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Critique de Dorian_Brumerive


Auteur de romans historiques plus volontiers destinés à la jeunesse, Gustave Toudouze nous a laissé une oeuvre copieuse et envoûtante, qu'il alimenta durant trente ans, entre 1873 et 1904, plus quelques ouvrages laissés inachevés et terminés par son fils Georges Gustave Toudouze (avec lequel il ne faut pas le confondre).
Hélas, la plupart des romans de Gustave Toudouze ayant été publiés par Victor Havard, éditeur relativement confidentiel aux faibles tirages, ils sont devenus excessivement difficiles à trouver. Seuls les romans publiés à la fin de sa vie par Hachette, et réimprimés par la suite à de nombreuses reprises dans la Bibliothèque Verte, ont bénéficié d'une diffusion massive.
Mais outre qu'à ce moment-là, Gustave Toudouze n'a plus forcément l'inspiration de ses débuts, il est contraint à une limite de pages imposées par Hachette qui est difficile à gérer pour ce grand admirateur d'Alexandre Dumas, et qui aimait lui aussi étaler ses récits.
De cette dernière période, « le Mystère de la Chauve-Souris », publié en 1900, reste son ouvrage le plus renommé. Principalement parce que c'est, aujourd'hui encore, l'un des rares romans pour la jeunesse qui met en scène des Chouans, et qui le fait avec une relative objectivité, saluant leur conviction, leur bravoure et leur esprit de sacrifice, mais suggérant tout de même qu'il ne sert à rien de lutter contre le sens de l'Histoire. Tout cela serait très beau, si Gustave Toudouze savait lui-même où il allait, mais, apparemment improvisé au jour le jour, « le Mystère de la Chauve-Souris » oscille entre le roman d'aventures historiques, le roman fantastique teinté de surnaturel et le roman policier, voire d'espionnage. Cette instabilité nuit profondément à un récit, qui se retrouve à piétiner entre plusieurs actions contradictoires, et le plus souvent sans grandes conséquences sur le déroulement de l'intrigue.
L'action se passe au tout début du XIXème siècle, durant les dernières années du Consulat, dans un petit village breton proche du goulet de Brest. Là, vit clandestinement toute une bande de Chouans restée fidèle à la monarchie, ainsi qu'à la mémoire du héros local, le baron Huon de Coëtrozec, mort sur le champ de bataille au cours d'une chouannerie menée par Georges Cadoudal et Vincent de Tinténiac. La fille unique du baron, Anne de Coëtrozec, encore enfant, s'était réfugiée en Angleterre. Devenue une jeune femme, elle rentre clandestinement en France pour appuyer le projet de Mathieu Plourac'h, dit "Massacre-Bleu", un Chouan qui a décidé d'ourdir un complot contre Bonaparte, afin de le faire enlever et de le déporter sur l'île lointaine de Sainte-Hélène. (Ah, mais où sont-ils allés chercher une idée pareille ?)
Seulement voilà, organiser un tel attentat coûte de l'argent, et le mystère plane sur la fortune du baron de Coëtrozec, qu'il aurait dissimulée peu de temps avant sa mort afin qu'elle ne tombe pas entre les mains des Républicains. Veuf, il avait confié le secret de l'emplacement de son trésor à la nourrice de sa fille, Monik Kervella, une bigouden un peu rebouteuse, et qui, avec les années, est devenue gâteuse et semble vivre dans un monde intérieur où nul ne peut la rejoindre. Parallèlement à ces faits, deux agents de Fouché, Parfait Lespervier et Etienne Ridolin, informés d'une possibilité de complot chouan, descendent à l'auberge du village, et commencent à enquêter discrètement…
Et Dieu sait qu'il y a des choses à apprendre dans ce village, où, étrangement, toutes les réunions des Chouans sont survolées, à une dizaine de mètres de hauteur, par une chauve-souris géante, qui flamboie parfois d'une aura surnaturelle pendant la nuit. C'est évidemment très gênant pour des complotistes voulant rester discrets, mais ceux-ci ne remarquent jamais la créature qui les surplombe, laquelle cependant est visible de loin par tous les habitants et suscite bien des conversations superstitieuses dans le village. Cependant, esprits rationalistes, les deux espions de Fouché mettront beaucoup de temps à prendre au sérieux ces rumeurs délirantes…
Pendant ce temps, prise de crises de lucidité qui ressemblent diablement à des crises de possession, et durant lesquelles elle s'exprime en termes sibyllins, Monik Kervella révèle à sa filleule Anne que le trésor du Baron est caché au sein d'un marais voisin, vaste de plusieurs hectares. Impossible d'obtenir un renseignement plus précis, mais la courageuse Anne de Coëtrozec décide de partir dans les marais à la recherche du trésor familial, accompagnée de "Massacre-Bleu" et d'une sorte de prêtre guerrier chouan, nommé Judikaël le Coat, fortement inspiré d'un personnage de « L'Ensorcelé » de Jules Barbey d'Aurevilly, et qui est l'objet d'une description hilarante de deux pages, laquelle représente le point d'orgue de ce roman - point d'orgue par ailleurs parfaitement inutile, car à l'image de nombreux autres personnages qui émaillent ce roman, il ne sert pas à grand-chose; l'action se concentrant principalement sur Anne de Cöetrozec, "Massacre-Bleu" et les deux espions de Fouché.
