AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,62

sur 105 notes
5
9 avis
4
9 avis
3
5 avis
2
0 avis
1
2 avis
Toutes les femmes de sa vie

Jean-Philippe Toussaint poursuit dans «Les émotions» son cycle bruxellois et européen entamé avec «La clé USB» et nous offre quelques superbes variations sur le sentiment amoureux en détaillant les rencontres qui l'ont marqué.

Ceux qui ont lu «La clé USB» seront très vite ici en terrain connu, car même si ce roman peut très bien se lire sans avoir connaissance de l'oeuvre ou du précédent roman de l'auteur, il pourrait fort bien composer un dyptique, puisque l'on reprend l'action au moment où Jean Detrez, le personnage principal, de retour du Japon apprend que son père est décédé, mettant en quelque sorte un point d'orgue a une année qui aura vu sa femme le quitter (juin 2016), le Brexit être voté (23 juin 2016), et Donald Trump accéder à la présidence des États-Unis Trump (8 novembre 2016).
Nous voici donc en décembre, au moment des obsèques de son père, événement chargé d'émotion, mais aussi propice à l'introspection. Les souvenirs affluent, ceux qui ont marqué la vie de son père, fonctionnaire européen comme lui, mais aussi tous ces moments qui ont provoqué chez lui ces émotions qui donnent le titre du roman et dont l'intensité va déterminer le souvenir bien davantage que la chronologie. Les femmes, ou plus précisément les émois amoureux formant alors la matière première d'un récit qui, bien que très factuel, fait précisément partager au lecteur les battements de coeur et l'exaltation de ces moments où la vie s'illumine, où on sent que quelque chose se passe…
Comme lors de ce colloque international de prospective qui tente de tracer l'avenir de l'Europe sans le Royaume-Uni et qui se tient précisément à Hartwell House, dans le sud de l'Angleterre. Alors que les intervenants s'écharpent sur la pertinence de leur méthode de prospective stratégique en quatre phases – scoping, ordering, implications, integrating futures – l'attention de Jean va être détournée par Enid Eelmäe. Pour faire connaissance, les participants ont été invités à un exercice, baptisé Tell the story of your names. C'est ainsi qu'après avoir expliqué que les Detrez étaient originaires du Nord de la France et que le grand-père paternel avait disparu durant la Première Guerre mondiale, il apprit que Eelmäe voulait dire
«première montagne» ou «avant-montagne» en estonien, mais aussi que ce patronyme, avant l'estonisation des noms, était Eiffel, comme le constructeur de la Tour Eiffel. Ajoutons que la seule personne appelée Enid de leur connaissance les renvoyait tous deux à leur enfance et à la lecture du Club des cinq et du Clan des sept d'Enid Blyton. Il n'en fallait guère davantage pour tomber sous le charme de belle venue de Baltique. Au fil des heures, ils vont devenir très