Soeur Fidelma, tome 27 : La pénitence des damnés

Les mensonges ont tôt fait de se répandre. Notre humaine nature fait que nous y ajoutons foi plus vite qu'à la vérité.

Vous, mieux que quiconque, savez combien la paix entre nos peuples est fragile. Une parole déplacée, un sarcasme, un sous-entendu, et tout sera balayé comme un fétu de paille. Si le prince défie son clergé, il risque une tentative de renversement ou, au mieux, des querelles intestines. S’il cède aux pressions de Nannid, il encourt un conflit armé avec Cashel, voire des représailles de la part du haut roi. D’une façon ou d’une autre, les effusions de sang sont inévitables.

Les pans de son manteau noir battaient tels les ailes d'un gigantesque corbeau sur son grand corps décharné, ses traits haves arboraient un air menaçant.

Lorsqu’une tâche paraît insurmontable, il suffit souvent de la fractionner en petites étapes que l’on se sent capable d’accomplir. Rien n’est inaccessible, à condition d’oser le premier pas.

Voyant qu'il se taisait, Fidelma acheva à sa place :
- Tu crois qu'il s'agit d'un complot et que les Ui Fidgente cherchent à t'attirer sur leur territoire, loin de la protection de Cashel, pour une raison précise. Une raison autre que de rendre la justice, j'entends. Voilà pourquoi tu refuses de te rendre seul à Dùn EochairMhaigh.
Colgù admit d'un air contrit :
- Je ne devrais jamais sous-estimer tes pouvoirs de déduction...

- Et il arbore toujours la tonsure de saint Pierre, qui proclame son allégeance aux règles et aux rituels de Rome ? Un choix singulier, de la part d'un serviteur obséquieux de Cashel !
Eadulf réagit à cette pique avec un sourire désinvolte.
- Vous-même arborez bien la tonsure de saint Jean, qui proclame votre allégeance à la foi qui prévaut à travers les cinq royaumes d'Eireann. Un choix singulier, de la part d'un serviteur obséquieux de règles venues d'Orient !

Il n’a pas le sens de l’initiative ni, d’ailleurs, de largeur de vue : pour lui, tout est ou tout noir, ou tout blanc. Et la bouteille lui semblera plutôt à moitié vide qu’à moitié pleine.

Ce sont nos lois qui doivent prévaloir, pas ces nouvelles idées étrangères.

Seuls la science acquise durant son bref séjour à l’École de médecine, l’instinct et la chance lui avaient permis de réussir. Depuis qu’il avait étudié l’art de guérir, il n’avait de cesse qu’il ne s’améliore. Il lui semblait qu’il aurait dû mieux exécuter l’opération, et il acquiesça donc d’un hochement de tête.

Comment rester impartial face à l’assassinat d’un homme aussi sage et vénérable ? Sans parler de sa bonté.