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Citations sur Le dernier Lapon (179)

Klemet le regarda. Il n'aimait pas son attitude. Une brise légère soufflait, mais cela suffisait à mordre la peau du visage. Klemet n'avait pas froid. Il avait appris depuis longtemps à ne pas avoir froid. Depuis sa jeunesse. Le froid, comme la nuit, vous enlevait votre raison, éveillait des frayeurs épouvantables. Il ne pouvait plus se permettre d'avoir froid. Il se l'était juré, il y a longtemps. Une vieille histoire à laquelle il essayait de ne pas penser mais dont il n'arrivait jamais vraiment à se défaire. Johan Henrik continuait à mâchouiller son mégot, tirant dessus plus souvent que pour l'empêcher de s'éteindre, les yeux plissés, immobile dans sa pelisse. Nina se sentait exclue de ce face-à-face silencieux. Klemet le voyait, mais il ne pouvait rien faire pour sa jeune collègue pour l'instant. La tension était palpable. Johan Henrik était un dur à cuire, l'un de ces éleveurs de l'ancienne génération qui avait connu l'époque où il n'y avait pas de scooter des neiges, pas de quad, pas d'hélicoptère. L'époque où les bergers gardaient leurs rennes à ski, quel que soit le temps, passant des heures à rassembler leurs bêtes quand il fallait aujourd'hui dix minutes en scooter pour abattre la même besogne.
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Le pasteur prit une profonde inspiration.
— C'est une mauvaise idée de ramener des tambours ici. Et vous savez pourquoi, mademoiselle ? Pas à cause du tambour en lui-même, mais à cause de tout ce qui va avec. Le tambour, ce sont des âmes qui errent, c'est la transe, et ce sont les dérapages qui l'accompagnent, et les moyens utilisés pour entrer en transe, c'est l'alcool, mademoiselle. L'alcool et ses ravages. Jamais je n'accepterai ça, gronda le pasteur. Les deux policiers restèrent silencieux un instant. Le pasteur avait les yeux flamboyants et la mâchoire frémissante.
— Voyez-vous, il a fallu des décennies pour sortir les Sami de cette spirale maléfique. Seule la grâce de Dieu et le rejet des vieilles croyances les a sauvés. Ils s'en portent bien, croyez-moi, ils craignent Dieu, et il doit en aller ainsi. Un tambour, c'est le mal qui revient. L'anarchie, les souffrances de l'alcool, les familles éclatées, la fin de tout ce que nous avons bâti ici depuis cent cinquante ans. Nina sentait qu'elle était trop ignare sur la question pour argumenter avec le pasteur mais elle vit que Klemet s'agitait sur sa chaise.
— Je ne connais pas beaucoup de Sami adeptes du chamanisme de nos jours, rétorqua Klemet.
Le pasteur le fusilla du regard.
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Klemet, s'il te reste un peu de sang lapon, tu dois comprendre que le vol de ce tambour, c'est un scandale. Un coup de poignard ! Nous, Lapons, n'accepterons jamais. C'est la goutte d'eau en trop, tu comprends. Tu peux le comprendre, ça, Klemet, ou tu as oublié que tu étais lapon ?
— Dis donc Olaf, tu baisses d'un ton, d'accord.
— Vous avez vu ce tambour ? demanda Nina.
— Non. Je crois qu'il devait être exposé dans quelques semaines.
— Pourquoi est-il si important ? poursuivit Nina.
— C'est le premier tambour à revenir en Laponie, répondit Olaf, regardant tout à tour les deux policiers. Pendant des décennies, les pasteurs suédois, danois et norvégiens nous ont pourchassés pour confisquer et brûler les tambours des chamans. Ça leur faisait peur. Pensez donc, on pouvait parler avec les morts ou guérir. Ils en ont brûlé des centaines, des tambours. Il en reste à peine plus d'une cinquantaine dans le monde, dans des musées à Stockholm ou ailleurs en Europe. Et même chez des collectionneurs. Mais aucun chez nous, sur notre propre terre. Incroyable non ! ? Et là, enfin, ce premier tambour était revenu. Et on le vole ? C'est de la provocation !
— Qui pourrait avoir intérêt à faire ça ? reprit Nina
— Qui ?
Olaf redressa le menton, se passa une main dans les cheveux.
— Qui a intérêt à votre avis à ce que ce tambour disparaisse ? Ceux qui ne veulent pas que les Lapons redressent la tête bien sûr.
