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Citations sur Le dernier Lapon (179)

Là où ils voyaient des mines et ce qu'ils appelaient le progrès, les éleveurs voyaient autre chose. Ils voyaient des routes qui couperaient leurs pâturages, des camions qui effraieraient leurs rennes, des accidents lorsque les animaux devraient traverser les routes. Les étrangers haussaient les épaules. Ils parlaient d'argent. Ils disaient que pour chaque renne perdu, le berger recevrait de l'argent. La plupart des éleveurs gardaient toujours le visage fermé. Alors les étrangers s'énervaient. Ils disaient que les Lapons ne comprenaient pas la chance qu'ils avaient, qu'ils risquaient de tout perdre, que les mines se feraient de toute façon. Souvent, lorsque les éleveurs se retrouvaient pour rassembler et trier les rennes, au printemps ou à l'automne, ils en parlaient. Aslak avait même reçu la visite de certains d'entre eux qui étaient venus jusqu'à sa tente. Olaf était venu. Johan Henrik était venu. Mattis venait souvent. Il ne comprenait plus. Ils venaient le voir alors qu'il était peut-être le moins concerné. Les autres le savaient. C'est pour ça qu'ils venaient. Il leur avait dit. Vous avez trop de rennes. C'est pour ça qu'il vous faut de si grands pâturages. Et qu'il y a tant de conflits. Mais ils répondaient qu'il fallait beaucoup de rennes pour payer les frais, les scooters, les quads, les voitures, le camion abattoir, la location de l'hélicoptère. Tu ne comprends pas, Aslak, disaient-ils, toi tu as à peine deux cents rennes. Aslak les regardait. Et il disait : j'ai deux cents rennes et je vis. J'ai deux cents rennes, et je n'ai pas besoin de pâturages immenses. J'ai deux cents rennes, et je les surveille. Je suis toujours avec eux. Les femelles, j'en prends le lait. Elles me connaissent. Mes rennes restent près de moi quand je m'approche. Je n'ai pas besoin de passer des jours et des jours à les chercher partout dans la toundra. Mes skis et mes chiens me suffisent. Suis-je un plus mauvais berger que vous parce que j'ai moins de rennes ou parce que je n'ai pas de scooter ? Quand il disait cela, Aslak voyait souvent un voile triste assombrir le visage des autres bergers. Ils restaient silencieux. Les plus anciens se e vis. J'ai deux cents rennes, et je n'ai pas besoin de pâturages immenses. J'ai deux cents rennes, et je les surveille. Je suis toujours avec eux. Les femelles, j'en prends le lait. Elles me connaissent. Mes rennes restent près de moi quand je m'approche. Je n'ai pas besoin de passer des jours et des jours à les chercher partout dans la toundra. Mes skis et mes chiens me suffisent. Suis-je un plus mauvais berger que vous parce que j'ai moins de rennes ou parce que je n'ai pas de scooter ? Quand il disait cela, Aslak voyait souvent un voile triste assombrir le visage des autres bergers. Ils restaient silencieux. Les plus anciens se rappelaient qu'ils avaient connu cette époque, eux aussi. Les plus jeunes disaient qu'ils aimaient aussi leur scooter. Qu'ils aimaient pouvoir aller passer une soirée au village, le samedi, quand ils travaillaient dur. Que dans ce cas le scooter était bien. Aslak hochait la tête. Il restait silencieux. Et les jeunes bergers restaient silencieux aussi. Mais parfois, ils revenaient le voir. Juste pour comprendre comment c'était avant. Certains le craignaient. Mais ils venaient quand même. Ceux-là restaient à distance. Mais lui, Aslak, les voyait l'observer de loin quand il était à ski avec ses rennes. Ils restaient longtemps. Jusqu'à ce que le froid les chasse.