La jeune baronne va donc écumer les marais à la recherche du trésor de son père. le trouvera-t-elle ? Évidemment que non, voyons, allez donc dénicher un coffre enterré quelque part dans un marais de la taille d'une ville, sans coordonnée géographique, ni un quelconque point de reconnaissance... Mais, en attendant, Gustave Toudouze noircit bien trente pages pour en arriver à cette évidence, tout en rappelant que la folle équipée est toujours survolée par une chauve-souris géante !
Sans trésor, le projet d'enlèvement tombe à l'eau. Chacun s'y résigne, sauf "Massacre-Bleu" qui décide de financer l'enlèvement de Bonaparte en attaquant le fiacre de son collecteur d'impôts. Malheureusement pour lui, tous les Chouans n'approuvent pas ce projet trop risqué, et finalement Mathieu Plourac'h va mener cette attaque avec seulement quelques complices. Hélas, rapidement, la résistance des soldats protégeant le fiacre va faire dégénérer l'attaque en un bain de sang, qui sera aggravé par l'exécution du policier Etienne Ridolin, démasqué et abandonné sur un îlot en pleine tempête, lequel sera balayé par les flots impétueux...
Cette avalanche de crimes mènera bientôt Lespervier sur les traces de "Massacre-Bleu", qui sera arrêté puis exécuté avec ses complices, alors qu'ils s'apprêtaient à partir vers l'Angleterre. Un soldat aperçoit alors la gigantesque chauve-souris qui plane au-dessus d'eux, et tire sur elle avec son fusil. La créature s'abat morte en atteignant le sol, et reprend alors la forme de Monik Kervella, faisant de ce personnage la première bigouden-vampire de l'histoire de la littérature (et la dernière aussi, me semble-t-il). Quant à la jeune Anne, elle parvient à fuir les soldats de Fouché, et rejoint un ami d'enfance sur lequel elle espère pouvoir compter. Mais celui-ci, entre temps, est devenu bonapartiste, et finit par convaincre la jeune femme que Napoléon, c'est l'avenir. Aussi, ils laissent tous deux tomber la politique et se marient. Et voilà, c'est fini.
On l'aura compris, « le Mystère de la Chauve-Souris » est ce que l'on appellerait aujourd'hui un "nanar". À la fois farfelu et mollasson, enchaînant des situations sans issue et des personnages grotesques et inutiles, le roman, qui se veut pourtant d'une totale intensité dramatique, ne peut aujourd'hui que nous apparaître comme risible du début à la fin, tant par son lyrisme exacerbé et souvent ridicule que par cet incompréhensible statisme poussif du roman d'aventures qui n'arrive pas à démarrer. Ajoutons à cela cette ridicule histoire de bigouden-vampire qui, non seulement, n'apporte rien au récit, mais dont le fameux mystère ne sera même pas éclairci. Pourquoi Monik Kervella se transforme-t-elle en chauve-souris et pourquoi survole-t-elle les conspirateurs ? Libre au lecteur d'en déduire que la transformation en chauve-souris géante est une recette de grand-mère, une forme d'expression de la sénilité ou une conséquence de l'abus de chouchen…
On rit beaucoup en lisant ce livre, mais quand on ne rit pas, l'action languissant en permanence, on s'ennuie ferme. La principale qualité de ce roman, c'est avant tout son décor : grand amoureux de la Bretagne, comme le sera aussi son fils, Gustave Toudouze décrit avec inspiration et poésie les falaises rocheuses, la mer et ses colères, les marais à perte de vue, les vieilles maisons bretonnes, les paysages humides et verdâtres, avec un authentique souci d'immerger son lecteur dans un paysage, ce qui est plutôt réussi, et d'arriver ainsi à lui faire avaler son récit abracadabrant, ce qui est clairement perdu d'avance.
Néanmoins, les amateurs de littérature bretonne trouveront dans ce roman des ambiances qui leur sont familières, au sein d'un récit qui leur paraîtra plutôt original comparé aux classiques de la littérature régionale. Pour les autres, « le Mystère de la Chauve-Souris » demeure un roman à lire au second degré, en se demandant quelle mouche - ou quelle chauve-souris - a bien pu piquer l'auteur...
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