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Critique de Lune


Inspirée par la rencontre avec un violoniste, « Un musicien déchu » est un nouvelle que Tolstoï publia au début de 1858 après l'avoir remaniée à plusieurs reprises, soit parce que lui-même n'en était pas content, soit à la demande de son éditeur qui la trouvait « scandaleuse » : trop éloignée de la pensée et des préoccupations sociétales de l'intelligentsia.
En effet, Albert – nom du personnage principal qui donna d'ailleurs son titre original à la nouvelle – est un être marginal. Violoniste ayant perdu son emploi, et d'une certaine manière la raison et toute dignité, se réfugiant dans l'alcool à la suite d'une déception amoureuse mi-réelle, mi-fantasmée, Albert est présenté par Tolstoï comme étant l'artiste génial par excellence capable d'émouvoir jusqu'aux plus oisifs et blasés de la haute société. Délessov, l'un de ceux-là et un peu Tolstoï, lui-même en ces années 1850 aristocrate dandy, tente de le secourir mais en vain, au contraire : le sortir de sa déchéance lui serait fatal en lui faisant perdre son âme.
On sait que Tolstoï tenait la musique en très haute estime : « Dieu sait à quel point l'impression de la musique dépasse l'impression des mots. » (Journal – 1896), ou encore : « Si cette civilisation s'en allait à tous les diables, je ne la regretterais pas, mais j'aurais du regret pour la musique (déclaration faite en 1910, année de sa mort). Pour Tolstoï, la musique est avant tout capable d'éveiller une fantasmagorie liée aux souvenirs. « Que me veut cette musique ? » (propos rapportés par son fils dans ses mémoires).
Cette parabole, à l'encontre des idées de l'époque pour laquelle la musique devait être au service d'une cause, plaçant le rêve au-dessus de la réalité n'est pas loin de ce que développera Proust. C'est ce qui en fait tout le charme un peu désuet mais aussi un intéressant éclairage sur la Russie de l'époque et sur l'évolution de Tolstoï lui-même qui commençait dès ce moment à réfléchir à la place de l'art dans la société. Cette quête aboutira en 1898 à la publication de : « Qu'est-ce que l'art ? »
Le texte intégral présenté par les Editions Mille et une Nuits est suivi par une postface fort intéressante écrite par Bernard Kreise – il est aussi le traducteur – intitulée joliment : « La musique du temps perdu ».

Billet de Cantus
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