complices. Jusqu'à ce tête-à-tête dans la bibliothèque: «J'avais envie de déposer ma main sur son bras, mais je n'osais entreprendre le moindre geste. Il y a toujours un moment, dans les relations amoureuses, où, même si on sait que nos corps vont finir par se rapprocher, qu'une étreinte va survenir, qu'un baiser ne va pas tarder à être échangé, on demeure dans l'attente, et rien ne se passe si on ne prend pas la décision d'agir. Même si on sait l'un et l'autre que quelque chose de tendre est susceptible de survenir à tout instant, il y a un dernier cap à franchir, qui peut sembler minuscule, et dont on peut même se rendre compte, a posteriori, en se retournant pour revoir la scène dans son souvenir, que ce n'était en réalité qu'un tout petit gué tellement aisé à traverser, mais qui, tant qu'il n'est pas franchi, tant qu'on ne l'a pas passé, demeure un obstacle insurmontable.»
Bien entendu, ce sont les détails de ces moments qui donnent toute sa saveur à ce roman, comme si Jean-Philippe Toussaint à la manière d'un cinéaste, décidait de passer d'un plan général à un gros-plan, de se focaliser sur ces moments de grâce.
On passe ainsi des couloirs du Palais de Berlaymont, bâtiment emblématique de l'Union européenne où se retrouve tous les thèmes du livre, l'Europe aujourd'hui à la croisée des chemins, mais aussi le fils et son père, tous deux fonctionnaires européens, mais aussi l'architecture puisque la rénovation du bâtiment est confiée à son frère qui a suivi les pas de son arrière-grand-père, Pierre de Groef, qui a construit beaucoup d'immeubles à Bruxelles au début du XXe siècle. Et, comment pourrait-il en être autrement, les femmes. D'abord Diane, sa seconde épouse dont il se sépare, mais dont il nous raconte avec tendresse et sans doute nostalgie la rencontre dans ce temple de la technocratie. Puis sa course effrénée avec Pilar Alcantara lors de l'éruption du volcan Eyjafjöll en 2010. L'occasion aussi de nous faire découvrir un mystérieux souterrain.
Remontant dans le temps, nous irons aussi en Toscane au moment où Jean rencontre Elisabetta, sa première épouse. Contrairement à Diane, elle sera présente aux obsèques avec son fils Alessandro. Encore une occasion de constater combien restent vivaces les émotions. Et d'exprimer des regrets que l'on peut aussi prendre comme un conseil d'ami: «J'aurais peut-être dû faire davantage d'efforts pour essayer de sauver notre amour et prendre le risque d'entamer avec Elisabetta une longue relation suivie, la relation d'une vie, un amour au long cours, quitte à ce qu'il y eût des hauts et des bas, des orages et des disputes (et, sur ce point, je pouvais faire confiance à Elisabetta), mais j'aurais pu ou j'aurais dû avoir cette ambition pour nous, plutôt que, au premier accroc, à la première infidélité, céder à la facilité de nous séparer, abdiquer sans combattre.»


Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          420
« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a connu deux grands cycles. Un cycle qu'on pourrait dire progressiste, dans le domaine des moeurs et des droits humains, jusqu'à la fin des années 1970, et un cycle libéral, qui a duré peu ou prou jusqu'à la crise financière de 2008. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, avec le Brexit, nous venons d'entrer dans un troisième cycle, un cycle populiste, qui se traduit par une défiance nouvelle envers les élites et la démocratie représentative. »
En regard de cette analyse des 70 dernières années par Jean-Philippe Toussaint, le titre de son roman Les émotions prend une connotation négative : ces émotions sont en effet celles, incontrôlables, qui régissent le monde dans le cycle populiste, à l'heure des fake news, de la manipulation 2.0 et ses périls pour la démocratie. de fait, l'élection de Trump et le Brexit affectent fortement le narrateur et héros du roman, Jean Destrez, un haut fonctionnaire européen élevé dans le culte du projet de construction européenne – un projet se voulant reposer sur l'intelligence, la raison et la culture européenne, (références, d'Erasme à Zweig, à l'appui) : bref, l'opposé de ces émotions irréfléchies et leurs dangereux excès.
Mais ce narrateur et héros incarne lui-même assez mal ce beau projet européen : certes, en tant que fonctionnaire, il fait de son mieux son travail, mais l'Europe qu'il nous fait connaître à travers son expérience n'est pas tant celle d'Erasme ou de Zweig ; et c'est plutôt à Kafka que l'on pense, tant pendant la visite des méandres du chantier de rénovation du bâtiment Berlaymont, siège de la Commission européenne, qu'en découvrant le fonctionnement bruxellois : toute la troisième partie du roman, c'est le château en version accélérée ! – et au moins K avait-il le loisir de son temps…
Même à titre personnel, Jean Destrez incarne mal l'homme de modération et de maîtrise de soi : hanté par ses deux divorces, par la figure imposante de son père (ou encore par la place qu'a su prendre son frère, architecte de renom), c'est un homme que l'on sent affectivement fragile, en proie à ses propres émotions… Mais celles-ci ne sont, du reste, pas toutes négatives : c'est, dans la première partie du livre, l'émotion charmante et douce d'une rencontre – elle ne tient pas toutes ses promesses, mais qu'importe, une rencontre peut en cacher une autre (on apprécie au passage tout l'humour de JP Toussaint)… Ce sont, dans la deuxième partie du roman, de singulières décompensations que Jean Detrez est amené à vivre avec ses première et seconde femmes (on retrouve alors le Toussaint conteur des situations étranges que l'on a aimé dans L'appareil photo). C'est enfin, dans la troisième partie, l'émotion collective de la crise aérienne de 2010, vécue dans toute sa fièvre parce qu'il est au coeur des cellules de crise…
Où Toussaint veut-il nous mener, dans ce nouveau cycle engagé avec La clé USB ? le second opus intitulé Les émotions ne nous le laisse pas encore discerner très clairement, mais à tout le moins on y retrouve avec plaisir la délicatesse de JP Toussaint à saisir les instants fugaces, moments magiques ou situations insolites…
Commenter  J’apprécie          260
Je suis décidément partagée par ce livre d'où les 3 étoiles malgré une belle écriture, un style que j'apprécie chez cet écrivain.
Commençons par ce qui m'a plu. Deuxième cycle romanesque de Jean-Philippe Toussaint, "les Émotions" suit La clé USB. Nous retrouvons Jean Detrez, fonctionnaire européen spécialiste de la prospective. Il est plaisant de voir l'antagonisme entre la rigueur quasi scientifique avec laquelle le narrateur travaille sur l'avenir et l'imprévisibilité de sa vie personnelle, voire professionnelle. L'imprévu advient avec le référendum sur le Brexit, l'élection de Trump, les séparations d'avec ses deux femmes, la mort de son père, l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010 et le summum : cette incroyable et sensuelle nuit passée avec une inconnue.
