AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de MicheleP


C'est à cette terre « où la véhémence de la lumière s'accorde à la véhémence des hommes » comme le disait Maïssa Bey (L'une et l'autre) , une terre dont on ne s'arrache qu'en se déchirant que, sur le second versant de sa vie, Behja Traversac adresse ce chant d'amour dans un livre baigné de lumière, comme l'est ce pays lui-même, que les aquarelles de Catherine Rossi font revivre ici dans sa plus grande beauté. Un chant poignant et pourtant si léger, si pudique : dans ce patchwork de textes d'un lyrisme incontestable, si peu de plaintes, si peu d'évocations de la souffrance, y compris la première de toutes, celle de l'arrachement : c'est une très grande dame, une « seigneure », si l'on me permet ce néologisme, qui s'exprime ici pour évoquer « Comme un amour qui ne vieillirait jamais, comme les rêves qui n'en finissent pas de finir ».
Le livre, on l'aura compris, est composé comme une mosaïque de textes, apparemment autonomes, mais qui se renvoient les uns aux autres et jouent les uns sur les autres, c'est pourquoi il est si difficile de rendre compte de cette continuité. Alger d'abord, dont « on s'arrache, on se déracine, on s'exile » et où résonnent encore les voix mêlées multiples de Momo, Kateb, Issiakhem et Camus et Dib et Charlot…celles de Hassiba, de Zohra, de Ghamia, de Abane et de Benm'hidi. Alger lumineuse des poètes et des combattants. Déjà, Behja Traversac reste dans la lumière, peu, si peu de reproche sur ces événements qui ont pourtant été cause de la déchirure : « pour ne pas t'en vouloir, pour ne pas te haïr, je traquais les souvenirs heureux »
Puis Behja revient aux origines, cette mère, surtout, l'insoumise, fière d'être issue de la tribu des Ouled Naïls, et demandée par un bachaga d'une tribu de l'ouest, belle jeune fille qui part vivre à huit cents kilomètres de chez elle, à Maghnia, à la frontière marocaine. Entre tradition et modernité, l'aventure de cette jeune femme étonne : elle sut imposer à son mari qu'il la laisse s'installer dans la ville voisine, Oujda. La jeune femme était riche ce qui lui permettait sans doute une certaine indépendance, mais quel caractère, quand on imagine le poids de la tradition, vers le milieu du XXe siècle ! « Elle s'engouffrait dans chaque interstice encore vacant de règles et d'interdits ». Cette liberté presque inimaginable ne peut qu'être transmise et elle vibre dans les choix et les mots de la fille.
La famille passait les étés à Portsay, le paradis d'enfance et de jeunesse, parmi les pins d'Alep, au bord de la mer, « moments…d'innocence absolue », « un temps mythique, à l'abri du malheur qui frappait ailleurs ». Autant que la forte personnalité d'une mère, cette expérience du bonheur d'enfance et de jeunesse forge un caractère. « Ce lieu qui ne se morcelle pas, qui est tout en chacune, en chacun, tu disais… ce lieu demeurera à jamais écrit dans le temps de nos vies. »
Déroutante encore, cette mosaïque de texte suit un ordre capricieux, pas toujours chronologique.
La douceur du père ; Safiya, la soeur, artiste et créative, qui avait « très tôt contesté la logique de la société dans laquelle nous vivions ; une société qui laminait les femmes et les faibles. » « Cette société où les rôles et les places de chacun étaient fixées depuis toujours par héritage».
René-Paul, le compagnon dont elle se sent si orpheline, et qui l'aimait du même amour qu'il aimait son Algérie.
Les amitiés et les fissures de l'Algérie coloniale, scènes vues, violences, compassion, et quelques années plus tard, le surgissement de nouvelles violences.
Et pour finir le départ presque forcé. « Je suis partie comme un automate (…) j'ai fui comme une voleuse volant son propre rêve. » le coeur lourd, comme tant d'autres, Behja Traversac a abandonné sa terre.« le pays s'emplira de clameurs. Un autre monde s'annoncera… Ets-ce possible, est-ce durable, dans ce pays de soleil. »

Chant d'amour pour la terre natale, ce pays «si dur et si tendre à la fois », dans une langue si belle, si évidente, qu'on voudrait tout citer.
« Alger ma blanche,
Alger mon amour
Comment t'oublier ? »
Algérie,terre de toutes nos déchirures...

Commenter  J’apprécie          190



Ont apprécié cette critique (19)voir plus




{* *}