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Critique de Kenehan


Franchement, la religion, et notamment les religions monothéistes, est loin de m'inspirer dans mes lectures. Au contraire, j'aurais plutôt tendance à éviter ce genre-là dans la littérature. D'ailleurs, il est prévu que je fasse l'impasse sur les ouvrages d'Anne Rice, auteure que j'adore, consacrés à la vie de Jésus. Et me voilà à faire une petite entorse avec ce court roman de Colm Tóibín, littérature irlandaise oblige !

"Le testament de Marie", c'est avant tout une voix : celle de Marie, mère de Jésus. La Bible n'étant pas réputée pour laisser la parole aux femmes, Marie semble en fin de compte toute aussi mutique que ses représentations. Ma méconnaissance des Ecrits et mes a priori me font peut-être dire des bêtises, tant pis. Je suis ouvert aux corrections. Toujours est-il que Colm Tóibín se propose de remédier à cela et nous propulse au plus près de celle qui sera vénérée comme la Vierge.

Recluse depuis la mort de son fils, Marie vit cloîtrée chez elle et souffre la régulière visite de deux hommes qui ne cessent d'insister pour recueillir sa parole. Ils en sont persuadés, de Jésus, on en parlera encore longtemps et il est plus que jamais temps d'écrire sa légende. Parce qu'au final, c'est de cela dont il s'agit : non pas de recueillir le témoignage d'une mère sur son fils disparu mais de modeler un récit mythique sur cet homme déjà déifié par ses disciplines. Marie n'est pas dupe et c'est grâce à cette ultime étincelle de détermination qu'elle ne fléchira pas pour livrer sa version, qu'elle s'en tiendra à sa parole et à ses mots propres et n'ont à ceux que ces hommes tentent de lui extorquer et de lui suggérer.

C'est à travers ce prisme original, celui d'une femme en deuil de son enfant, que Colm Tóibín revient sur les évènements clefs qui ont marqué la vie du Christ. Et alors qu'il aurait pu succomber au sensationnel typiquement hollywoodien, notamment dans la mise en scène des miracles, il évite la démesure pour se recentrer sur l'essentiel. C'est sobre, intimiste et d'une telle justesse qu'on ne peut qu'être pris aux tripes par toute la souffrance et la culpabilité qui étreint cette femme. Un autre élément, plus ponctuel dans le récit mais tout aussi marquant d'un point de vue émotionnel, est la résurrection de Lazare et la manière dont elle est évoquée. Habituellement présentée comme un miracle extraordinaire, Colm Tóibín ne se prive pas d'en analyser les terribles conséquences sur Lazare lui-même, toute l'horreur que cela doit être d'être arraché à la mort, surtout après un si long délai d'inhumation...

Tout en subtilité, Colm Tóibín rend à Marie toute son humanité et ses failles. Plus que la Vierge, Marie est avant tout une femme et une mère qui se soucie peu de la véracité des actes attribués à son fils. A-t-il vraiment accompli tous ces miracles ? Doit-il être adulé ? Est-il seulement le fils de Dieu ? Qu'importe tant tout ce qu'elle retient ce sont les puissants qu'il n'a cessé de provoquer, c'est la transformation de ce fils qu'elle ne reconnaissait plus par moment, c'est sa chute qu'elle n'a pu empêcher, c'est sa crucifixion qui aura fini de la brisée.

Un premier essai vraiment concluant dans la bibliographie de Colm Tóibín alors même que le sujet ne me tentait pas du tout. Il possède un style simple mais pourvu d'un réel talent littéraire au point de vous happer dans son récit par l'émotion. Un point finalement ambivalent tant certaines émotions impulsées ne sont pas agréables à ressentir. Mais c'est là toute la force de ce roman. En tout cas, j'ai été réceptif et très bon public.

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