Et pourtant...pourtant je sais qu'une fois le livre terminé, dans quelques semaines, quelques mois, cette histoire se sera estompée dans mon esprit. Je le sens. Ce livre ne m'a pas marqué au point d'y penser régulièrement comme peuvent le faire ces livres devenus mes compagnons...Serait-ce la volonté, marquée je trouve, de montrer la Commission européenne plus humaine que nous la ressentons ? Ai-je trouvé la description de ses rouages un peu pesante ? Peut-être.
En tout cas, il fait bien écho au livre précédent et c'est sans doute tout le cycle romanesque dans son ensemble que je vais devoir considérer et non le livre seul. Hâte de lire la suite et de me faire une idée plus globale !
Commenter  J’apprécie          266
Rappelez-vous dans La clé USB, Jean-Yves Detrez haut fonctionnaire de la Commission européenne rentrait de Chine où il s'était fait embarquer dans une sombre histoire de bitcoins (d'autant plus sombre que j'ai complètement oublié l'intrigue mais c'était vraiment très très bien…) Bref, nous le retrouvons ici dans différents lieux. Tiens, d'ailleurs, si vous cherchez un sujet de thèse (ça arrive tous les jours, hein, de chercher un sujet de thèse ...), en voici un : « Espace public/espace privé dans l'oeuvre de J.P Toussaint ». En effet, ce qui nous est donné à voir dans le deuxième opus de cette future trilogie, ce sont des lieux (publics surtout) où s'inscrit une histoire intime, celle du narrateur.
En effet, outre la Commission européenne (le chantier du Berlaymont) que nous explorons lors d'une visite guidée de l'architecte Pierre Detrez, frère du narrateur, nous découvrons le château d'Hartwell House (belle demeure datant en partie du XIe siècle, située dans le Buckinghamshire au nord-ouest de Londres) pour un séminaire autour de la prospective (eh oui, certains sont payés pour lire dans une boule de cristal afin d'élaborer des scénarios plus ou moins plausibles…), nous déambulons aussi bien entendu dans les rues de Bruxelles, rue de Belle-Vue, avenue Émile Duray, place du Châtelain… (Tiens, finalement, il y aurait bien un petit côté modianesque dans ce roman…) En tout cas, nous est donnée à explorer une véritable géographie toussaintienne (?) tout à fait passionnante...
En effet, ce qui peut sembler paradoxal, c'est que les émotions naissent et s'épanouissent dans un espace public qui, par définition, est organisé, structuré, codifié, et c'est notamment en franchissant légèrement les limites de cet espace public que surviennent lesdites émotions (notamment à travers des rencontres amoureuses) : on court dans les sous-sols labyrinthiques de la Commission européenne, on marche la nuit tombée dans les sous-bois de Hartwell House, on se caresse la main sur un coin de table de la cafétéria de l'Eurocontrole en pleine crise de volcan islandais en furie.
En revanche, l'espace privé est étroitement lié à la mort de l'amour - c'est le lieu où l'on étouffe, où on ne supporte plus la promiscuité des corps - mais aussi à la mort tout court, celle du père, au coeur même du roman. On observe ainsi une espèce d'inversion : le sentiment tire son origine et sa force dans un espace où il n'a pas lieu d'être (l'espace public). Au contraire, il s'affaiblit et finit par s'évanouir totalement dans un espace où il aurait a priori tout pour se fortifier (l'espace privé). On a l'impression que chez Toussaint l'espace public porte en lui des promesses, un avenir possible contrairement à l'espace privé (la chambre, la salle de bains) qui pousse vers la destruction, le néant. En effet, l'appartement du couple subit une inondation… Tout prend l'eau. Et d'ailleurs leur première union intime a lieu dans une baignoire de salle de bains (ce qui n'est pas vraiment bon signe chez Toussaint.) Tout se passe comme si l'espace confiné, retiré du monde, l'espace pascalien s'autodétruisait de lui-même, comme s'il lui manquait une ouverture pour respirer, de la place pour s'épanouir et se développer...