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Le monde des Sami était très cloisonné. Les éleveurs à part, et plutôt sur le haut du panier. L'aristocratie. Les grandes familles, les propriétaires, ceux qui faisaient la pluie et le beau temps, qui pouvaient imposer leur nombre de rennes à l'Office de gestion sans crainte de représailles ou presque. Venaient ensuite les jeunes qui avaient choisi la voie des études. Ceux-là étaient plus rares, et le phénomène était récent. Mais on commençait à voir quelques juristes et médecins sami. Et puis venaient les bataillons d'anonymes. Qui ne savaient plus très bien s'ils étaient sami ou suédois ou norvégiens ou finlandais. Tout en bas tentaient de survivre ceux que le monde de l'élevage avait rejetés. Les déchus. Les parias. Les ratés. Comme son grand-père. Klemet se demandait pour qui cela avait été le plus dur. Pour son grand-père, qui avait fait un choix réfléchi, parce qu'il ne pouvait plus nourrir sa famille, et qui s'était jeté avec autant d'ardeur dans le métier de fermier et de pêcheur au bord du petit lac où Klemet avait passé les premières années de sa vie ? Ou pour son père qui avait grandi, enfant, en menant la vie libre des nomades, avec ses rennes, sa fierté, et qui soudain, sans comprendre, s'était retrouvé privé de tout cela pour subir les quolibets des adolescents de son âge ? Rétrogradé. Quand Klemet en avait eu l'âge, son père avait insisté pour qu'il aille à l'école apprendre le norvégien. Il voulait faire de lui un vrai Norvégien. Ne pas subir la honte. Pouvoir mener sa vie loin de ce milieu des éleveurs qui se moquaient d'eux. Cela n'avait pas été simple. À l'internat, il avait retrouvé les fils d'éleveurs nomades. Il avait retrouvé Aslak.
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L'étranger évoquait à Aslak un renard. Il fouinait, tous les sens en éveil. Prêt à mordre et à fuir. Comme il l'avait fait avec lui. Mordre, et prendre ses distances. Se réfugier derrière une menace invisible. Il repensait au signe qu'avait tracé sa femme. Cet homme était un renard. Mais Aslak était un loup. Il les avait trop côtoyés pour en être éloigné. Il avait trop pisté les bêtes, étudié leur comportement, pour les voir comme des étrangers. Et un loup pouvait mordre, et ne pas lâcher prise. Il attendait juste le bon moment. Longtemps s'il le fallait. Le loup était bien plus patient que le renard. Le renard se décourageait s'il n'était pas satisfait rapidement. Pas le loup.
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Aslak avait tout enduré dans sa vie. L'absence de mère. La mort de son père, alors qu'il était encore très jeune. Lui aussi pris par le froid un jour où il était parti récupérer un groupe de rennes passés côté finlandais. À l'époque, les réglementations étaient impitoyables. Le père d'Aslak risquait une amende très lourde si les gardes finlandais les trouvaient. Il ne pouvait pas se le permettre. Il était parti vite, trop vite, trop léger. Il avait été surpris par une tempête de neige comme on en avait rarement connu. Son corps avait été retrouvé deux mois plus tard. Et puis le drame de sa femme s'était abattu sur eux. Elle était jeune à l'époque. Ils vivaient ensemble depuis trois ans. Aslak la regarda, posa la main sur sa tête. Ils ne s'étaient pas parlé depuis si longtemps. Les yeux suffisaient, pendant les rares moments où elle semblait partager sa vie. Aslak se releva. Elle se redressa et il maintint sa main sur sa tête. Elle le regardait intensément. Un de ces regards qui généralement annonçaient une crise. Mais aucun cri ne sortit de sa gorge. De l'autre côté de l'âtre, Racagnal s'impatientait. Elle le regarda fixement, puis revint vers Aslak. Sa main gauche tenait toujours la main d'Aslak sur son visage. Mais de l'autre main, sans que Racagnal ne puisse voir, elle traça sur la petite surface de terre près de l'âtre un motif qui glaça le sang d'Aslak.
