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Critique de motspourmots


Cela fait longtemps que je lis Karine Tuil et avec plaisir en plus. Ses deux précédents romans, en particulier le dernier, L'insouciance m'avaient emballée avec leur toute nouvelle puissance narrative ancrée dans le siècle et ses maux. Elle avait réussi un récit à la densité impressionnante qui puisait bien sûr dans l'actualité et l'observation de la société dans toute la spirale ascendante de sa violence. Un récit qui vous happait et ne vous lâchait qu'à la dernière ligne, rincé, épuisé mais heureux. Trois ans après, je suis rincée mais cette fois c'est plutôt la douche froide. Une déception à la hauteur de mes attentes ou plutôt de mon envie de renouer avec l'expérience précédente. Ici, ça ne marche pas ou plutôt, ça ne marche qu'à moitié.

On a déjà beaucoup parlé de ce livre ou plutôt de son thème puisqu'il est particulièrement d'actualité : le consentement. Karine Tuil explique s'être inspirée d'un fait divers récent aux États-Unis où un étudiant de Stanford (milieu aisé, fac d'élite, sportif, promis au plus bel avenir...) avait été accusé de viol par une jeune fille. Une affaire qui avait mis en lumière ce que l'on a coutume d'appeler "la zone grise" où se confrontent les différences de perception de deux êtres humains ; il pensait qu'elle était d'accord car elle ne disait pas le contraire, elle était pétrifiée de peur et était persuadée que ne rien dire était le moyen le plus sûr de s'en sortir vivante ou le moins mal possible. L'écrivaine s'inspire donc de cet événement qui l'a marquée, le transpose en France et met en place les personnages qui lui permettront de dérouler sa démonstration. D'un côté, la famille Farel, très médiatique, évoluant dans un milieu intellectuel très en vue. Jean Farel est un journaliste présentateur TV vedette de sa chaîne, qui fait ou défait une image d'homme politique grâce à ses interviews pleines de punch. Sa femme Claire est une essayiste à succès, plus jeune que lui. Ils ont un fils brillant, Alexandre qui poursuit ses études aux Etats-Unis. le couple ressemble désormais plus à une association efficace qu'à deux amoureux transis et Claire s'éprend d'Adam Wizman professeur dans une école juive où elle participait à une rencontre littéraire. Je vous passe les détails des séparations des deux couples (en même temps, c'est très rapide dans le livre) pour en arriver au noeud de l'histoire. Alexandre Farel, en vacances à Paris est accusé de viol par Mila, la fille aînée d'Adam. Éclatement du nouveau couple, opposition entre les membres de classes sociales très différentes (il se trouve que la mère de Mila vit selon les valeurs juives traditionalistes) et parole contre parole.

C'est compliqué, la littérature. La bonne alchimie qui permet de transformer quelques ingrédients factuels en un roman de bonne facture. le parfait assaisonnement qui permet de transcender des faits et un contexte pour composer quelque chose qui a du souffle et surtout une petite musique qui différencie le roman du simple récit. Ce que Karine Tuil avait déjà brillamment réussi à faire. La première partie est atroce. On a l'impression d'un empilement de faits pour brosser au plus vite le portrait des protagonistes. Résultat : on reste complètement en surface, on reconnait très vite les modèles qui ont pu inspirer l'auteure (des images, rien que des images), on a l'impression d'avoir des biographies résumées vite fait. Ça s'arrange un peu dans la deuxième avec une tentative pour explorer un peu plus les sentiments des uns et des autres mais, ils ont été traités de façon si superficielle en amont que la pente est difficile à remonter. Seule la dernière partie sauve le roman. Celle du procès qui donne à voir de façon très détaillée et intelligente ce qui se joue au niveau de cette "zone grise", ce qui se juge dans un tribunal et qui n'a rien à voir avec la morale portée par la voix des réseaux sociaux. Mais en attendant, on a bien failli ne pas arriver jusque là.

Je ne peux pas m'empêcher de comparer le travail de Karine Tuil à celui de Vincent Message. Lui aussi, pour Cora dans la spirale s'est inspiré de faits et de témoignages afin de livrer un contexte et des situations plus vrais que nature. Mais, il travaille tellement sa matière que justement, ça devient la sienne. Certes, les thèmes sont totalement différents mais la démarche est assez identique et la comparaison est meurtrière pour Karine Tuil. On a d'un côté un roman fouillé, avec des personnages dont l'épaisseur fait qu'ils vous accompagnent longtemps après que vous ayez refermé le livre et auxquels vous pouvez vous identifier même s'ils n'ont pas grand -chose à voir avec vous. Des personnages qui font corps avec leur environnement et écho à vos sentiments. de l'autre, une sorte de résumé des épisodes précédents, uniquement destiné à en arriver au procès (mais pourquoi, dans ce cas, y consacrer près de 200 pages ?).

Bref, j'ai lu Les choses humaines et j'ai été très très déçue.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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