En tout cas, comme le fait remarquer le narrateur, englué dans ses histoires de prospective ou de volcan islandais Eyjafjöll provoquant un blocage de tout l'espace aérien européen qu'il faut choisir de prolonger ou non, « si dans ma vie professionnelle, j'avais une maîtrise incontestable de l'avenir, je me rendais compte que, depuis quelques temps, je ne maîtrisais plus rien dans ma vie privée. »
Il y a donc un espace que l'on maîtrise (celui du travail) et un espace qui nous échappe (celui du coeur). Et Toussaint joue des contrastes entre ces deux espaces, notamment lorsqu'ils se télescopent lors d'une rencontre intime dans le cadre du travail, d'un coup de fil privé au bureau ou bien lorsque l'émotion privée s'empare d'un haut fonctionnaire tandis qu'il fait un discours public.
Si l'on peut (j'ose l'espérer) tirer quelques bénéfices de la prospective publique, elle semble totalement inefficace lorsqu'elle touche le domaine privé (même si la rencontre avec sa femme Diane a commencé sur un « - Comment ? » qui annonçait déjà une communication un peu compliquée...)
Encore une fois, chez Toussaint, l'humain échappe aux codes, aux grilles de contrôle, aux tableaux de prospective. Il est inattendu, surprenant, souvent imprévisible, parfois indéchiffrable, n'obéit ni aux codes ni à la raison encore moins à la logique. Et surtout, il est capable de créer un espace de liberté précisément là où c'est interdit. D'ailleurs les corps semblent parfois agir sans aucun sens du rationnel, de la cohérence ou de la sagesse, ils ne se plient à aucune loi, échappent à tout commandement, à la moindre prévision. Ils sont le vacillement, le mouvement, le pas de côté (n'oublions pas que la racine d'émotion est « movere » qui signifie « mouvoir »).
Hors du temps et hors de l'espace, ils sont un espace à eux tout seuls, retranchement ultime où il est peut-être encore possible d'accéder au bonheur... Une dernière forme de romantisme désespéré (comme chez Houellebecq), espèce de bouée de sauvetage hélas, déjà percée...
Par ailleurs, au coeur même du roman, la mort du père, homme public, européen convaincu, viscéralement humaniste, intervient précisément au moment où les sphères publique, politique, sociale, religieuse s'écroulent, se fracassent : 2016, le referendum du Brexit, l'élection de Trump, la brutale montée des populismes, les attentats. Les émotions publiques grossières, vulgaires et « dangereuses » s'emparent de la raison : on crie, on tweete, on s'insulte, on se frappe, on tue… Elles envahissent l'espace public mais elles ne sont que la caricature des vraies émotions qui « sont intimes et silencieuses », extrêmement ténues, fugaces, si fragiles et si précieuses.
Le père meurt parce qu'il n'a plus sa place dans un monde sans repères.
Juste deux mots encore : Toussaint est bien le seul auteur avec Carrère (on pourrait d'ailleurs les rapprocher sur bien des points) à être capable de me passionner avec des histoires de blockchain, de bitcoin ou de prospective… S'il y a du Carrère dans Toussaint, on y respire aussi Proust parfois au détour d'une phrase sur le temps… C'est vraiment un très grand conteur parce que, quand même, (tenez bon, ce sont les derniers mots), quelle écriture, quelle magnifique et incroyable fluidité …
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
Commenter  J’apprécie          223
C'est toujours une joie de commencer un nouveau roman de Jean-Philippe Toussaint . Je me réjouis de retrouver sa langue et de me laisser emporter vers une nouvelle aventure qui ne manquera pas de m'interroger , de me surprendre et parfois même de me tendre un miroir sur ce que je n'aurais su nommer clairement.
Ici nous retrouvons Jean Detrez, protagoniste du roman précédent « La clef USB ». Mais si dans « La clef USB » nous le suivions sur une sorte de polar autour des Bitcoins, cette fois c'est la vie personnelle et bruxelloise de Jean Detrez que nous approchons.