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Aslak n'était pas éduqué. Il n'était pas de ceux, de ces jeunes qu'il avait pu croiser parfois les jours de marché à Kautokeino, qui idéalisaient cette vie. Il n'y avait rien à idéaliser. C'était sa vie. Il avait compris qu'il était différent des autres. Et il avait aussi compris qu'en vivant comme il l'avait toujours fait, comme l'avaient fait les siens auparavant, il suscitait souvent des réactions violentes. On lui demandait souvent pourquoi il refusait le progrès. Aslak ne comprenait pas très bien ce que cela signifiait. Il voyait les autres éleveurs qui faisaient le même travail que lui avec des scooters, des quads, des hélicoptères même, des colliers électroniques équipés de GPS. Pour payer tout leur matériel, il leur fallait de gros troupeaux qui avaient besoin de territoires énormes pour paître. Et tout ça entraînait des conflits entre bergers, sous l'œil malicieux des autorités qui avaient là un moyen idéal de maintenir la pression sur les Sami et d'en faire ce qu'ils voulaient, sous prétexte de maintenir la paix sur le vidda. C'était ça le progrès ? Devenir esclave de déclarations à remplir, rendre des comptes à des gens qui ignoraient tout de leur vie ? Les petits bergers comme Mattis, qui avaient voulu vivre leur vie tranquillement, sans faire de bruit, on ne leur avait pas laissé le choix. Aslak s'arrêta un instant et s'appuya sur ses bâtons.
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Après une nouvelle heure de calculs, de comparaisons, Racagnal se dit qu'il avait délimité la zone où il devrait chercher. Il étala la carte devant lui, la plia plusieurs fois. Ça devait coller. La vieille carte montrait bien sûr des différences, des anomalies, mais on pouvait mettre ça sur la différence de perspective, de moyens sans doute, de professionnalisme aussi. Si l'on faisait abstraction de tous ces paramètres, c'est par là qu'il fallait fouiller. Racagnal savait qu'il faudrait idéalement prélever des échantillons, procéder à des forages exploratoires. Il n'en aurait pas le temps. Il allait devoir faire appel à tout son génie. Mais il aurait besoin de cet Aslak, vu le peu de temps dont il disposait. Il n'avait plus une minute à perdre. L'instinct du chasseur l'envahit à nouveau, projetant en lui sa coulée d'adrénaline. Dommage que la vieille n'ait pas une petite fille, se dit-il. Comme si elle lisait dans ses pensées, la femme lui jeta pour la première fois un regard prolongé qui ne le quitta plus jusqu'à ce qu'il ressorte dans le froid et la nuit.
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De la même façon, jamais ils ne pourraient comprendre son goût des très jeunes filles. Cette si belle image de la pureté. Lui ne pensait qu'à salir cette image. C'était le seul comportement rationnel à ses yeux. Cette pureté l'angoissait, le faisait se sentir différent. Il se sentait plus à l'aise avec des personnes ambiguës comme ce péquenaud calculateur, ou comme ce flic borné. C'étaient des gens qui le rassuraient, qui le confortaient dans son idée que le monde était gris, injuste, mouvant.
