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Critique de VincentGloeckler


Après La clé USB, l'an dernier, ce deuxième volume du nouveau cycle romanesque de Jean-Philippe Toussaint, centré autour du personnage de Jean Detrez, est un enchantement ! On retrouve notre protagoniste, spécialiste de prospective à la Commission européenne, à son retour d'Asie, suite à la mort de son père, événements dont il était question à la fin du précédent récit. L'enterrement du père donnera d'ailleurs place à certaines des scènes les plus touchantes, sinon, disons-le, même si l'adjectif semble, dans le contexte, déplacé, les plus réjouissantes du roman. Mais le récit, loin de suivre un fil chronologique, aime, comme souvent chez Jean-Philippe Toussaint, les digressions, et emprunte des chemins de traverse, guidé par le retour d'un souvenir ou une association d'idées. Jean Detrez retrouve sur l'écran de son téléphone la photo d'une jeune femme, témoignage flou d'une aventure d'une nuit, au cours d'un séminaire de prospective en Angleterre. Ce séminaire, comme l'évocation, plus loin, de la crise du transport aérien lors de l'éruption d'un volcan islandais en 2010 (crise à la résolution de laquelle notre fonctionnaire européen se trouve associé, à cause de ses responsabilités dans un précédent poste), offre l'occasion d'un développement sur le travail de prospective (avec des références précises à l'actualité, qu'il s'agisse du pouvoir effrayant de Donald Trump, de l'épuisement des ressources ou des flux migratoires), une manière qu'affectionne l'écrivain d'ancrer sa fiction dans le réel, mais en même temps, ce séminaire est le lieu d'une intrigue amoureuse, dont Jean-Philippe Toussaint décrit avec humour et finesse les tours et détours, et le point de départ d'une réflexion sur les accidents de l'existence et leur résonance dans nos vies. le vrai sujet du texte, c'est, en effet, ces «émotions» qui lui donnent son titre. Sexe et amour, fuite du temps et mort, inquiétude récurrente, aussi, dont Jean Detrez découvre qu'elle est l'un des principaux héritages de son père, Jean-Philippe Toussaint a toujours su en parler avec les mots les plus justes, une forme ici d'attention très proustienne, ciselant une scène érotique ou un tableau de larmes avec la même délicatesse, avant d'y ajouter, parfois, le sel de son ironie. L'intelligence du regard et l'élégance de l'écriture charment son lecteur, et si l'écrivain fait à plusieurs reprises, dans ce roman, allusion à Stefan Zweig, à sa disparition au moment où le monde basculait dans ce pire qu'il avait annoncé (comme le père de son personnage, Jean Detrez, meurt lui-même, presque heureusement, au moment où triomphe, avec Trump, ce populisme qu'il sentait venir en le détestant), on se met à espérer qu'une telle exigence littéraire, une pareille «émotion», oui, ce plaisir du texte partagé par l'auteur et son lecteur, perdurent, dans cette époque souvent séduite par la facilité. Tant qu'il y aura Toussaint…
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