Jean Detrez perd son père, haut fonctionnaire de la commission européenne et voit le monde changer dans cette même période où le Brexit est voté, Donald Trump arrive au pouvoir et sa femme le quitte.

J'attends la suite avec envie…
Commenter  J’apprécie          131
Jean Detrez, le narrateur, est fonctionnaire à la Commission européenne. On le suit dans son travail, en butte aux décisions politiques qu'il doit contribuer à prendre, par exemple concernant la gestion de l'espace aérien suite à l'éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull ou plus exactement Eyjafjöll (voir le livre page 213). Au passage merci à Babelio de m'avoir permis d'écrire sur les réseaux sociaux ce nom un tantinet exotique et qui ressemble tant à un code de clé wi-fi...
En alternance, on le suit également dans sa vie privée, avec ses amours qui se succèdent, sa vie familiale.
C'est écrit dans une langue fluide, élégante, sans aspérité, agréable à lire. On y prend du plaisir.
Mais le livre refermé, on se pose la question « mais pourquoi a t-il écrit tout cela ». Pour notre plaisir, c'est sûr. Mais y a-t-il plus ? Et si c'était de la littérature pour bobo ?
Commenter  J’apprécie          120
Après La clé USB, l'an dernier, ce deuxième volume du nouveau cycle romanesque de Jean-Philippe Toussaint, centré autour du personnage de Jean Detrez, est un enchantement ! On retrouve notre protagoniste, spécialiste de prospective à la Commission européenne, à son retour d'Asie, suite à la mort de son père, événements dont il était question à la fin du précédent récit. L'enterrement du père donnera d'ailleurs place à certaines des scènes les plus touchantes, sinon, disons-le, même si l'adjectif semble, dans le contexte, déplacé, les plus réjouissantes du roman. Mais le récit, loin de suivre un fil chronologique, aime, comme souvent chez Jean-Philippe Toussaint, les digressions, et emprunte des chemins de traverse, guidé par le retour d'un souvenir ou une association d'idées. Jean Detrez retrouve sur l'écran de son téléphone la photo d'une jeune femme, témoignage flou d'une aventure d'une nuit, au cours d'un séminaire de prospective en Angleterre. Ce séminaire, comme l'évocation, plus loin, de la crise du transport aérien lors de l'éruption d'un volcan islandais en 2010 (crise à la résolution de laquelle notre fonctionnaire européen se trouve associé, à cause de ses responsabilités dans un précédent poste), offre l'occasion d'un développement sur le travail de prospective (avec des références précises à l'actualité, qu'il s'agisse du pouvoir effrayant de Donald Trump, de l'épuisement des ressources ou des flux migratoires), une manière qu'affectionne l'écrivain d'ancrer sa fiction dans le réel, mais en même temps, ce séminaire est le lieu d'une intrigue amoureuse, dont Jean-Philippe Toussaint décrit avec humour et finesse les tours et détours, et le point de départ d'une réflexion sur les accidents de l'existence et leur résonance dans nos vies. le vrai sujet du texte, c'est, en effet, ces «émotions» qui lui donnent son titre. Sexe et amour, fuite du temps et mort, inquiétude récurrente, aussi, dont Jean Detrez découvre qu'elle est l'un des principaux héritages de son père, Jean-Philippe Toussaint a toujours su en parler avec les mots les plus justes, une forme ici d'attention très proustienne, ciselant une scène érotique ou un tableau de larmes avec la même délicatesse, avant d'y ajouter, parfois, le sel de son ironie. L'intelligence du regard et l'élégance de l'écriture charment son lecteur, et si l'écrivain fait à plusieurs reprises, dans ce roman, allusion à Stefan Zweig, à sa disparition au moment où le monde basculait dans ce pire qu'il avait annoncé (comme le père de son personnage, Jean Detrez, meurt lui-même, presque heureusement, au moment où triomphe, avec Trump, ce populisme qu'il sentait venir en le détestant), on se met à espérer qu'une telle exigence littéraire, une pareille «émotion», oui, ce plaisir du texte partagé par l'auteur et son lecteur, perdurent, dans cette époque souvent séduite par la facilité. Tant qu'il y aura Toussaint…
Commenter  J’apprécie          90
Les Émotions, de Jean-Philippe Toussaint : un livre éclaté comme un puzzle, dont chaque pièces est la description délicieuse et perfectionniste d'un moment où les émotions prennent le dessus de la raison, avec un côté David Lodge (Petit monde) sur le premier tiers - avec son colloque de prospectivistes -, le deuil du père du protagoniste, l'architecture à Bruxelles - de Horta aux catastrophes des années 50 -, avec de belles pages sur Zweig et sur l'amour et ses brûlures et, comme souvent avec la littérature : mille et un autres sujets encore. Ne pas passer à côté de ce nouveau Toussaint serait de bonne augure.
Commenter  J’apprécie          80
"À croire que la prospective ne nous est d'aucun secours dans les affaires de coeur - ou qu'en amour, il n'y a pas de méthode."