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— Niils était un homme doté de multiples talents, mademoiselle, lança-t-il tout de suite. Comme la majorité des Lapons, il n'avait pas d'éducation. Pas au sens où nous l'entendons, du moins. Mais il était d'une grande sensibilité. Il avait apparemment certains talents de chaman. Pour ma part, je mettais les pieds en Laponie pour la première fois, et j'étais peu au courant de ce genre de pratiques. Paul-Émile était bien plus passionné. Il avait déjà eu l'occasion d'observer des a première fois, et j'étais peu au courant de ce genre de pratiques. Paul-Émile était bien plus passionné. Il avait déjà eu l'occasion d'observer des chamans au Groenland, alors bien sûr, cela l'enthousiasmait. Mais c'est à moi que Niils s'est confié, comme je vous le disais. De son côté chaman, il ne parlait guère car, comme je devais l'apprendre, un authentique chaman ne dit jamais qu'il est chaman. En revanche, Niils était inquiet. Les discours des anthropologues nous indignaient, nous les Français. Mais eux, les Lapons, qui vivaient sur place et qui resteraient après notre départ, avaient toutes les raisons d'être inquiets. Je ne saurais vous dire quelle perception ils avaient du drame qui se nouait en Europe, avec Hitler. Nous-mêmes, après tout, n'avions pas si bien compris ce qui se tramait. Mais Niils avait une espèce de pressentiment. Un soir, il nous a entraînés un peu à l'écart, l'interprète et moi. Il a sorti de sous sa cape un tambour. Celui-ci, d'après ce que je pouvais en juger à la lueur de notre lampe à huile, était magnifique. Et en bon état. Il avait une forme arrondie, il était parsemé de petits symboles que j'avais du mal à distinguer. J'ai demandé à Niils ce que c'était, et il m'a dit que ce tambour lui appartenait. Il ne m'a pas dit d'où il venait, juste qu'il lui appartenait. Il y avait beaucoup de solennité dans cet instant, et je sentais que ce n'était guère le moment de se livrer à un entretien scientifique comme je brûlais de le faire. J'étais d'autant plus excité que je savais que c'était l'un des rêves de Paul-Émile. Je devais me refréner. Niils m'a alors raconté que ce tambour était en danger. Je lui ai dit que je ne comprenais pas très bien. Il m'a alors expliqué qu'avec les idées qui circulaient en ce moment, tout ce qui avait trait à son peuple était menacé. Je tentai de le rassurer, mais je vis qu'il était réellement inquiet. Et je dois dire que même si j'essayais de faire bonne figure, je ne pouvais lui donner tort. C'est alors qu'il m'a demandé de prendre soin de ce tambour, de le ramener chez moi en France pour le mettre à l'abri. Il m'a dit que le tambour pourrait revenir ici le jour où je le jugerais opportun. Il faisait confiance à mon jugement. Je dois vous avouer, mademoiselle, que j'ai été bouleversé par cette Niils m'a alors raconté que ce tambour était en danger. Je lui ai dit que je ne comprenais pas très bien. Il m'a alors expliqué qu'avec les idées qui circulaient en ce moment, tout ce qui avait trait à son peuple était menacé. Je tentai de le rassurer, mais je vis qu'il était réellement inquiet. Et je dois dire que même si j'essayais de faire bonne figure, je ne pouvais lui donner tort. C'est alors qu'il m'a demandé de prendre soin de ce tambour, de le ramener chez moi en France pour le mettre à l'abri. Il m'a dit que le tambour pourrait revenir ici le jour où je le jugerais opportun. Il faisait confiance à mon jugement. Je dois vous avouer, mademoiselle, que j'ai été bouleversé par cette marque de confiance, plus que je n'oserais vous l'avouer. Je devenais soudainement dépositaire d'un trésor de la civilisation lapone.
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Nina observait Aslak. Il semblait peser le moindre mot. Il n'y avait que l'âtre qui les séparait. Elle repensait au comportement de Klemet. Entre ces deux-là, Nina pouvait presque palper un voile de tension. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n'arrivait pas à se lancer dans la discussion. Quelque chose d'indéfinissable planait ici, mêlé à la fumée. Elle essaya de revenir à des pensées rationnelles, à cette enquête qui les amenait toujours plus loin de ses terres connues. Aslak. Était-il un simple voisin ? Avait-il des raisons suffisantes pour tuer Mattis ?
— Vous aviez des questions à me poser ?
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Le ton était incroyablement autoritaire, menaçant, même si aucune menace n'avait besoin d'être exprimée. Mais toute l'attitude du berger exprimait la force, une puissance qui vous enveloppait. Nina avait l'impression que si Aslak – car ça collait tellement bien à l'image qu'elle s'en faisait – devait se jeter sur Klemet, il n'en ferait qu'une bouchée. Et, bizarrement, elle eut à cet instant le sentiment que Klemet ne ferait rien pour se défendre. Étrange, se dit-elle.
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