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Nina balayait du regard le modeste gumpi de ses yeux grands ouverts. Elle aurait voulu prendre des photos, mais n'osait pas. C'était sale, repoussant. Et fascinant. Elle réalisait qu'elle venait de mettre un pied dans un monde inconnu. Cela dépassait son entendement. Comment, en Norvège, pouvait-on vivre comme ça ? Dans son propre pays ? Ça lui rappelait un reportage qu'elle avait vu à la télévision sur un campement tzigane en Roumanie. Il ne manquait plus que les enfants à moitié nus. En même temps, Nina se sentait gênée. Elle ne savait pas très bien pourquoi. Klemet paraissait à l'aise. Mais il était de cette région. Il savait. Ça aussi, c'était donc un visage du royaume scandinave. Klemet lui avait expliqué que Mattis ne vivait pas de façon permanente ici. Mais tout de même ! Ça, la Norvège ?
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Demain, entre 11 h 14 et 11 h 41, Klemet allait redevenir un homme, avec une ombre. Et, le jour d'après, il conserverait son ombre quarante-deux minutes de plus. Quand le soleil s'y mettait, ça allait vite. Les montagnes allaient retrouver leur relief et leur superbe. Le soleil se coulerait au fond des vallons, donnant vie à des perspectives endormies, réveillant l'immensité douce et tragique des hauts-plateaux semi-désertiques de la Laponie intérieure. Pour l'instant, le soleil n'était qu'une lueur d'espoir, se reflétant sur les nuages orangés et rosâtres qui couraient au-dessus des sommets à la neige bleuie.
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Il leur avait dit. Vous avez trop de rennes. C'est pour ça qu'il vous faut de si grands pâturages. Et qu'il y a tant de conflits. Mais ils répondaient qu'il fallait beaucoup de rennes pour payer les frais, les scooters, les quads, les voitures, le camion abattoir, la location de l'hélicoptère. Tu ne comprends pas, Aslak, disaient-ils, toi tu as à peine deux cents rennes.
Aslak les regardait. Et il disait : j'ai deux cents rennes, et je vis. J'ai deux cents rennes, et je n'ai pas besoin de pâturages immenses. J'ai deux cents rennes, et je les surveille. Je suis toujours avec eux. Les femelles, j'en prends le lait. Elles me connaissent. Mes rennes restent près de moi quand je m'approche. Je n'ai pas besoin de passer des jours et des jours à les chercher patrout dans la toundra. Mes skis et mes chiens me suffisent. Suis-je un plus mauvais berger que vous parce que j'ai moins de rennes ou parce que je n'ai pas de scooter ?
Quand il disait cela, Aslak voyait souvent un voile triste assombrir le visage des autres bergers. Ils restaient silencieux. Les plus anciens se rappelaient qu'ils avaient connu cette époque, eux aussi. Les plus jeunes disaient qu'ils aimaient aussi leur scooter.
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On voyait des familles sami sous leur tente, ou parfois devant. Sur certains clichés, on voyait une mère tenir un bébé emmailloté dans un berceau. Certains Sami posaient à côté d'un renne, sans doute leur renne de tête, le favori.En observant les photos, Nina voyait une population sur ses gardes.Une chose finit par la frapper. Pratiquement personne ne souriait.
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Les conflits ne se règlent pas comme ça ici. Ce n’est pas parce que les gens ont du tempérament qu’ils sont criminels.
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- Alors petit, je sais que tu es un bon gars. Ton père était un bon gars. Tu sais qu'avec lui, on a mené la vie dure aux cocos dans le temps. Eh ben les Lapons, c'est pareil, hein, communistes et compagnie ces gars-là, avec leurs histoires de droit à la terre. Moi, la terre, je sais ce que c'est. Et la terre, elle décide toute seule à qui elle veut appartenir, et c'est à celui qui s'en occupe, pas à un autre, tu comprends ? Et moi je m'en occupe de la terre. Et ce putain de tambour, ça va les réveiller ces gars-là. Mon tambour, ma terre, et tout le bordel quoi. Tu vois, c'est pas bon pour nous leurs baratins. Et puis ça va rameuter les fouilles-merdes d'Oslo, on n'a pas besoin d'empotés de la capitale, hein ? On est mieux entre nous hein, quoique on serait encore mieux sans ces Lapons.
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Il était parti seul, un soir de tempête d'hiver, comme le faisaient les vieux devenus des fardeaux pour le clan. Ils partaient seuls dans la toundra et on ne les revoyait jamais
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