactions consternées des habitués, etc. A la réflexion, on pourrait continuer ce petit jeu pendant des heures ; des heures de délires magnifiques, un luxe d'inventivité et de poésie. En réalité, tout ce qui manque à ce livre ! Ajoutez à cela les entretiens autobiographiques sur l'enfance volée de Christophe Tison (un argument commercial comme un autre - nous sommes en 2019) et vomissez pour de bon cette soupe rance, pleine de grumeaux amers.
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