En quatrième de couverture, il était indiqué que ce roman s'inscrivait dans un cycle et qu'il en constituait le second opus.

Pas de panique, cependant, cet ouvrage peut se lire indépendamment.

Un ami m'avait parlé de l'ensemble romanesque M.M.M.M. ( Faire l'amour, Fuir, la Vérité sur Marie, Nue) qui , acheté en seconde main, m'attend dans mon armoire à lire ;-)

J'ai rencontré ce volume dans les rayons de la bibliothèque et c'est donc avec lui que je découvre l'univers de Jean-Philippe Toussaint.

D'emblée, j'ai apprécié son style, son écriture. Son roman à trois temps, comme une valse.

Valse des émotions.

Le roman s'ouvre sur une rupture et le ressentiment qui y est lié.

Nous y savourons la joie d'une rencontre, la tristesse de l'au revoir.

L'auteur aborde l'architecture de Bruxelles, l'histoire de son urbanisme, il évoque aussi le Berlaymont, son désamiantage, sa reconstruction et cet aspect a énormément pesé dans mon coup de coeur pour ce roman.

Les aspects politiques sont abordés de manière très réaliste et avec une analyse très fine.

Les émotions par contre sont abordées de manière très discrète, pudique et cela cadre parfaitement avec le personnage du narrateur, toujours affairé, en route et ne disposant que de peu de temps pour l'introspection.

Un mouvement central : le décès du père et la rupture avec sa deuxième épouse. Tristesse, nostalgie, souvenirs.

La crise de l'Eyjafjöll occupe le troisième temps, ce que l'auteur dit de la place de l'aviation par rapport aux politiques ne m'a guère enchantée quant à la manière dont les élites dirigent nos sociétés et aux choix qui les préoccupent.

Il faut parfois un roman pour mesurer combien le monde dans lequel nous vivons peut nous peser.

Enfin le roman se clôt sur une rencontre volcanique et sur l'énumération des six émotions suscitées par Pilar Alcantara.

Appréciation modérée pour le contenu de ce roman… qui, paradoxalement semble contredire son titre par une certaine froideur.
Lien : https://bafouilles.jimdofree..
Commenter  J’apprécie          30
Ayant lu et adoré "La clé USB", j'ai foncé les yeux fermés dès que j'ai vu celui-ci. Si vous voulez le lire aussi, je vous invite à éviter la 4ème de couverture (que j'ai sagement laissée pour la fin et je ne le regrette pas). Si vous n'avez pas lu "La clé USB", ce n'est pas grave ! Vous pouvez toujours le lire, mais si vous voulez mon conseil, c'est mieux de prendre l'entrée avec le plat de résistance.

De quoi ça parle ? Des émotions. de la vie On suit à nouveau Jean Detrez, le héros eurocrate, qui nous embarque dans les déambulations de son esprit, où les dessous de la Commission européenne et de sa propre vie se mélangent pour l'accompagner dans le deuil. Ainsi, les funérailles de son père sont l'occasion pour que le héros se souvienne des évènements banals (comme une convention ou la gestion de la crise de l'Eyjafjöll), où les femmes (épouses, collègues ou amantes) ont joué un rôle imprévisible.

Avec ce livre je commence à mieux connaître l'auteur, Jean-Philippe Toussaint, dont le style se rapproche de mon idéal. Il est capable de tenir le lecteur en haleine en racontant des banalités. En quelques lignes, il sait donner une personnalité dense à ses personnages, même secondaires. Enfin, j'adore sa façon de construire ses histoires : en forme de spaghettis, comme dirait une amie, on prend un bout et ça tire et tire très loin. Ou comment un simple évènement peut faire voyager dans différents passages intimes dans la vie et dans la psyché du héros.

Plus qu'un roman, c'est un OLNI. Indéfinissable. Ce livre prête à la réflexion, alors qu'il n'y a rien à analyser. La première question qu'on peut se poser est "qu'est-ce qu'il a voulu dire ?" Et c'est après qu'on comprend. C'est comme s'il avait disséqué un morceau de vie. Et ce morceau de vie se compose de plusieurs sensations, des émotions, des souvenirs, des impressions, de l'imprévisible. J'admire ce qu'il a fait, comme exercice de style : prendre ses personnages et les faire évoluer dans leurs pensées, leurs souvenirs intimes, sans enjeu à part celui de montrer une tranche de vie.
Commenter  J’apprécie          30




Lecteurs (211) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature belge

Quel roman Nicolas Ancion n'a-t-il pas écrit?

Les ours n'ont pas de problèmes de parking
Nous sommes tous des playmobiles
Les Ménapiens dévalent la pente
Quatrième étage

15 questions
63 lecteurs ont répondu
Thèmes : roman , littérature belgeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..