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Critique de Archie


Archie
25 septembre 2019
Karine Tuil trouve son inspiration dans des sujets d'actualité qui interpellent, qui font débat, qui divisent. Elle sait en tirer des fictions percutantes, articulées autour d'évènements dramatiques impliquant des personnages aussi vrais que nature, qui ne peuvent laisser personne indifférent. J'avais beaucoup aimé son précédent roman, L'insouciance. Son dernier livre, Les choses humaines, est en piste pour les grands prix littéraires, ce qu'à mon avis, il mérite… et ce qui ne manque pas de susciter quelques grincements de dents germanopratins.

Principaux protagonistes de l'intrigue centrale du roman : Jean Farel, soixante-dix ans, un journaliste politique, vedette des médias depuis des lustres et qui tient à le rester ; Claire, sa femme – ou plus précisément sa future ex-femme, car ils divorcent –, beaucoup plus jeune, une essayiste féministe reconnue ; Alexandre, leur fils, vingt-et-un ans, un étudiant brillantissime, mais tourmenté ; Adam, pour qui Claire a quitté Jean, un quadragénaire issu d'un milieu juif orthodoxe et qui enseigne en banlieue ; Mila, dix-huit ans, fille d'Adam, une jeune femme effacée mal dans sa peau.

Dans une première partie, l'auteure dresse le portrait des personnages ; des portraits en mouvement, où l'on découvre l'évolution des projets, des rapports aux autres, des anxiétés. Leur statut privilégié et leur approche gourmande du lendemain valent aux trois Farel, Jean, Claire et Alexandre, d'occuper presque toute la place. Les obstacles qui les guettent et qu'ils ont bien l'intention de franchir sont à la mesure de leurs ambitions, de leur souci de « performance ». Leur tension est palpable et je l'ai fortement ressentie, presque comme pour moi-même. Car Karine Tuil, qui s'est voulue en narratrice qui ne juge pas, fait preuve d'une empathie communicative.

La tension se charge de violence dans la seconde partie, jusqu'à l'annonce d'une mise en garde à vue pour viol. On sent alors que tout va exploser. La configuration de la narration change. Les dialogues prennent une place prédominante. Perquisition, convocations, interrogatoires, confrontations. A ce jeu, les policiers sont les plus forts. Ils imposent un rythme étouffant, ils fouillent les âmes et les mémoires jusqu'au tréfonds de l'intime. Malgré les tentations de déni, qui peut résister ?

Troisième partie, cour d'assises. Dans une atmosphère surchauffée par les controverses #MeToo et #BalanceTonPorc, feu nourri de questions énoncées de façon banale, sereine, presque routinière ; des questions pourtant incisives, intrusives, cruelles. Quand la présidente se tait, les avocats prennent le relais et c'est encore pire. Devant eux, accusé, victime et témoins ne sont plus que des êtres humains mis à nus, contraints d'exhiber leurs chairs et de renoncer à toute pudeur. Violence de la recherche de la vérité. Et dans violence, le mot viol.

Les plaidoiries sont de tels morceaux d'anthologie que l'on pourrait croire à l'insertion de textes rapportés. Très longues et argumentées, aussi irréfutables les unes que les autres, elles témoignent de la rigueur intellectuelle de l'auteure. Elles n'expriment que des choses justes, des vérités, même si pour chaque partie, ces vérités sont antinomiques et inconciliables.

L'accusé d'un viol peut-il toujours bénéficier du doute, comme le prévoit le droit pénal ? Que valent les convictions d'une intellectuelle d'opinion, quand entre en jeu l'avenir de l'être qui lui est le plus cher ? le stress paranoïaque d'une star des médias en fin de carrière lui ôte-t-il toute humanité ?

Comme tout est complexe ! C'est le lot des choses humaines. Karine Tuil évite de prendre parti. En tant que femme, elle se déclare solidaire de la jeune femme victime, dont la vie est détruite. En tant que romancière, elle se place sous l'angle de la famille du jeune homme, dont la vie est aussi détruite.

Et moi, et vous, sommes-nous en mesure de juger ? le livre évoque bien d'autres sujets d'actualité. Les personnages sont justement stéréotypés, car l'objectif de la fiction est de montrer comment ils réagissent à un événement qui fracasse leur vie. Le livre est absolument passionnant, je ne l'ai pas lâché jusqu'à la dernière page. Et je suis encore remué.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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